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À la fin du dîner, il m'a donné son numéro de téléphone. Elizabeth m'a ramenée chez moi. En bas de l'immeuble, elle a laissé le moteur tourner.

— Je ne savais pas…, a-t-elle commencé, d'un air embarrassé.

Je lui ai répondu que, moi non plus, je ne savais pas que ça s'était passé là, tout près, et que ça m'avait fait un drôle d'effet.

Elle m'a regardée d'un air étrange. Elle a commencé à dire quelque chose, mais j'avais déjà claqué la portière.

En remontant chez moi, dans l'ascenseur, j'ai compris qu'elle avait parlé d'Helena.

Pas de Gisèle.

Quelques jours plus tard, à l'heure du déjeuner, j'étais revenue dans le quartier de l'Opéra. Sur la porte d'entrée de Gisèle, il y avait un code. J'ai attendu quelques minutes, puis j'ai profité de la sortie d'une dame pour entrer dans l'immeuble. Je me suis retrouvée dans un passage pavé, calme, où les bruits de la ville ne pénétraient pas. Les façades étaient anciennes, lézardées. Le soleil ne devait pas y briller souvent.

Quelque part, derrière une de ces fenêtres, l'homme avait tué pour la deuxième fois. Malgré la chaleur qui régnait sur la ville, j'ai frissonné. J'imaginais le piano de Gisèle qui résonnait dans la petite cour, des notes graves, limpides et gaies, comme elle. Comme ce qu'elle avait été avant de croiser l'homme, le dernier soir de sa vie.

— Vous cherchez quelqu'un ?

La voix m'a fait sursauter. Je me suis retournée pour découvrir un vieillard accoudé à sa balustrade, au premier. J'ai répondu que non. Je regardais l'immeuble, voilà tout. J'ai fait mine de partir. En sortant, j'ai senti ses yeux dans mon dos. Je me suis demandé s'il se doutait de la raison de ma venue. D'autres personnes s'étaient-elles rendues ici, dans ce petit passage silencieux, sur les traces de Gisèle, sur les traces d'un assassin ?

Une dernière fois, je me suis retournée avant d'ouvrir la porte cochère qui donnait sur la rue. Le vieil homme me regardait toujours, du fond de la petite impasse ombragée. Ses yeux avaient une expression curieuse.

J'ai eu honte, comme si le fait de venir ici, de contempler la dernière demeure de Gisèle, était un acte méprisable.

— Vous avez plu à Robert, m'a dit Elizabeth. Il aimerait bien vous revoir.

Karine et Sandra, visiblement au courant de notre sortie, m'avaient adressé des sourires complices.

— Oh, Pascaline, ce nouveau maquillage, a dit Sandra. Vous devriez vous mettre comme ça plus souvent. Vous êtes toute belle !

— C'est vrai, ça vous rajeunit, approuva Karine.

Elizabeth était aux anges. Je ne pouvais pas lui en vouloir. Elle semblait si heureuse de veiller sur moi.

Plus tard, j'ai pensé à Robert. Avais-je envie de le revoir ? Pourquoi pas ! Il fallait bien vivre à nouveau. Je n'avais pas eu d'amant depuis le départ de Frédéric. Ça faisait presque un an. Il était peut-être temps de me secouer un peu. Robert avait l'air d'être quelqu'un de bien. Il m'avait parlé de son divorce, de ses fils adolescents qu'il voyait un weekend sur deux. Son travail ? Je ne m'en souvenais plus. Je ne me rappelais pas notre conversation lors du dîner avec Elizabeth.

J'ai fini par accepter de le retrouver un soir pour prendre un verre, près de mon bureau. Elizabeth m'a prêté une veste en cuir noir. Elle m'a obligée à me poudrer les joues avec du rose irisé et à mettre un rouge à lèvres onctueux. Elle n'avait pas eu tort, le résultat était seyant. De nouveau, la jolie fille dans la glace.

En attendant Robert, je me suis souvenue des débuts avec Frédéric. Il était toujours en retard. Lorsqu'il arrivait enfin, la plupart des femmes se retournaient pour le regarder. Au début, j'en avais été fière. Puis, j'en avais ressenti une certaine jalousie, et enfin, un agacement et une lassitude.

Personne ne regardait Robert, mais lui ne voyait que moi. C'était agréable de se retrouver seule avec un homme. Robert était gentil. Il a dit qu'il me trouvait belle. Attirante. Je me suis sentie merveilleusement à l'aise. Mon rire me paraissait mélodieux, ce que je disais, brillant. Peut-être avais-je un peu trop bu.

Nous sommes allés dans un bistrot près de chez moi. L'alcool a encore coulé pendant le dîner. Sous la table, Robert caressait mon genou, ma cuisse. Ça faisait si longtemps. Je lui ai demandé de me ramener. Dans l'ascenseur, Robert m'a embrassée d'une façon malhabile, comme le font les adolescents. Ses dents ont buté contre les miennes. J'ai été secouée par une crise de fou rire. Une fois à l'étage, impossible de trouver mes clefs au fond de mon sac. Nouvelle crise de rire. Il s'est joint à moi. Nous avons ri tous les deux à perdre haleine, appuyés contre le mur.

