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Lombard fouilla dans sa poche:

— J’ai ici un journal édité par l’une des sociétés savantes de Skontar. Vous constaterez en passant qu’un certain courant d’informations continue à circuler entre nos planètes; il n’y a pas d’embargo officiel d’un côté ni de l’autre. Disons simplement que Sol a renoncé à Skang dans la mesure où celui-ci représente une mauvaise affaire. Quoi qu’il en soit… _ Il finit par trouver son journal. — … un de leurs philosophes, Dyrin, est en train d’effectuer un certain travail en matière de sémantique générale, travail qui a l’air de susciter pas mal d’enthousiasme chez eux. Vous lisez le skontarien, n’est-ce pas?

— Oui. J’étais au service des renseignements de l’armée pendant la guerre. Permettez?..

Vahino parcourut le journal jusqu’à ce qu’il trouve l’article et commença à traduire tout haut:

— «Les précédents ouvrages de l’auteur montraient que le principe de non-élémentalisme n’est nullement une proposition universelle en soi mais doit faire l’objet au contraire de certaines réserves d’ordre psycho-mathématique qui s’élèvent dès que l’on prend en compte le champ de broganar… «Broganar: c’est un mot que je ne comprends pas.»… lequel se combine avec des nucléons d’onde électroniques pour…»

— Mais que veut dire tout ce charabia? explosa Lombard.

— Je ne sais pas, dit Vahino d’un air désolé. La mentalité skontarienne m’est aussi étrangère à moi qu’à vous.

— Ce n’est que du charabia! répéta Lombard. Assaisonné de ce fichu dogmatisme si cher aux Skontariens. — Il jeta le journal dans le petit brasero en bronze, où le feu commença instantanément son travail de destruction. — N’importe qui ayant un minimum de connaissances en sémantique générale, ou ne serait-ce qu’un atome de bon sens, se rendrait compte que ce sont des inepties flagrantes.

Pour finir, il esquissa un petit sourire navré en secouant la tête:

— Une race de cerveaux dérangés!…

* * *

— Je serais heureux que vous puissiez me consacrer quelques heures demain, dit Skorrogan.

Thordin XI, Valtam de l’Empire de Skontar agita doucement sa tête ornée seulement d’une crinière très mince:

— Ma foi… je pense que c’est tout à fait possible. Encore que la semaine prochaine m’eut convenu davantage.

— Permettez-moi d’insister pour demain.

La nuance implorante dans cette requête n’avait pas échappé à Thordin:

— Soit. Mais que va-t-il donc se passer demain?

— J’aimerais vous emmener faire un petit tour sur Cundaloa.

— Cundaloa? Mais… pourquoi Cundaloa? Et pourquoi spécialement demain?

— Je vous le dirai à ce moment-là.

Skorrogan inclina la tête, cette tête dont la crinière était toujours aussi épaisse bien que complètement blanche à présent, et il coupa le télécran de son côté.

Thordin sourit d’un air quelque peu intrigué. Skorrogan était un curieux personnage à pas mal de titres, mais… malgré tout la vieillesse rassemble: il y avait une nouvelle génération, et encore une autre derrière, qui se pressaient sur leurs talons.

Sans doute une trentaine d’années d’existence en quasi-ostracisme avaient-elles changé l’ancien Skorrogan optimiste et sûr de lui. Mais du moins ne l’avaient-elles pas aigri. Quand la lente mais sûre réussite de Skontar était devenue si évidente que son propre échec pouvait être oublié, le cercle de ses amis s’était de nouveau resserré autour de lui. Il vivait encore seul la plus grande partie du temps, mais il n’était désormais plus indésirable partout où il allait. Thordin, en particulier, s’était rendu compte que leur ancienne amitié pouvait revivre comme avant, et il leur arrivait souvent de se rendre visite, le Valtam à la Citadelle de Kraakahaym, Skorrogan au Palais. Thordin avait même de nouveau offert au vieux noble un poste au sein du Haut Conseil, mais l’autre avait refusé, et dix autres années — n’était-ce pas même vingt? — s’étaient ainsi écoulées sans que Skorrogan fut investi d’autre mandat que ses fonctions héréditaires de duc. Jusqu’à ce jour où, pour la première fois, quelque chose qui ressemblait à une faveur venait d’être demandée par lui… Oui, Thordin irait demain. Au diable le travail pour une fois! Les monarques méritent bien des vacances eux aussi.

Thordin se leva de son fauteuil et s’approcha en boitant de la grande fenêtre. Le nouveau traitement à base de glandes endocrines contre les rhumatismes faisait des merveilles, mais ses effets n’étaient pas encore complets. Il frissonna légèrement en contemplant dans la vallée la neige chassée par le vent. L’hiver était de retour.

Les géologues disaient que Skontar était en train d’entrer dans une nouvelle ère glaciaire. Mais on n’en arriverait jamais à un stade avancé: dans une dizaine d’années les ingénieurs météorologiques auraient perfectionné leurs techniques, et les glaciers seraient tous repoussés vers le nord. Mais, en attendant, il faisait froid dehors; tout était recouvert par la neige et un vent glacial mugissait entre les tours du Palais.

Ce devait être l’été en ce moment, dans l’hémisphère sud; les champs devaient être verts, et dans le ciel bleu et chaud devait monter l’a fumée qui sortait des petites maisons individuelles. Qui avait dirigé cette mission scientifique déjà? Ah oui: le fils d’Aesgayr Haasting. Son travail dans le domaine de l’agronomie et de la génétique avait permis à une population de petits propriétaires indépendants de produire de la nourriture en quantité suffisante pour la nouvelle civilisation scientifique. La notion de citoyen libre, colonne vertébrale de Skontar tout au long de son histoire, ne s’était pas éteinte.

D’autres choses avaient changé, bien sûr. Thordin ne put s’empêcher de sourire en revoyant à quel point le Valtamat avait changé au cours des cinquante dernières années. C’était l’œuvre de Dyrin en matière de sémantique générale qui, en servant de base à toutes les sciences, avait conduit aux nouvelles techniques psychosymbologiques de gouvernement. Skontar n’avait plus d’empire que le nom aujourd’hui. Elle avait mis en application avec succès le paradoxe d’un état libertaire doté d’un gouvernement non électif et efficace. Il n’y avait lieu que de s’en féliciter naturellement, car c’était là ce vers quoi Skontar évoluait lentement et douloureusement depuis le début de, son histoire. Et puis la nouvelle science était venue accélérer le processus et permettre de ramener des siècles d’évolution à deux courtes générations. Mais pendant que la physique et la biologie se transformaient de façon stupéfiante, il était étonnant de constater que les arts, la musique, la littérature, tout cela n’avait pratiquement pas changé, que l’artisanat se maintenait, que l’on parlait toujours l’ancien haut-naarhaym.

Tel avait été le cours des choses. Thordin retourna à son bureau. Il y avait encore pas mal de questions à examiner; comme par exemple celle de la colonie sur la Planète d’Aesric. Mais qui penserait pouvoir gérer plusieurs centaines de colonies interstellaires prospères sans rencontrer quelques difficultés? L’empire était en sécurité. Et il se développait.

Comme ils étaient loin aujourd’hui de ce fameux jour de désespoir, il y a cinquante ans, et de la famine, de la peste et de la désolation qui avaient suivi! Oui, très loin! Thordin n’était même pas sûr de mesurer exactement tout le chemin parcouru.