Le rire de Sandor se métissa d’un grondement. « La petite chienne de loup souhaite rallier la Garde de Nuit, c’est bien ça, hein ?
— Mon frère est sur le Mur », répondit-elle d’un air têtu.
Sa bouche se tordit. « Le Mur est à mille lieues d’ici. Nous faudrait passer sur le corps des putains de Frey rien que pour parvenir au Neck. Il y a des lézards-lions, dans ces marécages, qui s’envoient des loups, chaque matin, comme petit déjeuner. Et si d’aventure nous parvenions au nord avec notre peau sur le dos, des Fer-nés y occupent la moitié des châteaux, plus des milliers de putains de bougres nordiens.
— Et ils vous font peur ? demanda-t-elle. Vous êtes si dégonflé que ça ? »
Pendant un bon moment, elle crut qu’il allait cogner. Mais, pour lors, le lièvre était bien roussi, grésillant, et sa graisse pétillait en gouttant dans les braises. Sandor le retira de la broche, le partagea d’une simple traction de ses deux pattes énormes, et en jeta une moitié dans le giron d’Arya. « Ce n’est pas du tout que je manque d’air, déclara-t-il en détachant de la sienne une cuisse, mais je ne donnerai pas un pet de lapin pour toi ou pour ton frère. J’en ai un, moi aussi, de frère. »
TYRION
« Enfin, Tyrion…, dit ser Kevan Lannister d’un ton las, si tu es véritablement innocent de la mort de Joffrey, tu ne devrais pas avoir de difficulté à le prouver durant le procès… »
Tyrion se détourna de la fenêtre. « Qui dois-je avoir pour juges ?
— La justice appartient au trône. Le roi est mort, mais ton père est toujours la Main. Etant donné que c’est son propre fils qui se trouve en posture d’accusé et que la victime était son propre petit-fils, il a prié lord Tyrell et le prince Oberyn de siéger à ses côtés comme assesseurs. »
Ce n’était guère rassurant. Mace Tyrell avait été le beau-père de Joffrey, quoique brièvement, et la Vipère Rouge était… était un serpent, là. « Serai-je autorisé à réclamer un duel judiciaire ?
— Je ne le conseillerais pas.
— Pourquoi donc ? » Ce recours l’avait sauvé, dans le Val, pourquoi pas ici ? « Répondez-moi, mon oncle. Serai-je autorisé à réclamer un duel judiciaire, ainsi qu’un champion, pour administrer la preuve de mon innocence ?
— Certainement, si tel est ton désir. Autant que tu le saches, cependant, ta sœur entend désigner pour son champion ser Gregor Clegane, en cas de duel de ce genre. »
La garce, elle contre mes gestes avant même que je n’aie bougé. Dommage qu’elle n’ait pas jeté son dévolu sur un Potaunoir… Bronn n’aurait fait qu’une bouchée de n’importe lequel des trois frères, mais la Montagne-en-marche était une marmite d’un tout autre métal. « Je vais avoir besoin d’y songer à tête reposée. » Besoin d’en parler à Bronn, et vite. Il préférait ne pas penser à ce que risquait de lui coûter cette aventure-ci. Bronn se faisait une haute idée de la valeur de sa précieuse peau. « Est-ce que Cersei produit des témoins à ma charge ?
— Davantage de jour en jour.
— Alors, il me faut avoir des témoins à moi.
— Dis-moi qui tu comptes produire, et ser Addam chargera le Guet de les amener au procès.
— Je préférerais les trouver moi-même.
— Tu es inculpé de régicide et de parricide. Tu ne te figures quand même pas qu’on va te permettre d’aller et venir à ta guise ? » La main de ser Kevan désigna la table. « Tu as là des plumes, de l’encre et du parchemin. Ecris les noms de ceux que tu requiers en tant que témoins, et je ferai tout mon possible pour les produire, je t’en donne ma parole de Lannister. Mais tu ne quitteras cette tour que pour te rendre au procès. »
Tyrion n’entendait pas s’abaisser jusqu’à mendier. « Permettrez-vous à mon écuyer d’aller et venir ? Le petit Podrick Payne ?
— Certainement, si tel est ton désir. Je vais te l’envoyer.
