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Le médecin est aussi gêné que moi.

— Docteur… c'est un cas un peu spécial. Ce monsieur ne devrait pas être sur ce train en ce moment. Il a des ennuis, il a été obligé de fuir la Suisse pour rejoindre la France au plus vite. Il n'y a pas d'autre solution pour lui éviter de descendre ?

— Non. Il risque beaucoup plus en restant ici. Où est-ce que je peux me laver les mains ?

— Dans les toilettes, juste à gauche.

Il referme sa sacoche et sort avec.

— Je peux vous la garder, je lance.

— Hein… ? Ma sacoche ? Merci, non, j'ai besoin de désinfectant.

À peine est-il sorti que Jean-Charles me regarde en grimaçant.

— Vous ne le trouvez pas bizarre, vous ?

— Qui… lui ?

— Vous savez, on a dû m'ausculter des milliers de fois, mais lui, je sais pas… je ne l'ai pas senti…

Sans le laisser continuer je sors du compartiment et entre dans ma cabine sans faire de bruit. Le dormeur a créé le doute dans mon esprit, comme une suite de petits détails qui tendent vers quelque chose d'insaisissable. Le syndrome, la piqûre, cette descente à Lausanne, la sacoche. Je m'enferme au carré et éteins la lumière. Le plus lentement possible je m'agenouille pour coller mon œil contre la « télé » percée dans la paroi qui sépare des toilettes. Ça fait longtemps que je ne m'étais pas retrouvé dans cette position.

Pas grand-chose. Ses genoux, l'anse de sa sacoche, le bruit de l'eau. Ça dure une bonne minute sans que rien de nouveau ne rentre dans le plan. Sa main range une bouteille dans la sacoche puis en tire une boîte plate et métallique, il se penche, l'ouvre, c'est un étui qui contient une seringue, quelque chose a l'air de manquer, il farfouille, une fiole, un sérum peut-être. Il se redresse et je ne vois plus rien, il jette quelque chose dans la corbeille. Il a préparé une seringue, je pense. Il repose la boîte métallique puis sort un autre petit objet cylindrique qui semble assez lourd. Il le garde dans la paume et cherche encore. Apparemment il a trouvé…

Un flingue.

Un genou à terre, il visse le silencieux au bout du canon.

Il le met dans une poche intérieure, ferme sa sacoche et s'apprête à sortir.

Je vais bien trouver un moyen, il ne sait pas que je sais. Le loquet des W.-C. claque et je me précipite dehors.

— Hé, docteur, je ne parle pas trop fort pour que.. vous comprenez… Entrez dans ma cabine, j'ai un truc à vous dire, à propos de…

Il n'hésite pas à entrer et passe le premier. Dès que je vois son dos, j'arme mon genou très haut et déroule toute ma jambe dans ses reins, il cogne de plein front la vitre, je claque la porte et me jette sur lui de tout mon poids en le martelant de coups de poing dans la gueule. J'y mets toute ma force, il gigote sous moi, je martèle tant que je peux et toujours au même endroit, sur tout le côté gauche de son visage. Pas un son ne sort de sa gorge, il n'y a que le bruit sourd de mes poings sur son crâne, ses bras m'échappent…

Je me suis retrouvé à terre, éjecté.

Je n'ai pas eu le temps de me relever, j'ai juste dressé la tête, le canon pointait au niveau de mes yeux.

— Restez à terre.

Au loin je peux entendre la sirène d'un train qui va nous croiser dans quelques secondes. De sa main libre il palpe doucement son arcade gauche.

— Vous auriez dû m'écouter, tout à l'heure, juste un sédatif, au cas où il faisait des difficultés, à Lausanne. Une ambulance l'attend à la sortie de la gare. Ça ne nous sert à rien de laisser un cadavre derrière nous. Le sien ou le vôtre. De quoi vous mêlez-vous ?

Troisième fois que j'entends la question.

— Et vous pourrez le retenir contre sa volonté, en Suisse ?

Pas de réponse.

— Vous êtes vraiment médecin ou vous êtes un tueur ?

