Выбрать главу

— Je l’tiens ! Je l’tiens !

Le brigadier Sénateur se pencha sur son homme :

— Qué que tu tiens, le lapin ?

— Non, l’voleux !

— L’voleux ! Amène, amène !

Les deux bras du gendarme allongés sous le lit avaient appréhendé quelque chose, et il tirait de toute sa force. Un pied, chaussé d’un gros soulier, parut enfin, qu’il tenait de sa main droite.

Le brigadier le saisit : « Hardi ! Hardi ! Tire ! »

Lenient, à genoux maintenant, tirait sur l’autre jambe. Mais la besogne était rude, car le captif gigotait ferme, ruait et faisait gros dos, s’arc-boutant de la croupe à la traverse du lit.

— Hardi ! Hardi ! Tire, criait Sénateur.

Et ils tiraient de toute leur force, si bien que la barre de bois céda et l’homme sortit jusqu’à la tête, dont il se servit encore pour s’accrocher à sa cachette.

La figure parut enfin, la figure furieuse et consternée de Polyte dont les bras demeuraient étendus sous le lit.

— Tire ! criait toujours le brigadier.

Alors un bruit bizarre se fit entendre ; et, comme les bras s’en venaient à la suite des épaules, les mains se montrèrent à la suite des bras et, dans les mains, la queue d’une casserole, et, au bout de la queue, la casserole elle-même, qui contenait un lapin sauté.

— Nom de Dieu, de Dieu, de Dieu, de Dieu ! hurlait le brigadier fou de joie, tandis que Lenient s’assurait de l’homme.

Et la peau du lapin, preuve accablante, dernière et terrible pièce à conviction, fut découverte dans la paillasse.

Alors les gendarmes rentrèrent en triomphe au village avec le prisonnier et leurs trouvailles.

Huit jours plus tard, la chose ayant fait grand bruit, maître Lecacheur, en entrant à la mairie pour y conférer avec le maître d’école, apprit que le berger Severin l’y attendait depuis une heure.

L’homme était assis sur une chaise, dans un coin, son bâton entre les jambes. En apercevant le maire, il se leva, ôta son bonnet, salua d’un :

— Bonjou, maît’Cacheux.

Puis demeura debout, craintif, gêné.

— Qu’est-ce que vous demandez ? dit le fermier.

— V’là, maît’Cacheux. C’est-i véridique qu’on a vôlé un lapin cheux vous, l’aut’semaine ?

— Mais oui, c’est vrai, Severin.

— Ah ! ben, pour lors c’est véridique ?

— Oui, mon brave.

— Qué qui l’a vôlé, çu lapin ?

— C’est Polyte Ancas, l’journalier.

— Ben, ben. C’est-i véridique itou qu’on l’a trouvé sous mon lit ?

— Qui ça, le lapin ?

— Le lapin et pi Polyte, l’un au bout d’l’autre.

— Oui, mon pauv’e Severin. C’est vrai.

— Pour lors, c’est véridique ?

— Oui. Qu’est-ce qui vous a donc conté c’t’histoire-là ?

— Un p’tieu tout l’monde. Je m’entends. Et pi, et pi, vous n’en savez long su l’mariage, vu qu’vous les faites, vous qu’êtes maire.

— Comment sur le mariage ?

— Oui, rapport au drait.

— Comment rapport au droit ?

— Rapport au drait d’l’homme et pi au drait d’la femme.

— Mais, oui.

— Eh ! ben, dites-mé, maît’Cacheux, ma femme a-t-i l’drait de coucher avé Polyte ?

— Comment, de coucher avec Polyte ?

— Oui, c’est-i son drait, vu la loi, et pi vu qu’alle est ma femme, de coucher avec Polyte ?

— Mais non, mais non, c’est pas son droit.

— Si je l’y r’prends, j’ai-t-i l’drait de li fout’des coups, mé, à elle et pi à li itou ?

— Mais… mais… mais oui.