En déverrouillant enfin la porte, j'ai entendu la voix d'Elizabeth dans un coin de ma tête. « Le voilà chez vous, Pascaline. C'est le moment. Il est libre, vous aussi. Pas question de jouer la sainte-nitouche. »

Je me suis retrouvée dans ma chambre, sur mon lit, avec Robert sur moi. Nous étions nus. Comment ? Qui avait déshabillé qui ? Impossible à dire. Tout s'était déroulé très vite. Mais les mains de Robert n'avaient rien à voir avec celles de Frédéric. Ni son odeur, ni sa peau, ni le goût de ses lèvres. Quelque chose en lui me répugnait. Je n'aimais pas la texture de ses cheveux, le grain de sa peau. Je n'avais pas envie de faire l'amour avec lui. Comment lui dire non ? Il était monté ici, je l'avais invité. Il était gentil. Je n'allais pas me refuser à lui maintenant que j'étais nue dans ses bras. Il fallait faire semblant. Faire semblant de désirer un homme dont je ne savais rien et qui ne me faisait aucun effet. J'ai fermé les yeux et j'ai accepté ses mains sur mon corps, puis son sexe qui s'immisçait en moi. Il fallait penser à autre chose. Ce serait vite fini. Après il rentrerait chez lui. Penser à Frédéric, qui lui, était doué au lit. Frédéric était un amant gourmand, imaginatif, généreux. Il parlait pendant l'amour, il disait que j'étais belle, et qu'il m'aimait. Même vers la fin, il l'avait dit. Le pensait-il ? C'était trop tard pour le savoir. Je ne ferai plus jamais l'amour avec mon ex-mari. Il ne me restait que des souvenirs, des images. L'expression qu'il avait au moment de jouir. Sa façon de me tenir contre lui, comme s'il ne me lâcherait pas de la nuit.

Malgré mes efforts, je ne parvenais pas à calquer Frédéric sur Robert. C'était impossible. Frédéric s'estompait, fugace. Robert s'imposait, pesant, maladroit. Le présent avait empiété sur le passé. Robert était parfois brutal. Il n'avait pas le toucher précis et aérien de Frédéric. L'image de Frédéric s'est envolée. J'ai levé les yeux au plafond, et j'ai attendu que ça se passe.

En regardant le plafond, j'ai subitement pensé à elles. À Anna, d'abord, morte dans mon ancienne chambre. Elle avait dû se retrouver dans cette même position, allongée sur le dos, jambes écartées, à subir un homme et à regarder le plafond, impuissante. Tandis que je subissais Robert, je n'ai pu penser à rien d'autre qu'aux jeunes filles, au viol qu'elles avaient enduré avant de mourir. L'homme les avait ligotées et bâillonnées. Il avait tailladé leurs sous-vêtements. Elles allaient mourir. Le savaient-elles tandis qu'il allait et venait en elles, la pointe du couteau enfoncée dans leur chair comme un deuxième sexe ?

Dans la pénombre de la chambre, il n'y avait plus que les épaules et la tête de Robert devant le vide de mon regard. Les épaules et la tête d'un homme qui me pénétrait, à qui je n'avais pas eu le courage de dire non, alors qu'il n'avait fait naître chez moi ni excitation, ni désir. L'acte se prolongeait, interminable. Insoutenable. Ce n'était plus Robert, logé au plus intime de moi-même. Ce n'était plus Frédéric, qui m'avait quittée pour une autre. C'était un homme, un homme comme le meurtrier, qui faisait les mêmes gestes, les mêmes mouvements, qui poussait les mêmes grognements, au bassin qui allait et venait, inexorable, à un rythme qui n'en finissait plus. J'avais beau fermer les yeux, je voyais toujours l'homme allongé sur les jeunes filles, dans leur chambre, sur leur lit. Je le voyais en train de les violer. Le silence pesant de ma chambre était le silence atroce des sept viols, le supplice des sept jeunes filles à la bouche bâillonnée, aux poignets ligotés, qui n'avaient que quelques instants à vivre avant qu'il leur tranche la gorge, une fois son plaisir atteint. Les mouvements de l'homme devenaient de plus en plus rapides, de plus en plus saccadés. Il ne faisait pas l'amour, il violait. Il n'y avait rien de tendre, rien de doux dans ses gestes. Son sexe était une arme, au même titre que la lame de son couteau. L'homme s'était mis à haleter, à souffler. Je ne voulais pas l'entendre, mais il faisait trop de bruit. C'était bientôt la fin. Il allait jouir, puis il allait tuer. Il avait fait ça sept fois.