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Robert d’Artois, le jour qu’il en fut informé, alla quérir aussitôt Mortimer et l’entraîna chez Charles de Valois. Il débordait de joie et de fierté, Monseigneur d’Artois ; il riait plus fort que de coutume et donnait à ses familiers d’amicales tapes qui les envoyaient rebondir contre les murs. Enfin l’on tenait l’occasion, née de son inventive cervelle !

L’affaire fut aussitôt évoquée au Conseil étroit ; on fit les représentations d’usage, et les coupables du sac de Saint-Sardos se virent assignés devant le parlement de Toulouse. Allaient-ils se présenter, reconnaître leurs torts, faire soumission ? On le craignait.

Par chance, l’un d’entre eux, un seul, Raymond Bernard de Montpezat, refusa de se rendre à la convocation. Il n’en fallait pas davantage. On rendit un jugement par défaut, et Jean de Roye, qui avait succédé à Pierre-Hector de Galard comme grand maître des arbalétriers, fut envoyé en Guyenne avec petite escorte afin de se saisir du sire de Montpezat, de ses biens, et de présider au démantèlement de son château. Or ce fut le sire de Montpezat qui l’emporta. Il retint prisonnier Jean de Roye et exigea rançon pour le rendre. Le roi Édouard n’était pour rien dans cet incident mais son cas s’aggravait par la force des choses ; et Robert d’Artois exultait. Car un grand maître des arbalétriers n’est pas un homme qu’on séquestre sans qu’il s’ensuive des conséquences graves !

De nouvelles représentations furent adressées au roi d’Angleterre, directement cette fois, et assorties d’une menace de confiscation du duché. Au début d’avril, Paris vit arriver le comte de Kent, demi-frère du roi Édouard, secondé de l’archevêque de Dublin ; ils venaient proposer à Charles IV, pour régler leur différend, de renoncer tout simplement à l’hommage d’Édouard. Mortimer, qui rencontra Kent à cette occasion – leurs rapports restèrent courtois bien que leur situation fût difficile – lui démontra l’inutilité totale de cette démarche. Le jeune comte de Kent en était d’ailleurs lui-même persuadé ; il s’acquittait de sa mission sans plaisir. Il repartit en emportant le refus du roi de France, transmis de méprisante manière par Charles de Valois. La guerre inventée par Robert d’Artois semblait sur le point d’éclater.

Mais voici que dans le même temps la nouvelle reine, Marie de Luxembourg, mourut brusquement, à Issoudun, en accouchant avant terme d’un enfant qui n’était pas viable.

On ne pouvait décemment déclarer la guerre pendant le deuil, d’autant que le roi Charles était vraiment très abattu et presque incapable de tenir conseil. Le sort le poursuivait, décidément, dans son destin d’époux. Trompé d’abord, ensuite veuf… Il fallut que Valois, tout souci cessant, s’employât à découvrir une troisième épouse au roi, lequel s’inquiétait, devenait aigre, et reprochait à chacun le manque d’héritier où se trouvait le royaume.

Lord Mortimer dut donc attendre qu’on ait réglé cette affaire…

Monseigneur de Valois eût volontiers proposé une de ses dernières filles à marier, si les âges avaient pu s’assortir ; malheureusement même l’aînée, celle qui avait été offerte naguère au prince héritier d’Angleterre, ne comptait pas douze ans. Et Charles le Bel n’était guère enclin à patienter.

Restait une autre cousine germaine, fille celle-là de Monseigneur Louis d’Évreux, défunt à présent, et nièce de Robert d’Artois. Cette Jeanne d’Évreux n’avait guère d’éclat mais était bien faite, et, surtout, elle avait l’âge requis pour être mère. Monseigneur de Valois, plutôt que d’engager de longues et difficiles tractations au-delà des frontières, encouragea toute la cour à pousser Charles vers cette union. Trois mois après la mort de Marie de Luxembourg, une nouvelle dispense était demandée au pape.

