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— Pas le moins du monde, ma maison est bâtie en pierres, et même en pierres de taille, car vous pouvez en juger, m’sieur Fandor, la falaise à l’endroit où nous sommes a bien 40 mètres de haut. En un seul morceau.

— Ce qui veut dire, Bouzille ?

— Ce qui veut dire, monsieur Fandor, que j’habite dans le trou que vous voyez là-bas. Tenez, voilà mon escalier.

Et Bouzille montra une vieille échelle :

— Donnez-vous donc la peine de monter, reprenait-il. Mais faites attention aux marches. Il y en a quelques-unes qui branlent.

(Les marches, Bouzille appelait marches les degrés de l’échelle dont il se servait pour rentrer dans le trou qu’il habitait).

— Et maintenant, déclara le chemineau, vous voici dans mon château. Une seconde, je lève le pont-levis et je suis à vous.

Bouzille tira l’échelle qu’il accrocha à une saillie du roc, puis il fit les honneurs.

— C’est tellement difficile, disait Bouzille, de trouver de bons domestiques aujourd’hui, que ma foi, je me sers moi-même. Vin blanc, vin rouge, lequel préférez-vous ?

— Nous ne sommes pas ici pour boire, déclara Juve. Il faut répondre à mes questions.

— Si je peux, monsieur Juve, si je peux.

— Vous le pouvez, Bouzille.

— C’est dans les choses qui n’étant pas sûres, sont incertaines, monsieur Fandor.

Juve ayant fait signe à Fandor de se taire, ouvrit le feu :

— Qu’est-ce que vous faisiez Bouzille, près de la maison des Héberlauf ?

— J’obéissais, monsieur Juve.

— À qui, Bouzille ?

— À qui ? je ne sais pas, monsieur Juve. On m’avait dit de venir là, avec les copains.

— Les copains, Bouzille ? quels copains ?

— Des aminches, quoi. Des gens que vous ne connaissez pas.

— Et pourquoi étiez-vous tous là ?

— Dame, monsieur Juve, on était là un peu parce qu’on était là, et qu’on n’était pas ailleurs. Et puis, on avait des ordres.

— Quels ordres ?

— Moi je ne sais pas. Mais tout de même, monsieur Juve, fallait bien les exécuter, n’est-ce pas ? C’est pour cela qu’on était venu et pour rien d’autre.

— Bouzille, déclara Juve, je vais me fâcher. Vous vous moquez de moi en ce moment ? prenez garde.

— Mais monsieur Juve…

— Assez Bouzille. Tâchez de me répondre clairement. Oui ou non, aviez-vous les uns ou les autres un motif de vous trouver près de la maison des Héberlauf ?

— On avait un motif, monsieur Juve…

— Lequel ?

— Eh bien, monsieur Juve, c’est comme qui dirait qu’on devait veiller à ce que personne n’approche de la maison, et même qu’on devait s’y opposer.

— Très bien. Qui est-ce qui vous avait donné ces ordres ?

— Non, faut pas me demander ça, faut pas, monsieur Juve. Parce que je pourrais pas vous répondre. Moi, voilà tout ce que je sais. Y a des copains qui m’ont dit comme ça : « Bouzille, y a telle consigne à faire exécuter, c’est quarante sous qu’on sera payé chacun s’il n’y a pas de casse, et trente francs s’il y a un coup de tampon… » Naturellement, je me suis pris par la main… Trente francs, même quand on est « mendiant riche », ça peut toujours servir. Et, vrai de vrai, monsieur Juve, je ne les ai pas volées mes trente balles, car ce qu’il faisait froid, là-haut.

— Eh bien, Bouzille, qui est-ce qui vous a donné ces trente francs ?

— Mais on ne me les a pas encore donnés, monsieur Fandor.

— Alors, où allez-vous aller les chercher ?

— Qu’est-ce que ça peut vous faire, monsieur Juve ?

… Mais Juve avait eu un si violent mouvement de sourcils que Bouzille comprit qu’il était mauvais de plaisanter plus longtemps.

— Oh, puis, après tout, dit-il, si ça vous intéresse de le savoir, moi je m’en fous. C’est au Canadian-Barque doit avoir lieu la paye.

— Quand, Bouzille ?

— Mais tout de suite, monsieur Juve.

D’un même mouvement, Juve et Fandor s’étaient levés.

