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Mais tous mes raisonnements ne me rassuraient point. J’étais jaloux. Le soupçon me travaillait, me déchirait, me dévorait. Ce n’était pas encore un soupçon, mais le soupçon. Je portais en moi une douleur, une angoisse affreuse, une pensée encore voilée – oui, une pensée avec un voile dessus – ce voile, je n’osais pas le soulever, car, dessous, je trouverais un horrible doute… Un amant !… N’avait-elle pas un amant ?… Songe ! Songe ! Cela était invraisemblable, impossible… et pourtant ?…

La figure de Montina passait sans cesse devant mes yeux. Je le voyais, ce grand bellâtre aux cheveux luisants, lui sourire dans le visage, et je me disais : « C’est lui. »

Je me faisais l’histoire de leur liaison. Ils avaient parlé d’un livre ensemble, discuté l’aventure d’amour, trouvé quelque chose qui leur ressemblait, et de cette analogie avaient fait une réalité.

Et je les surveillais, en proie au plus abominable supplice que puisse endurer un homme. J’avais acheté des chaussures à semelles de caoutchouc afin de circuler sans bruit et je passais ma vie maintenant à monter et à descendre mon petit escalier en limaçon pour les surprendre. Souvent, même, je me laissais glisser sur les mains, la tête la première, le long des marches, afin de voir ce qu’ils faisaient. Puis je devais remonter à reculons, avec des efforts et une peine infinis, après avoir constaté que le commis était en tiers.

Je ne vivais plus, je souffrais. Je ne pouvais plus penser à rien, ni travailler, ni m’occuper de mes affaires. Dès que je sortais, dès que j’avais fait cent pas dans la rue, je me disais : « Il est là », et je rentrais. Il n’y était pas. Je repartais ! Mais à peine m’étais-je éloigné de nouveau, je pensais : « Il est venu, maintenant », et je retournais.

Cela durait tout le long des jours.

La nuit, c’était plus affreux encore, car je la sentais à côté de moi, dans mon lit. Elle était là, dormant ou feignant de dormir ! Dormait-elle ? Non, sans doute. C’était encore un mensonge ?

Je restais immobile, sur le dos, brûlé par la chaleur de son corps, haletant et torturé. Oh ! Quelle envie, une envie ignoble et puissante, de me lever, de prendre une bougie et un marteau, et, d’un seul coup, de lui fendre la tête, pour voir dedans ! J’aurais vu, je le sais bien, une bouillie de cervelle et de sang, rien de plus. Je n’aurais pas su ! Impossible de savoir ! Et ses yeux ! Quand elle me regardait, j’étais soulevé par des rages folles. On la regarde – elle vous regarde ! Ses yeux sont transparents, candides – et faux, faux, faux ! Et on ne peut deviner ce qu’elle pense, derrière. J’avais envie d’enfoncer des aiguilles dedans, de crever ces glaces de fausseté.

Ah ! Comme je comprends l’inquisition ! Je lui aurais tordu les poignets dans des manchettes de fer. – Parle… avoue !… Tu ne veux pas ? Attends !… – Je lui aurais serré la gorge doucement… – Parle, avoue ! Tu ne veux pas ?… – et j’aurais serré, serré, jusqu’à la voir râler, suffoquer, mourir… Ou bien je lui aurais brûlé les doigts sur le feu… Oh ! Cela, avec quel bonheur je l’aurais fait !… – Parle… parle donc… Tu ne veux pas ? – Je les aurais tenus sur les charbons, ils auraient été grillés, par le bout… et elle aurait parlé… certes !… elle aurait parlé…

Trémoulin, dressé, les poings fermés, criait. Autour de nous, sur les toits voisins, les ombres se soulevaient, se réveillaient, écoutaient, troublées dans leur repos.

Et moi, ému, capté par un intérêt puissant, je voyais devant moi, dans la nuit, comme si je l’avais connue, cette petite femme, ce petit être blond, vif et rusé. Je la voyais vendre ses livres, causer avec les hommes que son air d’enfant troublait, et je voyais dans sa fine tête de poupée les petites idées sournoises, les folles idées empanachées, les rêves de modistes parfumées au musc s’attachant à tous les héros des romans d’aventures. Comme lui je la suspectais, je la détestais, je la haïssais, je lui aurais aussi brûlé les doigts pour qu’elle avouât.

