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Les courtisans admis à l’honneur de le voir manger s’étaient massés dans un coin de la salle, silencieux attentifs au moindre geste du maître…

Louis XV ayant laissé tomber sa serviette, il y eut une ruée de tous ces ducs, comtes et marquis… ce fut du Barry qui arriva premier et eut l’honneur de la ramasser.

Le roi sourit, et du Barry, qui depuis quelque temps se trouvait assez mal en cour, se trouva amplement récompensé. Mais une joie d’un tout autre ordre lui était réservée.

– Comment va la comtesse? lui demanda tout à coup Louis XV avec cette familiarité de bon bourgeois qui faisait le vrai fond de son caractère… Comment ne la voit-on jamais à Versailles?…

– Sire, dit du Barry qui tressaillit profondément, Mme la comtesse du Barry sera trop heureuse et trop flattée que Votre Majesté ait pris souci d’elle… Quant à venir à Versailles, la comtesse y doit être arrivée à cette heure et, puisque le roi l’ordonne, elle viendra lui faire sa révérence.

Le roi approuva d’un signe de tête.

Et le bruit de ces paroles se répandit aussitôt parmi les courtisans qui jetèrent des regards d’envie à du Barry.

Cependant celui-ci s’était reculé, et bientôt il ne tarda pas à se confondre avec la foule.

Il regardait autour de lui, et semblait chercher quelqu’un…

Son dîner fini, le roi passa dans la grande salle où il se mit à jouer et se montra fort gai.

Du Barry s’était éclipsé.

Il monta deux étages, passa rapidement devant la chambre où Bernis avait eu avec M. Jacques cette conférence dont nous avons parlé, et parvint enfin à une porte. Un laquais ouvrit au coup qu’il frappa.

– Est-ce que M. Lebel est visible? demanda le comte.

– Je puis le lui demander, fit le laquais.

Lebel était le valet de chambre du roi; et ce laquais, c’était son valet de chambre, à lui!

L’appartement, composé de cinq pièces bien meublées, eût fait envie à plus d’un riche bourgeois.

– M. Lebel est visible, fit le laquais en revenant. Si monsieur le comte veut me suivre…

Quelques instants plus tard, le comte entrait dans le salon de Lebel, dont le service ne commençait que vers neuf heures du soir pour se terminer après le grand lever.

– Sommes-nous seuls? fit du Barry à voix basse.

– Vous pouvez parler, répondit Lebel. Dans tout le château, les murs ont des oreilles. Mais ici je me suis arrangé pour que ces oreilles demeurent bouchées… Ainsi, ne craignez rien.

Du Barry tira d’une poche de sa poitrine le billet que lui avait remis M. Jacques.

C’était, comme on l’avait vu, un papier simplement plié en quatre.

– Pour le roi! dit le comte.

Lebel prit le papier, le lut, hocha la tête, et dit simplement:

– Enfin!…

– Lebel, reprit le comte, il faut faire en sorte que le roi ne lise pas ce billet avant minuit.

– C’est-à-dire qu’on l’attend un peu après minuit. Soyez tranquille. Et dites à celui qui vous envoie que ses ordres seront exécutés à la lettre…

Lebel, alors, reconduisit lui-même du Barry jusqu’à sa porte, honneur qu’il n’accordait pas à tout le monde.

Du Barry descendit, se montra ostensiblement parmi les courtisans, trouva moyen d’être encore aperçu du roi, puis, par une manœuvre lente et savante, il sortit sans que personne l’eût remarqué.

Il était alors neuf heures.

Il courut à la ruelle des Réservoirs…

– Le chevalier d’Assas? demanda-t-il.

– Parti depuis une heure.

– On t’avait recommandé de le garder jusqu’à neuf heures et demie.

– Le diable ne l’eût pas retenu, monsieur le comte!

Au surplus, que le chevalier d’Assas fût déjà à son poste, cela n’en valait que mieux, en cas d’imprévu.

Du Barry se dirigea donc alors vers la petite maison des quinconces.

À vingt pas devant la porte d’entrée, dans l’ombre épaisse des arbres serrés, il trouva Bernis qui attendait immobile, les yeux fixés sur la porte, sa montre à la main.

– Où est le chevalier? demanda le comte à voix basse.

– Devant la porte bâtarde du jardin: je viens de m’en assurer.

– Bon. L’heure approche…

– Dans un quart d’heure.

– Et lui?… reprit du Barry.

– Je ne sais. Mais tenez pour certain que lui ou son ombre est là quelque part, qui nous guette…

– Pourvu que Juliette réussisse!…

– Elle réussira! dit Bernis.

Les deux personnages demeurèrent alors silencieux, entièrement enveloppés dans leurs manteaux, collés contre le tronc d’un arbre… Ils n’étaient émus ni l’un ni l’autre. Ce qu’ils faisaient là leur semblait tout naturel…

Le quart d’heure se passa.

– Dix heures! murmura Bernis qui, malgré la profonde obscurité, parvint à déchiffrer la marche des aiguilles sur sa montre. Allons, comte, il est temps d’agir…

– Faites le tour de la maison, et assurez-vous que les choses se passent en règle. Moi, je me charge de la besogne devant la porte d’entrée.

Bernis se glissa, se faufila d’arbre en arbre…

Du Barry s’approcha de la porte et se mit à frapper, doucement d’abord, puis plus rudement.

C’étaient ces coups qu’avait entendus Jeanne et qui avaient déterminé sa fuite!…

Dix minutes plus tard, Bernis le rejoignait…

– C’est fait? demanda ardemment du Barry.

– Venez! fit Bernis pour toute réponse.

Du Barry suivit Bernis qui bientôt lui montra un groupe confus dans l’ombre, marchant devant eux.

– Le chevalier d’Assas et Mme d’Étioles! murmura-t-il sourdement.

Une joie furieuse gronda en lui.

Enfin! Il tenait d’Assas! Il le tenait bien, cette fois!…

– Adieu! fit Bernis. Mon rôle se termine en ce qui vous concerne.

– Vous rentrez au château? demanda du Barry.

– Oui; pour suivre de près les évolutions auxquelles va se livrer Sa Majesté…

– Et moi, fit le comte, je vais suivre celles de M. d’Assas!… Bernis obliqua dans la direction du château, et du Barry continua à suivre le chevalier et Jeanne.

– Pourvu qu’ils aillent là-bas! grondait-il.

Il se sentit pâlir à la pensée que d’Assas pourrait peut-être ne pas aller à la ruelle des Réservoirs… que Jeanne refuserait peut-être de le suivre là…

Il se fouilla et tira de son fourreau un fort poignard qu’il garda à la main.

– Tant pis! mâchonna-t-il dans un mouvement de rage. Je le tiens. Je ne veux pas qu’il m’échappe!… S’il ne va pas là-bas… je le tue!…

Au bout de cinq cents pas, il se rassura: d’Assas, évidemment, se dirigeait vers les Réservoirs!…

Du Barry le vit entrer dans la ruelle qui débouchait juste en face…

Il eut un grognement de joie, comme peut en avoir le tigre qui est sûr de sa proie.