Выбрать главу

Alfieri fut pris à l’improviste, une fois de plus, quand il se faufila dans la singularité de Schwarzchild. Il avait toujours eu du goût pour les sensations inhabituelles, aussi lui sembla-t-il injuste qu’un homme ait son volume comprimé à zéro et sa densité infiniment allongée sans qu’il puisse avoir une conscience tactile de ce phénomène. Pourtant c’est ce qui se produisit. On simula pour lui une super-nova agonisante et il fut entraîné à une vitesse super-luminique à travers la singularité. Il émergea dans une nouvelle chambre, identique aux précédentes, sur Hinnerang.

Là, au moins, on était complètement dépaysé. Le soleil chaud, à la lumière dorée, avait une teinte rougeâtre et, la nuit, quatre lunes évoluaient dans le ciel La gravité d’Hinnerang était inférieure de moitié à celle de la Terre. Tout en contemplant ce quatuor de globes qui miroitaient dans le ciel, Alfieri se sentait en proie à un étrange vertige et un accès de vigueur extatique l’animait. Il lui semblait qu’il pourrait sauter d’un seul bond vers le ciel et décrocher un de ces lumineux joyaux.

Les Hinnerangiens étaient petits et maigres, avec une peau d’un brun-rouge, des calottes crâniennes oblongues et des doigts fibreux qui se divisaient et se subdivisaient pour former tout au bout des réseaux entortillés. Ils s’exprimaient avec d’inquiétants murmures et Alfieri trouva leur langage plus barbare que le basque et plus chargé de consonnes que le polonais ; mais les petits dispositifs habituels transposaient leurs mots dans la langue de Dante quand ils avaient besoin de communiquer avec lui, et c’était là, pour Alfieri, un miracle plus impressionnant que tout le mécanisme du Transfert que, du moins, il pouvait affecter de comprendre.

— « Nous allons d’abord faire la négation de votre douleur, » lui dit le chirurgien.

— « En retranchant les récepteurs sensoriels de la douleur ? » demanda Alfieri. « Par l’ablation des vaisseaux nerveux ? ».

Le chirurgien le regarda d’un air à la fois grave et amusé.

— « Il n’y a pas de tels récepteurs sensoriels de la douleur dans le système nerveux de l’homme. Il n’y a que des organes fonctionnels qui perçoivent les différentes sortes d’impulsions nerveuses provenant de la peau, leur répondent et les classent, en faisant une sélection et en extrayant des modalités nécessaires. La « douleur » est simple étiquette pour une catégorie d’expériences, pas toujours déplaisantes. Nous allons ajuster le centre de contrôle, la grille des réponses, de façon que votre sondage des impulsions reçues soit orienté différemment ; et ce que vous ressentez ne sera plus classé comme une douleur. »

En d’autres temps, Alfieri aurait peut-être été heureux de discuter la sémantique raffinée de cette théorie de la douleur. Pour l’heure, il se contenta d’acquiescer gravement et leur permit de retirer le feu qui dévastait sa gorge.

Ce qui fut fait, délicatement et simplement. Il était étendu dans un berceau d’une sorte de caoutchouc-mousse, tandis que le chirurgien préparait l’opération suivante : résection majeure du tissu ; remplacement de la substance cellulaire perdue ; régénération des organes. Pour Alfieri la transmission de l’énergie par sans-fil était une affaire courante, mais il croyait rêver devant de tels prodiges. Il s’y soumit. Ils en coupèrent tellement dans son corps qu’il lui sembla que le prochain jet de rayon chirurgical lui trancherait entièrement la tête. Puis ils le régénérèrent. Lorsqu’ils auraient terminé, il parlerait de nouveau avec sa propre voix, et non plus avec un mécanisme implanté. Mais serait-ce vraiment sa voix, puisqu’ils l’auraient refaite pour lui ? Peu lui importait. C’était de la chair. Le cœur d’Alfieri pomperait le sang d’Alfieri à travers un nouveau tissu.

Et le cancer ? Avait-il disparu ?