C’est ben, pour lors. J’vas vous dire. Eune nuit, vu qu’j’avais d’z’idées, j’rentrai, l’aute semaine, et j’les y trouvai, qu’i n’étaient point dos à dos. J’foutis Polyte coucher dehors ; mais c’est tout, vu que je savais point mon drait. C’te fois-ci, j’les vis point. Je l’sais par l’s autres. C’est fini, n’en parlons pu. Mais si j’les r’pince… nom d’un nom, si j’les r’pince. Je leur ferai passer l’goût d’la rigolade, maît’Cacheux, aussi vrai que je m’nomme Severin…

Un soir

Le Kléber avait stoppé, et je regardais de mes yeux ravis l’admirable golfe de Bougie qui s’ouvrait devant nous. Les forêts kabyles couvraient les hautes montagnes ; les sables jaunes, au loin, faisaient à la mer une rive de poudre d’or, et le soleil tombait en torrents de feu sur les maisons blanches de la petite ville.

La brise chaude, la brise d’Afrique, apportait à mon cœur joyeux l’odeur du désert, l’odeur du grand continent mystérieux où l’homme du Nord ne pénètre guère. Depuis trois mois, j’errais sur le bord de ce monde profond et inconnu, sur le rivage de cette terre fantastique de l’autruche, du chameau, de la gazelle, de l’hippopotame, du gorille, de l’éléphant et du nègre. J’avais vu l’Arabe galoper dans le vent, comme un drapeau qui flotte et vole et passe, j’avais couché sous la tente brune, dans la demeure vagabonde de ces oiseaux blancs du désert. J’étais ivre de lumière, de fantaisie et d’espace.

Maintenant, après cette dernière excursion, il faudrait partir, retourner en France, revoir Paris, la ville du bavardage inutile, des soucis médiocres et des poignées de mains sans nombre. Je dirais adieu aux choses aimées, si nouvelles, à peine entrevues, tant regrettées.

Une flotte de barques entourait le paquebot. Je sautai dans l’une d’elles où ramait un négrillon, et je fus bientôt sur le quai, près de la vieille porte sarrazine, dont la ruine grise, à l’entrée de la cité kabyle, semble un écusson de noblesse antique.

Comme je demeurais debout sur le port, à côté de ma valise, regardant sur la rade le gros navire à l’ancre, et stupéfait d’admiration devant cette côte unique, devant ce cirque de montagnes baignées par les flots bleus, plus beau que celui de Naples, aussi beau que ceux d’Ajaccio et de Porto, en Corse, une lourde main me tomba sur l’épaule.

Je me retournai et je vis un grand homme à barbe longue, coiffé d’un chapeau de paille, vêtu de flanelle blanche, debout à côté de moi, et me dévisageant de ses yeux bleus :

— N’êtes-vous pas mon ancien camarade de pension ? dit-il.

— C’est possible. Comment vous appelez-vous ?

— Trémoulin.

— Parbleu ! Tu étais mon voisin d’études.

— Ah ! vieux, je t’ai reconnu du premier coup, moi.

Et la longue barbe se frotta sur mes joues.

Il semblait si content, si gai, si heureux de me voir, que, par un élan d’amical égoïsme, je serrai fortement les deux mains de ce camarade de jadis, et que je me sentis moi-même très satisfait de l’avoir ainsi retrouvé.

Trémoulin avait été pour moi pendant quatre ans le plus intime, le meilleur de ces compagnons d’études que nous oublions si vite à peine sortis du collège. C’était alors un grand corps mince, qui semblait porter une tête trop lourde, une grosse tête ronde, pesante, inclinant le cou tantôt à droite, tantôt à gauche, et écrasant la poitrine étroite de ce haut collégien à longues jambes.

Très intelligent, doué d’une facilité merveilleuse, d’une rare souplesse d’esprit, d’une sorte d’intuition instinctive pour toutes les études littéraires, Trémoulin était le grand décrocheur de prix de notre classe. On demeurait convaincu au collège qu’il deviendrait un homme illustre, un poète sans doute, car il faisait des vers et il était plein d’idées ingénieusement sentimentales. Son père, pharmacien dans le quartier du Panthéon, ne passait pas pour riche.