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— Juve, disait Fandor avec une grimace de dégoût, c’est une chose épouvantable que cette enquête à laquelle nous nous livrons. Ma parole, vous feriez mieux, j’imagine, de porter ces débris à la morgue de Monte-Carlo. Je ne comprends pas ce que vous pouvez espérer découvrir en les examinant comme vous le faites ?

— Fandor, tu parles comme un enfant. Tu ne comprends pas ce que je cherche ? Imbécile, tu as des yeux, et tes yeux ne voient pas.

— Possible, Juve. Mais les vôtres, que découvrent-ils ?

— Des choses passionnantes. D’abord, que sont ces mains, d’après toi ? Des mains d’homme ou des mains de femme ?

— Des mains d’homme, Juve, évidemment.

— Je suis de ton avis. Des mains d’homme du monde, ou des mains d’ouvrier ?

— Plutôt des mains d’ouvrier. Les ongles ne sont pas soignés.

— Tu as raison. Et maintenant une grosse question, Fandor.

— Quoi ?

— Ces deux mains appartiennent-elles, ou plutôt appartenaient-elles au même individu ?

— Euh… j’imagine…

— Oui, Fandor, tu imagines, mais tu n’en es pas certain. C’est pourtant ce qu’il faudrait savoir. Malheureusement, si la main gauche que nous avons retrouvée, d’abord dans le tiroir de M. Vaugreland, puis, ensuite, sur la table de jeu, est en parfait état et se prête à toutes les recherches, il n’en est pas de même de la main droite, celle que nous avons découverte dans l’aiguillage d’Arles. Elle est écrasée, broyée. Comment savoir ? Or, il faudrait savoir. Fandor, n’oublie pas une chose, c’est que nous sommes à Monaco, d’abord pour arrêter l’assassin de Norbert du Rand. Ensuite, peut-être, cela d’après nous et non selon une version officielle, pour arrêter Fantômas. L’assassin de Norbert ? hum, nous ne le connaissons pas encore. Quant à Fantômas ! Fantômas, nous le supposons, a semé sur notre chemin ces restes humains. Si nous voulons retrouver sa piste, il semble bien que la première manœuvre consiste à découvrir exactement le nom de sa victime. Que nous arrivions à retrouver le cadavre auquel on a amputé ces deux mains – si elles proviennent du même cadavre – si ces mains viennent de deux cadavres différents – et j’imagine que nous ne serons point longs à pouvoir soupçonner le personnage que Fantômas a choisi d’incarner.

— Évidemment, Juve. Seulement, c’est l’histoire des oiseaux que l’on prend en leur mettant du sel sur la queue. Le tout c’est d’arriver à mettre le sel. Je vois bien ce qu’il faut faire pour arrêter Fantômas. Ce que je ne vois pas du tout, c’est comment nous le ferons.

Soudain, on frappa à la porte de la chambre deux petits coups discrets.

Quel était le visiteur ?

Juve et Fandor se regardèrent interdits, car, à la vérité, ils n’avaient guère donné leur adresse depuis qu’ils étaient à Monte-Carlo. Ils n’attendaient personne.

— Ouvre, dit Juve, qui venait de rabattre le linge sur les deux mains. Ouvre Fandor.

Fandor entrebâillait prudemment la porte, puis, ayant reconnu le visiteur, l’ouvrit toute grande :

— Vous, Bouzille, que diable venez-vous faire ici ?

Bouzille rit béatement, salua Fandor avec un respect exagéré, puis se courba en une révérence profonde devant Juve qui déjà bougonnait d’être dérangé :

— Ce qui m’amène, commençait Bouzille, mes chers collègues, ce qui m’amène, c’est l’intérêt supérieur de la Justice.

— Dites donc, Bouzille, ne seriez-vous pas un peu fou ? Hein ? vos chers collègues ? En quoi donc êtes-vous notre collègue ? Vous voilà journaliste ?

Mais Bouzille prit l’air offensé :

— Journaliste ? Fi donc. Un métier où l’on écrit des choses qu’on ne sait pas. Non, merci monsieur Fandor. Je ne serai jamais journaliste.

— Et policier ?

