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– Quoi qu’il arrive, pensa-t-il, je suis là pour la protéger… Dès demain matin, je chercherai un autre refuge pour Jeanne.

Et il entra!… Elle le suivit, trop préoccupée de ses propres pensées pour s’étonner des dispositions bizarres de cette maison.

Dans la cour, Lubin, qui marchait en avant un flambeau à la main, inclina à droite.

C’était dans le pavillon de gauche que logeait d’Assas!

Il fut sur le point de demander à Lubin les raisons de ce changement de logis. Mais il était trop tard maintenant. En parlant, il risquait non seulement d’épouvanter Jeanne, mais de donner l’éveil à ceux qui pouvaient le guetter!

Il entra donc, la main sur la garde de son épée, dans ce pavillon où, selon le mystérieux avis de la femme en noir, il n’eût jamais dû pénétrer.

– Mes pistolets? demanda-t-il rudement à Lubin.

– Les voici, monsieur, dit le valet en souriant.

Le chevalier aperçut alors sur une table ses pistolets que lui montrait Lubin.

Cette vue le rassura.

– Pour cette nuit, du moins, pensa-t-il, on ne veut rien tenter contre moi ou contre Jeanne. Sans quoi, on ne m’eût pas apporté ces armes de défense… à moins…

Une pensée soudaine traversa son esprit, et il examina les pistolets: ils étaient bien chargés…

Dès lors, d’Assas fut entièrement rassuré et commença à croire que le fantôme noir avec son avis n’était qu’un mythe de son imagination.

D’ailleurs, il faut avouer que l’aspect du petit salon où il venait de pénétrer n’avait en soi rien de bien alarmant.

C’était un coquet et élégant boudoir où la plus difficile des petites-maîtresses n’eût rien trouvé à redire.

Cette élégance et cette coquetterie, Jeanne les avait remarquées non sans un certain trouble.

Comment le chevalier d’Assas, pauvre officier, plus habitué aux camps qu’aux salons, avait-il pu songer à tous ces raffinements?… Et comment avait-il pu, surtout, faire la dépense que nécessitait un pareil ameublement?

Elle finit par se dire que le chevalier avait dû y engager plusieurs années de sa solde.

– Pauvre garçon! songea-t-elle en le regardant avec attendrissement.

D’ailleurs, elle était à l’aise dans cette situation qui eût semblé scabreuse à une femme d’esprit moins alerte…

Elle considérait ces tentures précieuses, ces meubles délicats, ces bibelots coûteux, avec une sorte de reconnaissance attendrie.

– Il a voulu que je retrouve ici toutes mes habitudes…

Le chevalier, de son côté, s’étant assuré que ses pistolets chargés étaient à sa portée, examinait attentivement l’endroit où il se trouvait et, n’y découvrant rien de suspect, s’abandonnait au charme et au bonheur de se trouver si près de son idole.

– Madame est servie! fit tout à coup Lubin en apparaissant au fond d’une pièce voisine.

– La magie continue, se dit le chevalier.

Jeanne ne se sentait aucun appétit. Mais elle eût cru froisser cruellement le chevalier en lui refusant de s’asseoir à sa table et de faire honneur à ce repas qu’il avait dû prendre une joie d’enfant à ordonner…

Elle passa donc dans la salle à manger qui était digne en tout du petit boudoir…

– Chevalier, dit-elle en se mettant à table, vous avez fait des folies… Ce salon, cette salle à manger… ce souper luxueusement ordonné…

D’Assas demeura stupéfait.

Il n’avait pas songé à cela, lui?…

Et comment faire pour détromper Jeanne? Comment lui dire qu’il n’était pas chez lui?…

– Madame… balbutia-t-il.

– Mais vous m’attendiez donc? reprit Jeanne tout à coup.

– Eh bien, oui! s’écria le chevalier en devenant pourpre. Je vous attendais! Est-ce que je ne vous attends pas toujours?

Il se détestait de mentir ainsi…

Mais il avait si bien compris la question qui allait surgir sur les lèvres de Jeanne s’il ne répondait pas ainsi:

– Alors, vous attendiez une femme?

– Je vous en supplie, continua-t-il d’une voix ardente et à la fois tremblante, ne m’interrogez pas, ne me demandez rien… Supposez… tenez… supposez que vous êtes transportée dans une maison enchantée… que tout ce qui nous entoure n’est que pure magie et fantasmagorie…

– Oh! mais vous allez m’effrayer! s’écria-t-elle gaiement, ou du moins en s’efforçant de paraître gaie pour récompenser un peu le pauvre chevalier.

– Ne craignez rien, dit-il tout heureux en effet de cette gaieté; je suis capable de m’écrier comme dans le Cid: Paraissez, Maures et Castillans, c’est-à-dire fantômes ou enchanteurs!… Nul de vous ne m’enlèverait en ce moment le cher trésor que j’ai l’insigne bonheur de posséder pour quelques instants…

– Pauvre garçon! répéta Jeanne en elle-même, tout attendrie. Le chevalier avait prononcé ces paroles avec une véritable exaltation. Dans son esprit, il s’adressait à ses ennemis supposés qui pouvaient être cachés dans la maison…

Et il jetait autour de lui un flamboyant regard…

Mais ce regard étant revenu à Jeanne, si belle, si resplendissante de son exquise jeunesse, et la voyant si paisible, et si calme, si loin d’elle… oh! si loin… des larmes emplirent tout à coup ses yeux…

Le comte du Barry, comme on l’avait vu, avait accompagné M. Jacques et Juliette jusqu’à la petite maison des quinconces.

Là, M. Jacques lui avait remis un billet, et le comte s’était élancé, tandis que Bernis faisait le signal convenu à Suzon qui devait ouvrir la porte du petit jardin.

Pendant que se passait entre Juliette, entrée dans la maison, et Jeanne la scène que nous avons racontée, et à la suite de laquelle Jeanne devait fuir la maison, le comte du Barry courait vers le château de Versailles.

Il était à ce moment environ sept heures.

Le château était en pleine animation. C’était l’heure du dîner du roi.

Du Barry pénétra dans les vastes et somptueux appartements qui constituaient, vers l’aile droite, le logis privé de Louis XV. Il rencontra en chemin une procession de marmitons qu’escortaient des Suisses en grande tenue de parade commandés par un officier.

L’officier venait en tête, l’épée à la main.

Derrière lui marchait un grave personnage qui était l’officier de la bouche du roi.

Puis venaient les marmitons, portant deux à deux des paniers où étaient symétriquement rangés des plats couverts de leurs cloches d’argent.

C’était la viande du roi qui passait!…

C’est à dire son dîner.

Du Barry, de même que tous les gentilshommes qui se heurtaient à ce singulier cortège, se découvrit et suivit.

Par une porte largement ouverte il vit la salle à manger.

Louis XV y entrait à ce moment, d’un air indolent, se mettait à table et commençait à manger, choisissant soigneusement les plats, se plaignant que l’art de la cuisine tombât en décadence, et n’en perdant pas pour cela une bouchée. Bien que ce ne fût pas un royal mangeur comme Louis XIV, qui étonnait ses invités par sa prodigieuse voracité, Louis XV était encore une très bonne fourchette.