Il reprit, d’un ton plus calme :

— Je ne sais pas pourquoi je te raconte cela. Je n’en ai jamais parlé à personne. Oui, mais je n’ai vu personne depuis deux ans. Je n’ai causé avec personne, avec personne ! Et cela me bouillonnait dans le cœur comme une boue qui fermente. Je la vide. Tant pis pour toi.

Eh bien, je m’étais trompé, c’était pis que ce que j’avais cru, pis que tout. Écoute. J’usai du moyen qu’on emploie toujours, je simulai des absences. Chaque fois que je m’éloignais, ma femme déjeunait dehors. Je ne te raconterai pas comment j’achetai un garçon de restaurant pour la surprendre.

La porte de leur cabinet devait m’être ouverte, et j’arrivais, à l’heure convenue, avec la résolution formelle de les tuer. Depuis la veille je voyais la scène comme si elle avait déjà eu lieu ! J’entrais ! Une petite table couverte de verres, de bouteilles et d’assiettes, la séparait de Montina. Leur surprise était telle en m’apercevant qu’ils demeuraient immobiles. Moi, sans dire un mot, j’abattais sur la tête de l’homme la canne plombée dont j’étais armé. Assommé d’un seul coup, il s’affaissait, la figure sur la nappe ! Alors je me tournais vers elle, et je lui laissais le temps – quelques secondes – de comprendre et de tordre ses bras vers moi, folle d’épouvante, avant de mourir à son tour. Oh ! J’étais prêt, fort, résolu et content, content jusqu’à l’ivresse. L’idée du regard éperdu qu’elle me jetterait sous ma canne levée, de ses mains tendues en avant, du cri de sa gorge, de sa figure soudain livide et convulsée, me vengeait d’avance. Je ne l’abattrais pas du premier coup, elle ! Tu me trouves féroce, n’est-ce pas ? Tu ne sais pas ce qu’on souffre. Penser qu’une femme, épouse ou maîtresse, qu’on aime, se donne à un autre, se livre à lui comme à vous, et reçoit ses lèvres comme les vôtres ! C’est une chose atroce, épouvantable. Quand on a connu un jour cette torture, on est capable de tout. Oh ! Je m’étonne qu’on ne tue pas plus souvent, car tous ceux qui ont été trahis, tous, ont désiré tuer, ont joui de cette mort rêvée, ont fait, seuls dans leur chambre, ou sur une route déserte, hantés par l’hallucination de la vengeance satisfaite, le geste d’étrangler ou d’assommer.

Moi, j’arrivai à ce restaurant. Je demandai : « Ils sont là ? » Le garçon vendu répondit : « Oui, Monsieur », me fit monter un escalier, et me montrant une porte : « Ici », dit-il. Je serrais ma canne comme si mes doigts eussent été de fer. J’entrai.

J’avais bien choisi l’instant. Ils s’embrassaient, mais ce n’était pas Montina. C’était le général de Flèche, le général qui avait soixante-six ans !

Je m’attendais si bien à trouver l’autre, que je demeurai perclus d’étonnement.

Et puis… et puis… je ne sais pas encore ce qui se passa en moi… non… je ne sais pas ! Devant l’autre, j’aurais été convulsé de fureur !… Devant celui-là, devant ce vieil homme ventru, aux joues tombantes, je fus suffoqué par le dégoût. Elle, la petite, qui semblait avoir quinze ans, s’était donnée, livrée à ce gros homme presque gâteux, parce qu’il était marquis, général, l’ami et le représentant des rois détrônés. Non, je ne sais pas ce que je sentis, ni ce que je pensai. Ma main n’aurait pas pu frapper ce vieux ! Quelle honte ! Non, je n’avais plus envie de tuer ma femme, mais toutes les femmes qui peuvent faire des choses pareilles ! Je n’étais plus jaloux, j’étais éperdu comme si j’avais vu l’horreur des horreurs !