— Oh, allez-y si vous voulez, mais, tout de même, un bon conseil : moi, si j’étais que vous, j’achèteras au père Bouzille des vieux habits qu’il ajusterait, et comme ça, je pourrais me changer le « portrait », car enfin, monsieur Juve et monsieur Fandor, des fois que vous seriez reconnus, au Canadian-Bar, ça pourrait grêler sur vos artichauts.

Un quart d’heure plus tard, Juve et Fandor, vêtus en loqueteux, s’acheminaient vers les faubourgs de Monaco…

Ville essentiellement riche, construite dans une principauté si exceptionnellement fortunée que les heureux nationaux ne supportent, jusqu’à plus ample informé, le poids d’aucun impôt, Monaco ne comporte guère de bouges ou de cabarets, destinés à servir de rendez-vous à la pègre.

Le Canadian-Bar, cependant, malgré sa façade proprette, faite de bois peinturluré, façon acajou, malgré ses glaces en biseaux, malgré ses rideaux-mystère, était sordide en réalité.

Examiné du dehors, il semblait promettre un certain confort, mais à peine avait-on tourné le bouton de la porte que d’âcres relents de tabac et d’alcool vous ôtaient toute illusion sur les agréments d’un séjour.

Sans être remarqués, les deux amis purent se glisser jusqu’à l’un des petits guéridons mis à la disposition des consommateurs.

— Deux cerises à l’eau-de-vie, dit Juve.

Il y avait là des gens de livrée, puis d’honnêtes ouvriers, puis encore d’autres individus, assez correctement mis, en somme. Lesquels d’entre eux faisaient partie de la bande de Bouzille ? lesquels d’entre eux étaient là, dans le bar, attendant la paye, puisque Bouzille avait affirmé que la paye allait avoir lieu ?

Soudain, Fandor se pencha vers Juve.

D’une voix imperceptible, il souffla au policier :

— Dites donc, Juve, savez-vous que nous sommes les deux bougres les plus mal habillés de l’endroit ? Bouzille a forcé la note avec son déguisement. D’ici qu’on nous flanque à la porte, il n’y a pas des kilomètres.

— Tais-toi maudit farceur. Tu n’as donc pas vu ?

— Qui ?

— Dans le coin. Regarde. Le gros.

Cette fois, Fandor eut peine à retenir une exclamation de surprise, car l’homme que lui désignait Juve était une vieille connaissance.

Le Bedeau.

Pourquoi le terrible « sonneur » était-il venu dans la principauté ? À quelle lugubre besogne s’employait-il dans ce pays de luxe, de fêtes, de jeux ?

Fandor et Juve, dès lors, n’eurent plus d’yeux que pour l’apache. Ils le voyaient de face, et auraient donné beaucoup pour pouvoir contempler à loisir les traits de l’individu avec qui le Bedeau s’entretenait.

Celui-ci, malheureusement, leur tournait le dos.

Que faire ?

Juve qui n’était jamais à court d’expédients, avertit d’un clin d’œil Fandor qu’il importait de se méfier. Juve alors se leva, quitta sa place sans se presser, vint s’accouder au comptoir du bar :

— Un madère sec, commanda-t-il.

Et l’ordre donné, Juve se retourna, voyant cette fois de face l’interlocuteur du Bedeau.

À ce moment, Fandor rejoignit Juve, mais évita de se retourner.

— Juve, qui est-ce ?

— Mario.

— Le bonneteau ?

— Tais-toi, Fandor ! il faut que nous entendions ce qu’ils disent.

Ce n’était pas très difficile car le Bedeau parlait à voix haute :

— Et puis, gouaillait l’apache, qui semblait de fort mauvaise humeur, et puis c’est pas tout ça, Bonneteur, en v’là assez, et même de trop. J’aime mieux pas dire la messe deux fois. Raque tes bijoux ou gare ma patte. En voilà un salaud, qui veut tout garder pour lui.

Mais le bonneteau n’entendait nullement se laisser faire.

— Raquer les bijoux, disait-il, et puis quoi encore ? Payer la tournée, peut-être bien ? Non, mais tu n’m’as pas regardé. Quand c’est que je travaille, Bedeau, c’est tout de même pour moi et pas pour les autres. Si j’ai pu avoir Kissmi et lui faire sa ferblanterie, j’imagine que c’est à moi d’en avoir le bénef.