— Faites-le. Plus tôt vaudrait mieux que plus tard, et sur-le-champ vaudrait mieux que plus tôt. » Il chaloupa vers l’écritoire. Mais, en entendant la porte s’ouvrir, il se retourna et lança : « Oncle ? »
Ser Kevan s’immobilisa. « Oui ?
— Je n’y suis pour rien.
— Je voudrais pouvoir le croire, Tyrion. »
Une fois la porte refermée, Tyrion se hissa dans le fauteuil, tailla une plume et attira à lui une feuille blanche. Qui parlera en ma faveur ? Il trempa la plume dans l’encrier.
La feuille était toujours vierge quand se présenta Podrick Payne, quelque temps plus tard. « Messire », dit le gamin.
Tyrion reposa la plume. « Trouve-moi Bronn, et ramène-le tout de suite. Dis-lui qu’il y a de l’or à la clef, plus d’or qu’il n’en a jamais rêvé, et débrouille-toi pour ne pas revenir sans lui.
— Oui, messire. Je veux dire non. Je ne le ferai pas. Revenir. » Et il s’éclipsa.
Il n’était toujours pas de retour au crépuscule. Ni quand se leva la lune. Tyrion finit par s’assoupir sur la banquette de la fenêtre et ne se réveilla, raide et courbatu, qu’à l’aube. Un serviteur lui apporta de la bouillie d’avoine et des pommes pour son déjeuner, ainsi qu’une corne de bière. Il s’attabla pour manger, la feuille vierge sous les yeux. Une heure plus tard, l’homme reparut pour desservir. « Tu n’as pas vu mon écuyer ? » lui demanda Tyrion. L’autre secoua simplement la tête.
Avec un soupir, il retourna à sa table et, à nouveau, trempa la plume. Sansa, inscrivit-il sur le parchemin. Et il demeura là, les yeux attachés à ce nom, les dents si durement serrées qu’elles lui faisaient mal.
A supposer que Joffrey ne se fut pas tout bonnement étouffé avec un morceau de tourte, hypothèse que même Tyrion trouvait dure à avaler, Sansa devait l’avoir empoisonné. Joff lui a quasiment fourré sa coupe sur les genoux, et il ne l’avait que trop abreuvée de griefs. Quelques doutes qu’il eût pu nourrir à cet égard, ceux-ci s’étaient évanouis avec la disparition de sa femme. Une seule chair, un seul cœur et une seule âme. Sa bouche se tordit. Elle n’a pas perdu de temps pour prouver dans quelle estime elle tenait ces serments, n’est-ce pas ? Hé bien, nabot, tu t’attendais à quoi ?
Et pourtant…, où diable Sansa se serait-elle procuré du poison ? Il ne pouvait croire que la jeune fille eût agi seule, en l’occurrence. Est-ce que je tiens réellement à la retrouver ? Et les juges, eux, croiraient-ils que son enfant d’épouse avait empoisonné un roi à son insu à lui, son seigneur et maître ? A leur place, moi, je n’en ferais rien. Cersei, elle, ne manquerait pas d’affirmer qu’ils avaient conjointement perpétré le crime…
Malgré cela, il remit le parchemin tel quel à son oncle le lendemain. Ser Kevan s’en renfrogna. « Lady Sansa est ton unique témoin ?
— Je penserai à d’autres le moment venu.
— Tu ferais mieux d’y penser maintenant. Les juges comptent ouvrir le procès dans trois jours d’ici.
— C’est trop tôt. Vous m’avez claquemuré ici sous bonne garde, comment faut-il que je m’y prenne pour dénicher des témoins de mon innocence ?
— Ta sœur n’a eu aucune difficulté pour trouver des témoins de ta culpabilité. » Ser Kevan roula le parchemin. « Ser Addam a lancé des hommes aux trousses de ta femme. Varys a offert cent cerfs pour quiconque révélerait où elle se trouve, et cent dragons pour qui la lui livrerait en personne. S’il est possible de la retrouver, elle sera retrouvée, et je te l’amènerai. Je ne vois pas de mal à ce que mari et femme partagent la même cellule et se réconfortent mutuellement.