Выбрать главу

Au moment où Fandor et Louppe rejoignaient Juve, celui-ci laissa échapper une exclamation de surprise, cependant qu’il se jetait à genoux sur le sol :

— Fandor, avait crié Juve sur un ton ému qui faisait frémir le journaliste.

Fandor aussitôt accourut.

— Regarde, fit Juve, désignant l’aiguille, au bas du rail.

Fandor ayant regardé demeura stupéfait, silencieux, mais la petite Louppe, qui s’était approchée, poussa, elle aussi, un cri horrifié.

Moins maîtresse d’elle-même que les deux hommes, elle hurla :

— Mon Dieu, c’est épouvantable ! Une main ! La main d’un type ! Comment se fait-il qu’elle se trouve dans l’aiguille ? sûr que c’est le train qui l’a coupée. Eh bien, après ce que j’ai vu, me voilà les sangs retournés pour au moins quarante-huit heures.

***

Le rapide de la Côte d’Azur avait repris sa marche régulière. La plupart des voyageurs s’étaient rendormis dans leurs compartiments, n’ayant rien compris à ce qui s’était passé.

Louppe avait retrouvé la compagnie de son député.

Seuls, Fandor et Juve demeuraient éveillés.

Le policier, sitôt qu’il avait vu cette main humaine introduite entre l’aiguille et le rail et en maintenant la pointe de telle sorte que le train qui venait devait fatalement s’engager sur la voie de garage terminée par le butoir, avait cru que l’on se trouvait en présence d’un accident, quelque malheureux, surpris par le train, avait eu la main coupée. Le reste du corps devait se trouver ailleurs, non loin sans doute, et Juve s’était efforcé de regarder autour de lui pour retrouver les débris d’un cadavre sur lequel il comptait.

Mais, après un examen plus attentif, il reconnut qu’il s’agissait d’une main seule, d’une main appartenant à un cadavre qui n’était pas là, d’une main morte déjà depuis plusieurs heures, qu’on avait assurément introduite dans l’aiguille, à des fins décidées d’avance, encore que fort imprécises dans l’esprit du policier.

Juve avait fait connaître sa qualité au chef de train, puis au chef de gare de la petite station voisine que l’on avait été réveiller. Il avait obtenu sans peine l’autorisation de garder cette terrible pièce à conviction, et il avait repris sa place dans le compartiment, car l’essentiel était de repartir. Il n’y avait aucun mal. L’important consistait surtout désormais à regagner le temps perdu.

Tout cela s’était passé si vite que la plupart des voyageurs n’y avaient rien vu. Il y avait Louppe, cependant, Louppe qui s’était écriée :

— Mais c’est la bague d’Isabelle de Guerray. C’est une bague comme elle en a donné une à son amant.

Juve et Fandor qui ignoraient que semblable cadeau était un usage établi, presque une tradition, chez la vieille demi-mondaine, en arrivaient tout naturellement à une conclusion :

— Juve.

— Fandor.

— Que signifie tout cela ?

— Quelle coïncidence.

— Cette main de cadavre nous menace.

— Ou nous défie.

— Juve, on savait que nous étions dans le train.

— Fandor on veut nous défendre de nous occuper de cette affaire.

Et les deux hommes se turent.

Qui donc pouvait oser leur adresser semblable ultimatum ?

Déjà, le policier et le journaliste pensaient à…

7 – DE PLUS EN PLUS FORT

— Fandor ?

— Mon bon Juve ?

— Où t’imagines-tu que nous allons descendre ?

— Je n’en ai aucune idée. Vous tenez à un hôtel plutôt qu’à un autre ?

— Imbécile. Idiot. Crétin.

Tous deux venaient de descendre à la gare de Monaco, quittant avec joie ce train maléfique. Tous deux avaient pris congé, avec force promesse de se revoir, de leurs compagnons et de leurs compagnes de route, de la belle Daisy Kissmi, de Mario Isolino.

Et Juve continuait :

— Imbécile, triple imbécile ! Comment, voilà plus de dix ans que nous travaillons ensemble, et tu n’es pas encore capable, Fandor, au moment où nous débutons dans l’étude d’une affaire mystérieuse et intrigante, dangereuse aussi, de deviner à quel hôtel il faut descendre ?

