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Qu’on dise ce qu’on voudra des hommes, ils ne sont point si vils que cela ! Quand on en rencontre un qui s’est livré de cette façon, on le montre du doigt. L’époux ou l’amant d’une vieille femme est plus méprisé qu’un voleur. Nous sommes propres, mon cher. Mais elles, elles, des filles, dont le cœur est sale ! Elles sont à tous, jeunes ou vieux, pour des raisons méprisables et différentes, parce que c’est leur profession, leur vocation et leur fonction. Ce sont les éternelles, inconscientes et sereines prostituées qui livrent leur corps sans dégoût, parce qu’il est marchandise d’amour, qu’elles le vendent ou qu’elles le donnent, au vieillard qui hante les trottoirs avec de l’or dans sa poche, ou bien, pour la gloire, au vieux souverain lubrique, au vieil homme célèbre et répugnant !…

Il vociférait comme un prophète antique, d’une voix furieuse, sous le ciel étoilé, criant, avec une rage de désespéré, la honte glorifiée de toutes les maîtresses des vieux monarques, la honte respectée de toutes les vierges qui acceptent de vieux époux, la honte tolérée de toutes les jeunes femmes qui cueillent, souriantes, de vieux baisers.

Je les voyais, depuis la naissance du monde, évoquées, appelées par lui, surgissant autour de nous dans cette nuit d’Orient, les filles, les belles filles à l’âme vile qui, comme les bêtes ignorant l’âge du mâle, furent dociles à des désirs séniles. Elles se levaient, servantes des patriarches chantées par la Bible, Agar, Ruth, les filles de Loth, la brune Abigaïl, la vierge de Sunnam qui, de ses caresses, ranimait David agonisant, et toutes les autres, jeunes, grasses, blanches, patriciennes ou plébéiennes, irresponsables femelles d’un maître, chair d’esclave soumise, éblouie ou payée !

Je demandai :

— Qu’as-tu fait ?

Il répondit simplement :

— Je suis parti. Et me voici.

Alors nous restâmes l’un près de l’autre, longtemps, sans parler, rêvant !…

J’ai gardé de ce soir-là une impression inoubliable. Tout ce que j’avais vu, senti, entendu, deviné, la pêche, la pieuvre aussi peut-être, et ce récit poignant, au milieu des fantômes blancs, sur les toits voisins, tout semblait concourir à une émotion unique. Certaines rencontres, certaines inexplicables combinaisons de choses, contiennent assurément, sans que rien d’exceptionnel n’y apparaisse, une plus grande quantité de secrète quintessence de vie que celle dispersée dans l’ordinaire des jours.

Les épingles

— Ah ! Mon cher, quelles rosses, les femmes !

— Pourquoi dis-tu ça ?

— C’est qu’elles m’ont joué un tour abominable.

— À toi ?

— Oui, à moi.

— Les femmes, ou une femme ?

— Deux femmes.

— Deux femmes en même temps ?

— Oui.

— Quel tour ?

Les deux jeunes gens étaient assis devant un grand café du boulevard et buvaient des liqueurs mélangées d’eau, ces apéritifs qui ont l’air d’infusions faites avec toutes les nuances d’une boîte d’aquarelle.

Ils avaient à peu près le même âge : vingt-cinq à trente ans. L’un était blond et l’autre brun. Ils avaient la demi-élégance des coulissiers, des hommes qui vont à la Bourse et dans les salons, qui fréquentent partout, vivent partout, aiment partout. Le brun reprit :

— Je t’ai dit ma liaison, n’est-ce pas, avec cette petite bourgeoise rencontrée sur la plage de Dieppe ?

— Oui.

— Mon cher, tu sais ce que c’est. J’avais une maîtresse à Paris, une que j’aime infiniment, une vieille amie, une bonne amie, une habitude enfin, et j’y tiens.

— À ton habitude ?