Le mariage eut lieu le 5 juillet. Quatre jours plus tôt, Charles avait décidé la confiscation de l’Aquitaine et du Ponthieu pour révolte et défaut d’hommage. Le pape Jean XXII, comme il le jugeait de sa mission chaque fois qu’éclatait un conflit entre deux souverains, écrivit au roi Édouard, l’engageant à venir prêter l’hommage pour qu’un des points du litige au moins fût apaisé. Mais l’armée de France était déjà sur pied et se rassemblait à Orléans, tandis qu’une flotte s’équipait dans les ports pour attaquer les côtes anglaises.

Parallèlement, le roi d’Angleterre avait ordonné quelques levées d’hommes en Aquitaine, et messire Ralph Basset réunissait ses bannières ; le comte de Kent revenait en France, mais par l’Océan cette fois, et pour exercer dans le duché la lieutenance que lui avait commise son demi-frère.

Allait-on partir ? Non, car il fallut encore que Monseigneur de Valois courût à Bar-sur-Aube pour y conférer avec Léopold de Habsbourg au sujet de l’élection au Saint Empire, et conclure un traité par lequel Habsbourg s’engageait à ne point être candidat, moyennant sommes d’argent, pensions et revenus dès à présent fixés, dans le cas où Valois serait élu empereur. Roger Mortimer attendait toujours…

Enfin le 1er août, par une chaleur écrasante où les chevaliers cuisaient comme en marmite sous leur cuirasse, Charles de Valois, superbe, lourd, portant cimier à son casque et cotte brodée d’or par-dessus son armure, se fit élever en selle. Il avait à ses côtés son second fils, le comte d’Alençon, son neveu Philippe d’Évreux, nouveau beau-frère du roi, le connétable Gaucher de Châtillon, Lord Mortimer de Wigmore, et enfin Robert d’Artois qui, monté sur un cheval à sa taille, pouvait surveiller toute l’armée.

Monseigneur de Valois partant pour cette campagne, sa seconde campagne de Guyenne, qu’il avait voulue, décidée, fabriquée presque, était-il joyeux, heureux ou simplement satisfait ? Nullement. Il était d’humeur morose, parce que Charles IV avait refusé de signer sa commission de lieutenant général du roi en Aquitaine. Si quelqu’un vraiment avait droit à ce titre, n’était-ce pas Charles de Valois ? Et quel visage faisait-il, alors que le comte de Kent, ce damoiseau, ce nourrisson, avait reçu, lui, la lieutenance du roi Édouard !

Le roi Charles le Bel, qui n’était capable de décider de rien, avait ainsi de brusques et bizarres obstinations à refuser ce qu’on lui demandait de plus évidemment nécessaire. Charles de Valois pestait ferme ce jour-là et ne cachait pas à ses voisins la petite opinion dans laquelle il tenait son neveu et souverain. En vérité, ce niais couronné, cet oison, valait-il qu’on se donnât tant de peine à gouverner pour lui le royaume ?

Le vieux connétable Gaucher de Châtillon, qui commandait théoriquement l’armée, puisque Valois n’avait pas de commission officielle, plissait ses paupières de tortue sous son heaume de forme démodée. Il était un peu sourd, mais à soixante-quatorze ans, faisait encore bonne figure en selle.

Lord Mortimer avait acheté ses armes chez Tolomei. Sous la ventaille levée de son casque, on voyait briller ses yeux aux reflets durs, de la même couleur que l’acier neuf. Comme il marchait, par la faute de son roi, contre son pays, il portait une cotte d’armes de velours noir, en signe de deuil. La date de ce départ, il ne l’oublierait pas : on était le 1er août 1324, fête de Saint-Pierre-ès-Liens, et il y avait un an, jour pour jour, qu’il s’était évadé de la tour de Londres.

VI

LES BOUCHES À FEU

L’alarme surprit le jeune comte Edmond de Kent allongé sur le dallage d’une chambre du château où il cherchait en vain quelque fraîcheur. Il s’était à demi dévêtu et gisait là, en chausses de toile et torse nu, bras écartés, immobile, terrassé par l’été du Bordelais. Son lévrier favori haletait à côté de lui.