Les Hinnerangiens étaient consciencieux. Ils pourchassèrent les cellules délétères dans tous les recoins de son corps. Alfieri vit l’image de colonies cancéreuses s’établir dans ses poumons, ses reins, ses intestins. Il vit ces corpuscules maraudeurs blesser à mort des cellules saines, projeter leur vil fluide en des endroits impossibles, multipliant, cellule par cellule, une lésion régulière de carcinomes. Mais les Hinnerangiens étaient consciencieux. Ils purgèrent Alfieri de la corruption. Ils lui enlevèrent son appendice, par-dessus le marché, soulageant son foie après toute une existence de régime de vin blanc milanais. Puis ils l’envoyèrent en convalescence.

Il respira cet air nouveau, en contemplant les lunes qui sautaient comme des gazelles dans un firmament aux étranges constellations. Mille fois par jour, il mettait la main à sa gorge, pour en sentir le renouveau, la tiédeur d’un tissu neuf. Il se nourrit de la viande d’animaux inconnus. D’heure en heure il reprit des forces.

Finalement ils le placèrent dans une chambre de singularité, puis le propulsèrent à travers l’enchevêtrement du Transfert et il revint à la Maison à Mi-Chemin.

— « Vous commencerez votre travail tout de suite, » dit Vuor. « Votre bureau sera ici. »

C’était une pièce ovale, dont les murs en matière plastique semblaient vivants, aussi roses, chauds et doux qu’une chair féminine. Derrière un de ces murs se trouvait la chambre aux parois de quartz utilisée par ceux que le Transfert faisait voyager. Vuor montra au nouvel arrivant comment actionner le commutateur qui permettait de regarder par transparence dans cette chambre ou depuis celle-ci.

— « Quelles seront mes fonctions ? » demanda Alfieri.

— « Je veux vous faire visiter d’abord la Maison à Mi-Chemin, » dit Vuor.

Alfieri le suivit. Il était difficile de bien se rendre compte de la structure de l’endroit ; Alfieri l’imaginait comme une sorte de station spatiale, une roue de dimension donnée placée sur orbite et divisée en nombreux compartiments. Mais comme il n’y avait pas de fenêtres, son opinion ne pouvait être confirmée. L’endroit semblait plutôt réduit, guère plus grand qu’un building commercial de dimensions courantes. Il était consacré en majeure partie à une centrale de force motrice. Alfieri aurait aimé s’attarder pour examiner les génératrices, mais Vuor le pressa de visiter un restaurant de libre-service, la petite chambre où il habiterait, puis une sorte de chapelle et enfin les bureaux.

L’étranger paraissait impatient. Des silhouettes silencieuses traversaient les halls de la Maison à Mi-Chemin, des créatures appartenant à cinquante races diverses. Presque tous ces êtres avaient une respiration pulmonaire normale et l’oxygène de l’air artificiel leur convenait, mais quelques-uns d’entre eux étaient masqués et d’allure mystérieuse. Ils faisaient un signe de tête à Vuor, regardaient Alfieri avec curiosité. Des fonctionnaires, songea Alfieri. Vaquant à leur travail routinier. Et maintenant je vais être comme eux, un parfait bureaucrate. Mais je suis vivant et je vais nager dans un océan de formules administratives pour leur montrer ma gratitude.

Ils revinrent dans le bureau ovale, aux doux murs, roses et moites.

— « Quelles seront mes fonctions ? » demanda Alfieri.

— « Interroger ceux qui arrivent à la Maison à Mi-Chemin dans l’espoir de voyager au-delà du Transfert. »

— « Mais c’est votre travail ! »

— « Plus maintenant, » répondit Vuor. « J’ai fait mon temps. C’est pour occuper mon poste, à présent vacant, que vous avez été engagé. Dès que vous entrerez en fonction je pourrai partir. »

— « Vous m’avez dit que j’aurais un poste administratif. Pour organiser, tirer des plans… »

— « Ceci est un travail administratif. Il vous faut juger les moindres détails dans la situation de chaque postulant. Vous devez être conscient des possibilités considérables que l’on trouve au-delà de notre Maison. Vous devez toujours avoir en vue le but de votre tâche : savoir qui l’on peut transférer plus loin et qui l’on doit rejeter. »