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— Et les traites ?

— Il les a volées.

Juve, pendant toute la nuit, causa avec Nathaniel Marquet-Monnier. Le policier enquêta minutieusement dans la villa même où il se convainquit que, non seulement les traites avaient été volées, mais que Fantômas avait encore fait main basse sur de nombreuses valeurs enfermées dans le coffre-fort. Il enquêta encore à Valmondois, mais il ne retrouva nulle trace du passage de l’insaisissable criminel.

Au petit jour, Juve reprit le train dans la direction de Paris. L’aube se dessinait, rougeâtre. Mais tandis que Juve fixait des yeux les nuages flamboyants, il croyait voir se profiler sur eux, dominant tout, commandant a tous, impérieuse et maléfique, une silhouette noire, la silhouette d’un homme au visage caché derrière une cagoule noire.

17 – FRÈRES ENNEMIS

Les équipages venant des quartiers élégants, de l’Étoile, du Parc Monceau affluaient autour des Acacias. C’étaient des automobiles somptueuses, quelques victorias aux modèles déjà surannés mais bien attelées de chevaux irréprochables, par des cochers tirés à quatre épingles et dont la mise, d’une élégance vieillotte, contrastait avec la livrée modern-style des mécaniciens.

Sous les ombrages passaient des cavaliers, cependant que les hommes lorgnaient du coin de l’œil les formes des femmes moulées dans leur amazone. Les piétons étaient plus nombreux et c’est à peine, par moments, si l’on pouvait circuler sans encombre dans ces Acacias où des groupes se formaient, animés perpétuellement, en conversation joyeuse, alors que d’autres, réduits à deux : l’homme et la femme, échangeaient des propos, sans nul doute très tendres.

Un homme qui paraissait dépaysé au milieu de tous ces oisifs, c’était bien le policier Juve.

À onze heures précises, avec l’exactitude d’un être actif et qui a de nombreuses occupations, l’inspecteur de la Sûreté était arrivé à l’entrée du Bois, sortant modestement de la station de métro « Dauphine ». De son grand pas souple et cadencé, Juve était allé jusqu’aux Acacias et dès lors, arpentant l’avenue avec une impatience non dissimulée, il fouilla du regard les groupes des passants, interrogeait de l’œil le contenu des voitures. Visiblement, Juve attendait quelqu’un et ce quelqu’un était en retard.

Le policier ne négligeait pas sa surveillance et assurément, si la personne qui l’attendait passait à proximité de lui, il ne manquerait pas de la voir. Néanmoins, tout en prêtant une minutieuse attention à ce qui se passait autour de lui, le policier ruminait de profondes pensées.

Depuis quelques jours les événements s’étaient déroulés autour de lui, tragiques, nombreux, presque sans interruption. Ils affectaient tous un même caractère, celui du mystérieux, de l’incompréhensible.

Tandis que le policier arpentait l’avenue des Acacias, quelqu’un faisait le même chemin dans le sens inverse.

Les deux hommes n’allaient pas tarder à se rencontrer. Le retardataire n’était autre que Nathaniel Marquet-Monnier. À peine remis de son émotion, le banquier de la rue Laffitte, pris dans l’engrenage des affaires, avait dû retourner au bureau. Il avait éprouvé en arrivant à Paris une extrême satisfaction en s’apercevant que nul dans son entourage n’était au courant de ce qui s’était passé. Il avait supplié Juve de ne rien faire savoir à la Sûreté qui, selon lui, commet très souvent des indiscrétions auprès des journalistes. Il avait très suffisamment confiance dans le policier et comptait que celui-ci éclaircirait le mystère, retrouverait les billets signés par son frère sans que la police eût à intervenir officiellement.

— Dites-moi, monsieur Juve, êtes-vous connu dans le monde ? je veux dire dans le monde qui fréquente les Acacias ?

— J’en doute fort, monsieur, je ne suis en aucune façon ce qu’on appelle une personnalité parisienne, je ne vais pas dans les salons et bien rarement aux premières représentations, je n’appartiens pas au Tout-Paris. Mais pourquoi me posez-vous cette question ?

— En arrivant ici j’ai rencontré un tas de gens, des amis, des clients, des connaissances. Si toutes ces personnes avec qui je suis en relations savaient qui vous êtes, elles pourraient s’étonner de nous voir ensemble.