— Policier, ripostait Bouzille, mais vous oubliez, monsieur Fandor, que je le suis déjà. N’est-ce pas grâce à moi que vous avez pu enquêter sur la bagarre des Héberlauf. N’est-ce pas moi qui vous ai conduits au Canadian-Bar ? N’est-ce pas…

Juve coupa la parole à l’excellent homme :

— Écoutez, Bouzille, nous n’avons pas de temps à perdre. Qu’est-ce que vous voulez ? Que venez-vous faire ici ? Dites-le et fichez le camp après. Nous avons à travailler.

Juve, malheureusement, ne se rendait pas compte qu’il était plus difficile, sans doute, d’impressionner Bouzille que d’arrêter Fantômas.

Le bonhomme ne marquait nulle émotion, manifestait moins encore l’intention de s’en aller.

Bouzille qui était debout, s’assit. Il se carra confortablement dans un fauteuil, puis il reprit :

— Monsieur Juve, mon cher collègue, non, là, franchement, vous n’êtes pas aimable. On n’agit pas comme ça avec un confrère.

Alors Juve se leva :

— Foutez-moi le camp, nom de Dieu.

— Mais non, monsieur Juve, mais non, protesta Bouzille, faut pas dire ça. Je viens collaborer avec vous.

— Collaborer ? À quoi ?

— Dame, à vos enquêtes.

— Alors, vous avez quelque chose à dire ?

— Oui, bien sûr, monsieur Juve.

— Eh bien, dites-le, sapristi.

Mais Bouzille secoua la tête, d’un air obstiné :

— Non, non pas comme ça, monsieur Juve. Toute peine mérite salaire. Faut me faire votre prix.

— Comment mon prix ?

— Mais oui, monsieur Juve, votre prix. Je vais vous dire quelque chose d’intéressant, ou vous le faire dire. Ça vaut bien quelque chose ? ça vaut bien dix francs ?

Juve, qui, de plus en plus s’énervait, empoigna Bouzille par les épaules :

— Foutez-moi le camp ! répétait-il. Vous n’avez rien à dire du tout, et tout cela sont des manières pour vous faire donner dix francs.

Mais, par bonheur, Fandor était plus patient que Juve.

— Laissez donc, dit-il, on ne sait jamais.

Et, interrogeant à son tour le chemineau, Fandor reprenait :

— Voyons, Bouzille, qu’avez-vous à dire ?

— Faut me donner dix francs, monsieur Fandor.

— On vous les donnera après, Bouzille.

— Non, monsieur Fandor, faut me les donner avant.

— Alors, vous n’avez pas confiance en nous ?

— Est-ce que vous avez confiance en moi, vous ?

Fandor comprit qu’il n’obtiendrait rien du chemineau.

Bouzille avait de nombreux défauts, et quelques qualités. Il était voleur à l’occasion, chapardeur, plutôt, mais n’avait jamais escroqué personne.

— Bouzille, reprit Fandor, Juve veut vous flanquer à la porte et il a raison. Foutez-nous le camp. Voilà dix francs. Mais disparaissez. Si vous n’avez rien à nous dire, vous êtes un escroc, et je vous retire mon amitié.

— Ah, monsieur Fandor, ne dites pas ça.

Bouzille, qui venait d’empocher la pièce d’or que Fandor lui avait tendue, malgré un haussement d’épaules de Juve, se leva, gagna la porte.

— D’ailleurs, dit encore Bouzille, avant de disparaître, vous avez bien raison, monsieur Fandor, d’avoir confiance en moi. J’ai rien à vous dire, moi, mais je m’en vais tout de même vous rendre un rude service. Si on frappe à votre porte, il faudra ouvrir.

Et sur cette phase cryptique, Bouzille disparut définitivement.

Dix minutes plus tard, Juve et Fandor qui, d’ailleurs, avaient complètement oublié les propos de Bouzille et s’étaient replongés dans l’examen des deux mains, ne furent pas peu surpris d’entendre frapper à la porte.

— Tiens, murmura Fandor, est-ce que ce serait le visiteur annoncé par notre collègue ?

Le journaliste n’eut pas le temps d’achever.

À peine avait-il ouvert, qu’un visage passait par l’entrebâillement de la porte, celui d’un homme riant d’un large rire et déclarant le plus tranquillement du monde, avec un fort accent marseillais, en apercevant les restes anatomiques sur la table :

— Eh, les voilà, les belles petites.

— Hein ? Quoi ? Qu’est-ce que vous dites ? Entrez donc.

L’homme entra, et toujours avec le même accent :

— Ce que je dis ? té, mais je dis que les voilà, les belles petites.