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Le besoin de soleil l’empoigna. Il faisait trop noir, il faisait trop froid là-dedans, dans le tunnel, et la puanteur de mort et de sang y était par trop suffocante. Jon rendit la lanterne à Clydas, s’effaça pour contourner les cadavres et se glisser à travers la grille démantibulée, puis s’avança vers le jour sous couleur d’aller se rendre un peu compte de l’état des choses, au-delà de la porte démolie.

La gigantesque carcasse d’un mammouth mort bloquait en partie l’issue. Le manteau de Jon se prit au passage dans l’une des défenses et s’y fit un accroc. Au-delà gisaient trois nouveaux géants, à demi ensevelis sous des amas de neige fondue, de pierres et de poix solidifiée. A chacun des endroits où les flammes avaient endommagé le Mur, constata Jon en levant les yeux, d’immenses plaques de glace ramollies par la chaleur s’en étaient détachées pour venir s’écraser sur le sol noirci. Les lacunes y étaient aussi dérisoires qu’impressionnantes. Fou, la masse qu’il représente et l’allure menaçante qu’il a, vu d’ici, comme ça, en suspens…

Il retourna auprès de ses compagnons, dedans. « Il nous faut réparer tant bien que mal la porte extérieure et puis boucher cette section-ci du tunnel. Avec des gravats, de la glace, n’importe quoi. Si possible jusqu’à la deuxième porte. A ser Wynton d’assumer le commandement, il est le dernier chevalier restant, mais il va falloir qu’il le fasse tout de suite, les géants vont revenir, et sans nous prévenir. Nous devrons lui dire…

— Dis-lui ce que tu voudras, l’interrompit mestre Aemon d’un ton doux. Il sourira, hochera la tête et oubliera. Voilà trente ans, une douzaine de voix se portèrent sur ser Wynton Stout. Il aurait effectivement fait un excellent lord Commandant. Il en aurait encore été capable voilà dix ans. Mais plus maintenant. Tu le sais aussi bien, Jon, que le savait Donal. »

Il était inutile de le nier. « A vous, dans ce cas, de donner l’ordre, répliqua Jon. Vous avez passé toute votre vie sur le Mur, les hommes vous suivront. Il faut absolument que nous fermions la porte.

— Je ne suis qu’un mestre à chaîne et assermenté. Mon ordre sert, Jon. Nous donnons des conseils, pas des ordres.

— Il faut bien que quelqu’un…

— Toi. A toi de mener.

— Non.

— Si, Jon. Cela ne devrait pas être bien long. Jusqu’à ce que la garnison revienne, c’est tout. Le choix de Donal s’était porté sur toi, tout comme auparavant celui de Qhorin Mimain. Le lord Commandant Mormont avait fait de toi son aide de camp. Tu es un fils de Winterfell, un neveu de Benjen Stark. Ce doit être toi ou personne. Le Mur t’appartient, Jon Snow. »

ARYA

Elle le sentait à chacun de ses réveils, le matin, ce trou qui la creusait intérieurement. Ça n’était pas la faim, même si ça l’était aussi, quelquefois. Ça lui faisait comme un vide, comme un désert à l’endroit où elle avait eu le cœur, à l’endroit où ses frères avaient vécu, eux et puis ses parents. La tête aussi lui faisait mal. Pas si mal qu’au tout début, bon, mais sacrément mal quand même encore. Seulement, ça, elle avait fini par s’y habituer, puis la bosse, au moins, se rapetissait petit à petit. Tandis que le trou, dedans, il restait exactement pareil. Le trou ne se sentira jamais mieux, se persuadait-elle à l’heure du coucher.

Il y avait des matins où ce qu’elle voulait, c’était rien que ne pas se réveiller du tout. Où, vachement pelotonnée sous son manteau, les yeux vachement fermés, elle tâchait, c’est tout, de se forcer à se rendormir. Que le Limier vous lui foutrait seulement la paix, là, c’est jour et nuit qu’elle aurait roupillé.

