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– Je me marie, continua celui-ci, et j’épouse la femme la plus spirituelle et la plus jolie de Paris. Ce qu’il y a de remarquable en cette affaire, c’est que ma fiancée m’aime autant que je l’adore…

– Un mariage d’amour!…

– C’est le mot!

– Puissiez-vous être heureux tous deux! dit le chevalier avec attendrissement.

– J’espère, parbleu, que je le serai! Et ce, pas plus tard que demain! s’écria d’Étioles avec un mauvais rire qui causa au chevalier une impression de malaise. Or, donc, puisque nous voilà intimes… car nous sommes intimes… d’honneur, je suis tout vôtre. Si j’étais fort aux armes je vous dirais: Disposez de mon épée… Mais j’ai le malheur de n’être que riche, et je vous dis: Cher ami, disposez de ma bourse…

En parlant ainsi, il examinait attentivement le chevalier. Celui-ci s’inclina froidement.

– Or donc, se hâta de continuer d’Étioles, puisque nous sommes amis, je pense que vous me ferez la joie d’assister à mon mariage qui a lieu demain, sur le coup de midi, à Saint-Germain-l’Auxerrois…

– Très volontiers. Ce me sera un honneur que de signer au registre de la paroisse.

– Touchez là, chevalier! Je compte sur vous comme sur un de mes amis les plus chers. De vrai, vous m’avez tout séduit, et je considérerais maintenant comme un malheur de vous avoir pour ennemi…

– Espérons donc que nous resterons bons amis! dit le chevalier en riant.

Il sauta à terre, fit un dernier signe à d’Étioles et rentra dans son hôtellerie devant laquelle le carrosse venait de s’arrêter.

– Me voilà, songea-t-il, avec un terrible ennemi sur les bras… Ce comte du Barry est un haineux personnage. Le regard qu’il m’a jeté au moment où j’allais lui tendre la main était un jet de fiel qui m’a fait froid au cœur… Heureusement, comme tout se balance et s’équilibre dans la vie, en même temps qu’un ennemi j’ai gagné un ami sûr. Ma foi, ce M. d’Étioles est un charmant homme… De plus, si j’en juge par les apparences, il doit être bien en cour; et voilà, certes, qui n’est pas à dédaigner pour un pauvre officier de fortune comme moi… Quant aux sinistres prédictions du comte de Saint-Germain, eh bien, arrive qu’arrive, mais je ne m’en irai pas de Paris!… Paris qu’elle habite!… Paris où elle respire!… Respirer le même air qu’elle… ah! n’est-ce pas déjà du bonheur?…

Le chevalier d’Assas arrivait à Paris avec deux lettres de recommandations: l’une pour le duc de Nivernais, l’autre pour le maréchal de Mirepoix.

Tous les deux étaient à Versailles, où la cour était installée.

Les deux recommandations ne souffraient pas de retard.

Si forte que fût l’envie du chevalier d’aller rôder aux abords de la rue des Bons-Enfants, il se décida à accomplir sur-le-champ des démarches dont dépendait son avenir d’officier.

– Je serai de retour vers cinq heures, pensa-t-il. Et alors…

Il fit aussitôt seller son cheval, et bientôt il s’éloigna au trot, dans la direction de Versailles.

Quant à Le Normant d’Étioles, son carrosse le conduisit quai des Augustins, à l’hôtel de Tournehem, où il s’arrêta deux heures; de là, il se rendit rue des Bons-Enfants, où eut lieu la terrible et odieuse scène que nous avons racontée.

On vient de voir qu’il était tellement sûr de triompher des résistances de Jeanne que, d’avance, il invitait ses amis à la cérémonie qu’il avait fixée au lendemain!…

VII POISSON ET CRÉBILLON

Le chevalier d’Assas fut de retour aux Trois-Dauphins à peu près au moment qu’il avait prévu, c’est-à-dire vers les six heures du soir: c’était le moment même où Jeanne remettait à Noé Poisson la lettre qu’elle avait si fiévreusement écrite pour d’Assas.

Le chevalier avait à demi réussi dans ses démarches à Versailles. Il n’avait pu voir le duc de Nivernais, mais il avait été reçu par M. de Mirepoix en personne, et le maréchal, après l’avoir interrogé avec bienveillance, lui avait presque promis de lui faire obtenir ce qu’il était venu chercher à Paris, c’est-à-dire d’être admis avec son grade dans les chevau-légers du roi, faveur immense, les chevau-légers étant un corps d’élite très jaloux de ses prérogatives, très fermé, composé de la fine fleur de la noblesse du royaume.

Cette quasi-promesse du maréchal avait comblé de joie le chevalier.

Ce fut donc en fredonnant qu’après avoir mis son cheval à l’écurie il grimpa quatre à quatre les deux étages qui conduisaient à sa chambre, et ce, nonobstant la belle Claudine qui essaya de l’arrêter au passage pour lui demander s’il était satisfait du service, et, en réalité, pour lui faire les doux yeux.

Libre de tout souci, le chevalier se mit, comme la veille, à faire une toilette soignée: cette fois, rien ne pourrait l’empêcher d’aller admirer la bienheureuse rue qu’habitait celle qui dominait sa pensée de tous les instants.

Sa toilette achevée, pimpant, réellement joli à voir, élégant et le plus léger des amoureux, il redescendit et s’élança au dehors.

Sur le seuil de l’hôtellerie, il se heurta à un homme gros et court qui ne devait pas être bien solide sur ses jambes, car le choc le fit asseoir à terre. Le chevalier salua, s’excusa avec un sourire et partit en courant presque.

L’homme, après l’avoir contemplé un instant tout ébahi, après avoir pesté contre les freluquets et les roués trop pressés, finit par se relever péniblement et dit quelques mots à Mme Claude accourue.

Aussitôt celle-ci s’élança dans la rue, appelant le chevalier.

Mais d’Assas était déjà loin. Il n’entendit pas. Ou, s’il entendit, il jugea que ce qu’il allait faire était autrement intéressant que tout ce que son hôtesse pouvait avoir à lui raconter.

Le chevalier était parti pour se rendre directement rue des Bons-Enfants. C’était chez lui un besoin, une envie d’enfant. Son plan était de traverser la rue, de se mettre dans les yeux la demeure de la jolie inconnue, puis de rentrer tranquillement dîner aux Trois Dauphins, où, retiré dans sa chambre, il aurait tout loisir pour rêver à la gracieuse apparition.

Mais le chemin des amoureux, c’est souvent le chemin des écoliers.

Une singulière émotion dont il ne fut pas maître s’empara du chevalier aux abords de la rue bénie: émotion mêlée de timidité, d’angoisse et de désirs contradictoires.

Si bien qu’il ne s’aperçut pas qu’il faisait un détour assez considérable, et qu’au lieu d’entrer rue des Bons-Enfants, il se retrouva sur le port Saint-Nicolas, non loin du vieux Louvre.

Alors, par les quais, il continua son chemin jusqu’au Pont-Neuf, tourna à gauche et alla rejoindre la rue Saint-Denis. Longtemps il marcha au hasard; vers huit heures, il se retrouva rue Montmartre et entra pour dîner dans un cabaret au coin de la rue des Fossés-Montmartre. Ses tours et détours l’avaient donc en somme ramené comme par une attraction magnétique au point central de son exploration. En effet, il était à deux cents pas de la place des Victoires où venaient aboutir d’une part la rue des Fossés-Montmartre, et de l’autre la rue des Bons-Enfants ou presque.

À neuf heures, ayant achevé son repas, l’esprit réchauffé par une bouteille de vieux bourgogne, le chevalier sortit du cabaret au moment où on le fermait.