— Oui, à mon habitude et à elle. Elle est mariée aussi avec un brave homme, que j’aime beaucoup également, un bon garçon très cordial, un vrai camarade ! Enfin c’est une maison où j’avais logé ma vie.

— Eh bien ?

— Eh bien ! Ils ne peuvent pas quitter Paris, ceux-là, et je me suis trouvé veuf à Dieppe.

— Pourquoi allais-tu à Dieppe ?

— Pour changer d’air. On ne peut pas rester tout le temps sur le boulevard.

— Alors ?

— Alors j’ai rencontré sur la plage la petite dont je t’ai parlé.

— La femme du chef de bureau ?

— Oui. Elle s’ennuyait beaucoup. Son mari, d’ailleurs, ne venait que tous les dimanches, et il est affreux. Je la comprends joliment. Donc, nous avons ri et dansé ensemble.

— Et le reste ?

— Oui, plus tard. Enfin, nous nous sommes rencontrés, nous nous sommes plu, je le lui ai dit, elle me l’a fait répéter pour mieux comprendre, et elle n’y a pas mis d’obstacle.

— L’aimais-tu ?

— Oui, un peu ; elle est très gentille.

— Et l’autre ?

— L’autre était à Paris ! Enfin, pendant six semaines, ç’a été très bien et nous sommes rentrés ici dans les meilleures termes. Est-ce que tu sais rompre avec une femme, toi, quand cette femme n’a pas un tort à ton égard ?

— Oui, très bien.

— Comment fais-tu ?

— Je la lâche.

— Mais comment t’y prends-tu pour la lâcher ?

— Je ne vais plus chez elle.

— Mais si elle vient chez toi ?

— Je… n’y suis pas.

— Et si elle revient ?

— Je lui dit que je suis indisposé.

— Si elle te soigne ?

— Je… lui fais une crasse.

— Si elle l’accepte ?

— J’écris des lettres anonymes à son mari pour qu’il la surveille les jours où je l’attends.

— Ça c’est grave ! Moi je n’ai pas de résistance. Je ne sais pas rompre. Je les collectionne. Il y en a que je ne vois plus qu’une fois par an, d’autres tous les dix mois, d’autres au moment du terme, d’autres les jours où elles ont envie de dîner au cabaret. Celles que j’ai espacées ne me gênent pas, mais j’ai souvent bien du mal avec les nouvelles pour les distancer un peu.

— Alors…

— Alors, mon cher, la petite ministère était tout feu, tout flamme, sans un tort, comme je te l’ai dit ! Comme son mari passe tous ses jours au bureau, elle se mettait sur le pied d’arriver chez moi à l’improviste. Deux fois elle a failli rencontrer mon habitude.

— Diable !

— Oui. Donc, j’ai donné à chacune ses jours, des jours fixes pour éviter les confusions. Lundi et samedi à l’ancienne. Mardi, jeudi et dimanche à la nouvelle.

— Pourquoi cette préférence ?

— Ah ! Mon cher, elle est plus jeune.

— Ça ne te faisait que deux jours de repos par semaine.

— Ça me suffit.

— Mes compliments !

— Or, figure-toi qu’il m’est arrivé l’histoire la plus ridicule du monde et la plus embêtante. Depuis quatre mois tout allait parfaitement ; je dormais sur mes deux oreilles et j’étais vraiment très heureux, quand soudain, lundi dernier, tout craque.

J’attendais mon habitude à l’heure dite, une heure et quart, en fumant un bon cigare.

Je rêvassais, très satisfait de moi, quand je m’aperçus que l’heure était passée. Je fus surpris, car elle est très exacte. Mais j’ai cru à un petit retard accidentel. Cependant une demi-heure se passe, puis une heure, une heure et demie et je compris qu’elle avait été retenue pour une cause quelconque, une migraine peut-être ou un importun. C’est très ennuyeux ces choses-là, ces attentes… inutiles, très ennuyeux et très énervant. Enfin, j’en ai pris mon parti, puis je suis sorti, et ne sachant que faire, j’allai chez elle.