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— L’prendrez-vous, c’ti-là ?

Le brigadier, son sabre entre les jambes, semblait soucieux. Certes, il était sûr de le prendre si on voulait bien le lui désigner. Dans le cas contraire, il ne répondait point de le découvrir lui-même. Après avoir longtemps réfléchi, il posa cette simple question :

— Le connaissez-vous, le voleur ?

Un pli de malice normande rida la grosse bouche de Lecacheur qui répondit :

— Pour l’connaître, non, je l’connais point, vu que j’l’ai pas vu vôler. Si j’l’avais vu, j’y aurais fait manger tout cru, poil et chair, sans un coup d’cidre pour l’faire passer. Pour lors, pour dire qui c’est, je l’dirai point, nonobstant, que j’crais qu’c’est çu propre à rien de Polyte.

Alors il expliqua longuement ses histoires avec Polyte, le départ de ce valet, son mauvais regard, des propos rapportés, accumulant des preuves insignifiantes et minutieuses.

Le brigadier, qui avait écouté avec grande attention tout en vidant son verre de vin et en le remplissant ensuite, d’un geste indifférent, se tourna vers son gendarme :

— Faudra voir chez la femme au berqué Severin, dit-il.

Le gendarme sourit et répondit par trois signes de tête.

Alors, Mme Lecacheur se rapprocha, et tout doucement, avec des ruses de paysanne, interrogea à son tour le brigadier. Ce berger, Severin, un simple, une sorte de brute, élevé, dans un parc à moutons, ayant grandi sur les côtes au milieu de ses bêtes trottantes et bêlantes, ne connaissant guère qu’elles au monde, avait cependant conservé au fond de l’âme l’instinct d’épargne du paysan. Certes, il avait dû cacher, pendant des années et des années, dans des creux d’arbre ou des trous de rocher tout ce qu’il gagnait d’argent, soit en gardant les troupeaux, soit en guérissant, par des attouchements et des paroles, les entorses des animaux (car le secret des rebouteux lui avait été transmis par un vieux berger qu’il avait remplacé). Or, un jour, il acheta, en vente publique, un petit bien, masure et champ, d’une valeur de trois mille francs.

Quelques mois plus tard, on apprit qu’il se mariait. Il épousait une servante connue pour ses mauvaises mœurs, la bonne du cabaretier. Les gars racontaient que cette fille, le sachant aisé, l’avait été trouver chaque nuit, dans sa hutte, et l’avait pris, l’avait conquis, l’avait conduit au mariage, peu à peu, de soir en soir.

Puis, ayant passé par la mairie et par l’église, elle habitait maintenant la maison achetée par son homme, tandis qu’il continuait à garder ses troupeaux, nuit et jour, à travers les plaines.

Et le brigadier ajouta :

— V’là trois semaines que Polyte couche avec elle, vu qu’il n’a pas d’abri, ce maraudeur.

Le gendarme se permit un mot :

— Il prend la couverture au berger.

Mme Lecacheur, saisie d’une rage nouvelle, d’une rage accrue par une colère de femme mariée contre le dévergondage, s’écria :

— C’est elle, j’en suis sûre. Allez-y. Ah ! Les bougres de voleux !

Mais le brigadier ne s’émut pas :

— Minute, dit-il. Attendons midi, vu qu’il y vient dîner chaque jour. Je les pincerai le nez dessus.

Et le gendarme souriait, séduit par l’idée de son chef ; et Lecacheur aussi souriait maintenant, car l’aventure du berger lui semblait comique, les maris trompés étant toujours plaisants.

Midi venait de sonner, quand le brigadier Sénateur, suivi de son homme, frappa trois coups légers à la porte d’une petite maison isolée, plantée au coin d’un bois, à cinq cents mètres du village.

Ils s’étaient collés contre le mur afin de n’être pas vus du dedans ; et ils attendirent. Au bout d’une minute ou deux, comme personne ne répondait, le brigadier frappa de nouveau. Le logis semblait inhabité tant il était silencieux, mais le gendarme Lenient, qui avait l’oreille fine, annonça qu’on remuait à l’intérieur.

Alors Sénateur se fâcha. Il n’admettait point qu’on résistât une seconde à l’autorité et, heurtant le mur du pommeau de son sabre, il cria :

— Ouvrez, au nom de la loi !

Cet ordre demeurant toujours inutile, il hurla :

— Si vous n’obéissez pas, je fais sauter la serrure. Je suis le brigadier de gendarmerie, nom de Dieu ! Attention, Lenient.

Il n’avait point fini de parler que la porte était ouverte, et Sénateur avait devant lui une grosse fille très rouge, joufflue, dépoitraillée, ventrue, large des hanches, une sorte de femelle sanguine et bestiale, la femme du berger Severin.

Il entra.

— Je viens vous rendre visite, rapport à une petite enquête, dit-il.

Et il regardait autour de lui. Sur la table, une assiette, un pot à cidre, un verre à moitié plein annonçaient un repas commencé. Deux couteaux traînaient côte à côte. Et le gendarme malin cligna de l’œil à son chef.

— Ça sent bon, dit celui-ci.

— On jurerait du lapin sauté, ajouta Lenient très gai.

— Voulez-vous un verre de fine ? demanda la paysanne.

— Non, merci. Je voudrais seulement la peau du lapin que vous mangez.

Elle fit l’idiote ; mais elle tremblait.

— Qué lapin ?

Le brigadier s’était assis et s’essuyait le front avec sérénité.

— Allons, allons, la patronne, vous ne nous ferez pas accroire que vous vous nourrissiez de chiendent. Que mangiez-vous, là, toute seule, pour votre dîner ?

— Mé, rien de rien, j’vous jure. Un p’tieu d’beurre su l’pain.

— Mazette, la bourgeoise, un p’tieu d’beurre su l’pain… vous faites erreur. C’est un p’tieu d’beurre sur le lapin qu’il faut dire. Bougre ! il sent bon vot’beurre, nom de Dieu ! C’est du beurre de choix, du beurre d’extra, du beurre de noce, du beurre à poil, pour sûr, c’est pas du beurre de ménage, çu beurre-là !

Le gendarme se tordait et répétait :

— Pour sûr, c’est pas du beurre de ménage.

Le brigadier Sénateur étant farceur, toute la gendarmerie était devenue facétieuse.

Il reprit :

— Ous’qu’il est vot’beurre ?

— Mon beurre ?

— Oui, vot’beurre.

— Mais dans l’pot.

— Alors, ous’qu’il est l’pot ?

— Qué pot ?

— L’pot à beurre, pardi !

— Le v’là.

Elle alla chercher une vieille tasse au fond de laquelle gisait une couche de beurre rance et salé.

Le brigadier le flaira et, remuant le front :

— C’est pas l’même. Il me faut l’beurre qui sent le lapin sauté. Allons, Lenient, ouvrons l’œil ; vois su l’buffet, mon garçon ; mé j’vas guetter sous le lit.

Ayant donc fermé la porte, il s’approcha du lit et le voulut tirer ; mais le lit tenait au mur, n’ayant pas été déplacé depuis plus d’un demi-siècle apparemment. Alors le brigadier se pencha, et fit craquer son uniforme. Un bouton venait de sauter.

— Lenient, dit-il ?

— Mon brigadier ?

— Viens, mon garçon, viens au lit, moi je suis trop long pour voir dessous. Je me charge du buffet.

Donc, il se releva, et attendit, debout, que son homme eût exécuté l’ordre.

Lenient, court et rond, ôta son képi, se jeta sur le ventre, et collant son front par terre, regarda longtemps le creux noir sous la couche. Puis, soudain, il s’écria :