— On dit toujours que les extrêmes se touchent toujours un peu… Je suis vraiment médecin. Brandeburg en voulait un pour remettre la main sur Latour, ses autres sbires n'ont pas vraiment fait l'affaire, à l'aller. Un peu à cause de vous, à ce qu'on m'a dit. Et puis, il n'y a guère qu'un médecin pour s'occuper de Latour, et intervenir si besoin est. Vous, vous êtes assez efficace, j'ai l'impression, mais comment pourriez-vous faire un acte médical s'il avait une syncope ou une hémorragie ? Et s'il mourait, là, brutalement ? Nous sommes plus soucieux de sa santé que vous.

Il a raison.

— Ses maux de ventre, c'est quoi ?

— Ce que j'ai dit, sûrement les pilules. Quant au saignement de nez, je ne pense pas que ce soit important. Un peu d'angoisse à l'approche de Lausanne, ou à l'approche de Paris, allez savoir.

Son arcade vire au violet, doucement. Il s'assoit de trois quarts sur mon fauteuil sans dévier une seconde de sa ligne de mire. Du bout des doigts il effleure sa joue.

— La pommette a déjà changé de couleur ? Vous n'avez pas ménagé vos efforts…

— Et en tant que médecin, vous savez vous servir de ça, là ? dis-je en montrant l'arme.

— Je sais très bien m'en servir, mais je ne vais pas vous raconter ma vie.

Quelque chose d'intense passe dans ses yeux.

— On retourne dans ce compartiment, je garde ça dans ma poche, le doigt sur la détente, dit-il l'arme en main. Si qui que ce soit arrive avant Lausanne, vous gardez le sourire et autant que possible vous ne sortez pas du compartiment.

— Et si ce sont les contrôleurs ?

— Eh bien… vous sortez, bien sûr. Je reste avec Latour. Sinon, nous sommes deux voyageurs avec lesquels vous avez sympathisé. Ça vous arrive, non ?

— Rarement.

— À Lausanne, nous prenons le malade en charge et vous ne vous occupez de rien. C'est le prix de votre peau.

Il me fait signe de sortir. Jean-Charles ne comprend rien. En quelques mots je lui explique la situation, mais le léger mauve sur la gueule du toubib est un bien meilleur argument. Il comprend, petit à petit, la nouvelle donne. Étrangement, il ne sombre pas dans la crise de tétanie, comme s'il s'y attendait.

— Et c'est vous qui l'avez conduit jusqu'à moi… ?

Je ne réponds rien. C'est comme ça.

— Et vous là, en tant que médecin, vous pourriez tirer sur un individu ?

Il ne répond rien non plus.

— Le docteur n'a plus qu'un vague souvenir du serment d'Hippocrate, hein ?

Aucune réponse. Aucune réaction. Si Jean-Charles se lance dans un travail de sape, il a intérêt à se grouiller, il est presque 2 heures et on arrive à Lausanne dans vingt minutes. Moi, je n'ai aucune envie de jouer au héros. Au nom de quoi et à quel prix ? J'ai fait ce que j'ai pu, je n'ai rien à me reprocher, je suis allé au bout de mes ressources. Je ne peux rien faire contre un flingue.

On cogne doucement au carreau du couloir. Le toubib se redresse sans paniquer, Jean-Charles sursaute.

— Ouvrez, voyez ce que c'est, mais ne sortez que si ce sont les contrôleurs.

Sans faire de geste brusque, je fais coulisser lentement la porte.

— C'est là que vous vous cachez ?

Je reçois un léger coup dans la cheville, c'est le toubib, il veut voir qui a frappé. J'ouvre un peu plus, il découvre un visage souriant et bourré de taches de rousseur. Il vaudrait mieux pour elle qu'elle s'en aille, vite, très vite.

— Vous faites salon ? dit-elle, la mine enjouée. Ça ronfle dans mon compartiment, je ne pourrai jamais dormir et d'ailleurs je n'ai absolument pas sommeil !

— Parlez moins fort, dis-je, tout le monde n'est pas dans votre cas.

Casse-toi… Mais casse-toi !

— Je ne peux même pas allumer la veilleuse pour lire un peu, je ne sais pas quoi faire… Je peux entrer ?

Elle vient de s'inviter toute seule et entre dans le compartiment en forçant un peu sur mon bras. Elle pousse un bonsoir et serre la main de Jean-Charles puis se retourne vers le toubib, main tendue.