— Juve, nous descendrons où vous voudrez. Mais je vous avoue que je n’ai aucune idée quant au choix de l’hôtel.

— Pourtant, Fandor, cela s’impose.

— Qu’est-ce qui s’impose, Juve ?

— Mais que nous devons descendre dans l’hôtel le plus moche.

— C’est toujours agréable. Et pourquoi cela, Juve ?

— Parce que j’imagine qu’on ne nous y attend pas.

Tandis que Fandor était rompu, éreinté à l’extrême par le dur voyage qu’il venait d’accomplir, voyage tragiquement interrompu par l’incident d’Arles et la menace implicite que cet incident comportait, Juve, au contraire, était frais et dispos, reposé, prêt à agir, exactement comme s’il eût quitté son lit depuis quelques minutes.

— Mon petit Fandor, les autruches sont des animaux stupides. Rien ne sert de se mettre la tête dans le sable pour fuir un danger. Autrement dit, nous agirions l’un et l’autre comme de véritables insensés si, parce que nous ne convenions pas du péril où nous sommes, nous pensions mieux y échapper.

— Juve, je vous donne toutes les médailles de chocolat du monde, et même un bâton de sucre d’orge si vous vous décidez à parler autrement que par énigmes. De quel danger nous menacez-vous ?

— De quel danger je nous menace, Fandor ? Voyons. La main retrouvée cette nuit dans l’aiguille d’Arles provient du cadavre de Norbert du Rand ? Nous sommes bien d’accord que c’est à peu près certain ?

— Oui, nous sommes d’accord, poursuivit Fandor, cela résulte de la bague identifiée par la jeune Louppe. Mais en quoi…

— En quoi ceci nous intéresse ? En cela, mon petit, que ce n’est pas par hasard, à coup sûr, qu’un assassin s’est donné la peine de tuer un individu sur la ligne de Vintimille à Nice, puis d’aller faire retrouver sa main par toi et moi sur la ligne de Paris-Marseille.

— Non, Juve. Mais…

— Attends. Donc, si ce n’est pas l’effet du hasard, c’est le résultat d’une volonté bien arrêtée. La volonté de qui ? tu l’as deviné ?

— Non.

— Alors, écoute : l’homme qui a fait cela, l’a fait, à coup sûr, pour tâcher de nous retenir, toi et moi, à l’endroit où nous avons découvert cette main. Maintenant, dis-moi, Fandor, quel homme imagines-tu ayant intérêt à nous écarter de Monaco, où un crime extraordinaire vient d’être commis ?

— L’assassin, Juve.

— Et l’assassin se nomme ?

— Fantômas, bien sûr.

Et Juve, net et précis comme à son ordinaire, fit alors à Fandor l’exposé de ce qu’il appelait lui-même le modus vivendiqu’ils devaient adopter tous deux.

— Fantômas, affirmait Juve, doit avoir connaissance de notre venue. C’est lui, n’en doutons pas, qui nous a fait retrouver cette main de cadavre. Il doit être persuadé actuellement que nous avons dû rester à Arles pour enquêter au sujet de ce macabre débris. Donc, Fantômas ne nous attend pas. Eh bien mon cher Fandor, profitons-en. Ne commettons pas la lourde gaffe d’aller descendre dans un hôtel en renom, où notre arrivée lui serait tout de suite signalée. Choisissons, au contraire, une boîte tranquille, et, puisque nous avons de l’avance sur ce bandit, ne la perdons pas, préparons-nous à enquêter dès demain matin, mais à enquêter discrètement.

***

Ils descendirent à la Bonne Chance, et dès l’aube, se mirent au travail.

Sur les genoux de Juve, éparpillés sur les tables, sur les lits, sur les chaises, des documents, que Juve, l’un après l’autre, passait à Fandor.

— Regarde, expliquait le policier, étudie-moi tout cela. Pendant que tu dormais, tout à l’heure, j’ai fait prévenir les policiers locaux que je n’avais aucun besoin de les voir.

— Ce n’est pas poli, Juve.