— Si cela vous gêne, monsieur, nous pourrions marcher à dix mètres l’un de l’autre.

— Ce que j’en dis, ce n’est pas tant pour moi que pour mon frère, je redoute à chaque instant de voir éclater à son sujet un scandale irréparable.

Une superbe limousine venait de s’arrêter non loin d’eux. Une femme, fort élégante, en descendit. Avec des précautions infinies, des soins touchants, elle aida le jeune homme qui l’accompagnait à descendre de voiture. C’étaient Rita d’Anrémont et Sébastien.

La rencontre n’était pas fortuite. Après d’interminables pourparlers, il avait été entendu que les deux frères se rencontreraient ce matin-là au bois de Boulogne, c’est-à-dire en terrain neutre, et qu’ils causeraient librement, seul à seul, en tête à tête.

Juve avait dû user de toute sa diplomatie pour obtenir ce résultat. Rita d’Anrémont ne tenait pas du tout à cette entrevue et Nathaniel Marquet-Monnier répugnait aux démarches qu’il lui aurait fallu faire auprès de son frère cadet pour être reçu par lui.

Mais Rita d’Anrémont, qui avait pris le bras de l’aveugle pour lui faire faire quelques pas sur le trottoir sablé de l’avenue, avait aperçu Nathaniel et Juve. Elle ne venait pas à leur rencontre. S’ils voulaient s’approcher, libre à eux. Elle semblait parfaitement décidée à les ignorer jusqu’à ce qu’ils fissent le premier pas. Le malheureux aveugle suivait, attaché à elle, errant dans cette foule comme une épave.

— Jamais, murmura le banquier, jamais nous n’arriverons à l’arracher à cette femme.

— Ayez du courage, voyons, monsieur Marquet-Monnier, faites votre devoir, les bonnes causes sont toujours gagnées d’avance.

— Je ne peux pas aborder mon frère tant qu’il sera avec cette femme.

— Attendez-moi là, fit Juve.

Puis, se faufilant dans la foule, de plus en plus gaie, de plus en plus nombreuse, il aborda la belle Rita :

— Madame, dit-il, voulez-vous me permettre un instant de prendre le bras de votre ami pour le conduire à qui vous savez.

— Mon frère est là ? demanda Sébastien qui venait de reconnaître la voix de Juve.

— Oui, monsieur, il vous attend.

Se forçant à sourire pour dissimuler une grimace de dépit, Rita d’Anrémont dut s’incliner :

— Qu’il soit fait comme vous le désirez, monsieur, répondit-elle à Juve. Mais elle ajouta, menaçante :

— Mais je vous en prie, que cela ne dure pas trop longtemps, nous déjeunons tout à l’heure, Sébastien et moi, chez des amis.

Comme il arrivait près de Nathaniel, Juve dit à Sébastien :

— Voici votre frère, causez avec lui.

Puis, par discrétion, Juve s’éloigna, mais sans perdre de vue les deux hommes. Le policier s’était dit que pendant leur conversation il irai parler à la demi-mondaine et tâcherait d’obtenir quelques renseignements. Mais, volontairement ou non, l’entretien paraissait impossible pour le moment. Rita d’Anrémont n’avait pas attendu le retour de Juve. Connue comme elle l’était, elle n’avait pas tardé à être entourée d’un groupe d’admirateurs et d’amis qui l’interrogeaient avec avidité sur l’agression dont elle prétendait avoir été l’objet et dont on avait beaucoup parlé, sur le malheur aussi qui s’était abattu sur son amant. À toutes les questions qui lui étaient posées, Rita d’Anrémont répondait que désormais toute son existence était vouée à la malheureuse victime, que vraisemblablement ils abandonneraient bientôt la vie parisienne et qu’ils s’en iraient cacher leur amour et leur malheur en province, à la campagne, au bord de la mer, ils ne le savaient pas encore, mais assurément loin du bruit, du mouvement, du monde.

Pendant ce temps, Nathaniel et Sébastien étaient tombés dans les bras l’un de l’autre, et l’aveugle, la tête appuyée sur l’épaule de son aîné, avait sangloté doucement.