Et rêvé. Ce qu’il y avait de plus chouette, là-dedans, rêver. Elle rêvait de loups la plupart des nuits. D’une grande meute de loups, plus elle à leur tête. Elle était plus grande qu’aucun d’entre eux, la plus forte et la plus vive et la plus véloce. Capable de battre à la course tous les chevaux du monde et au combat n’importe quel lion. Qu’elle dénudât simplement ses crocs, tiens, hé bien, même les hommes prenaient la fuite, et ça ne durait pas longtemps, qu’elle reste le ventre vide, et le vent pouvait bien souffler tout le froid qu’il savait, taratata, sa fourrure lui tenait chaud. Et puis elle avait à ses côtés ses frères et ses sœurs, tout plein, des tas, et féroces, et terribles, et àelle. Et puis qui ne la quittaient pas d’une semelle et ne la quitteraient jamais.

Cependant, si ses nuits foisonnaient de loups, ses jours étaient l’apanage du chien. Tous les matins, qu’elle le veuille ou non, Sandor Clegane la faisait se lever. Il l’agonisait, de sa voix râpeuse, ou bien, la plantant de force sur ses pieds, la secouait comme un prunier. Une fois même, il n’avait pas craint de lui balancer un heaume plein d’eau froide en pleine bouille. Elle se leva d’un bond, ahurie de tremblote et de bafouillages, et tenta de se venger par des coups de pied, mais lui, ça ne le fit que rigoler. « Sèche-toi, puis donne à bouffer aux putains de chevaux », dit-il, et elle s’exécuta…

Des chevaux, ils en avaient deux, maintenant, Etranger et une alezane palefroi qu’elle avait baptisée Pétoche, parce que Sandor la soupçonnait fort de s’être échappée des Jumeaux comme eux. Ils l’avaient découverte errant sans cavalier, le lendemain de la tuerie, dans les champs. C’était une assez bonne bête, mais Arya ne pouvait éprouver d’affection pour elle, en raison de sa pleutrerie. A sa place, Etranger se serait battu. Cela ne l’empêchait pas de la bichonner de son mieux, pire étant, tout bien pesé, d’avoir à partager la selle du Limier. Et toute pleutre qu’elle avait pu se montrer, Pétoche ne manquait ni de jeunesse ni de vigueur. Elle aurait peut-être même, estimait Arya, les moyens de distancer Etranger, le cas échéant…

Le chien ne la surveillait plus d’aussi près, désormais. Il semblait parfois à peine se soucier qu’elle reste ou qu’elle s’en aille, et il avait cessé de la saucissonner, la nuit, dans un manteau. Une de ces nuits, je le tuerai pendant qu’il dort, se promettait-elle, mais elle ne le faisait pas. Un de ces jours, je me tirerai sur Pétoche, et il pourra toujours courir pour me rattraper, se promettait-elle, mais sans en rien faire non plus. Où aller, d’abord ? Winterfell n’était plus. A Vivesaigues, il y avait bien le frère de son grand-père, mais il ne la connaissait pas, et elle ne le connaissait pas davantage. Peut-être bien qu’à La Glandée lady Petibois consentirait à la recueillir, mais peut-être aussi pas. Sans compter qu’encore fallait-il laretrouver, La Glandée, et elle n’était pas du tout sûre de le pouvoir. Des fois, elle envisageait de retourner à l’auberge de Sherna, si du moins les flots n’avaient pas emporté celle-ci. Elle y aurait Tourte pour compagnie, ou bien, qui sait ? lord Béric finirait par l’y dénicher. Anguy lui enseignerait le maniement de l’arc, et elle aurait la possibilité de chevaucher aux côtés de Gendry et d’être une hors-la-loi, comme la Wenda Faonblanc des chansons.

Mais ce n’étaient que des idioties, tout ça, des trucs, tiens, comme aurait pu en rêver Sansa. Tourte et Gendry te l’avaient, là, laissée tomber dès la seconde où ils avaient pu, et lord Béric ou ses brigands, tout ce qu’ils voulaient, c’est la rançonner, pareil que le Limier, rien de plus. Aucun d’entre eux ne la souhaitait dans ses parages, aucun. Ils n’ont jamais été ma meute, pas même Tourte et Gendry. J’ai été stupide de m’imaginer le contraire, rien qu’une mouflette stupide, pas loup pour un sou.