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Il se sentit pâlir à la pensée que d’Assas pourrait peut-être ne pas aller à la ruelle des Réservoirs… que Jeanne refuserait peut-être de le suivre là…

Il se fouilla et tira de son fourreau un fort poignard qu’il garda à la main.

– Tant pis! mâchonna-t-il dans un mouvement de rage. Je le tiens. Je ne veux pas qu’il m’échappe!… S’il ne va pas là-bas… je le tue!…

Au bout de cinq cents pas, il se rassura: d’Assas, évidemment, se dirigeait vers les Réservoirs!…

Du Barry le vit entrer dans la ruelle qui débouchait juste en face…

Il eut un grognement de joie, comme peut en avoir le tigre qui est sûr de sa proie.

D’Assas et Jeanne s’arrêtaient devant la mystérieuse maison!…

Ils y entrèrent!…

– Enfin! Enfin! rugit en lui-même du Barry.

Et, certes, à ce moment il oubliait Juliette, monsieur Jacques, le rôle qu’il avait à jouer, il oubliait tout pour ne penser qu’à cette vengeance qu’il tenait enfin.

Il attendit une demi-heure devant la porte, – peut-être pour se calmer.

Enfin, il frappa doucement d’une façon spéciale. La porte s’ouvrit aussitôt sans que personne parût.

Il entra, referma sans bruit, et se dirigea vers le pavillon de gauche – celui qu’avait occupé d’Assas!

Alors, il s’assit, s’accouda à une table, mit sa tête dans sa main et s’enfonça dans une sombre rêverie…

De longues heures s’écoulèrent.

Il était peut-être quatre ou cinq heures du matin.

Du Barry n’avait pas bougé de sa place.

À ce moment, il parut s’éveiller comme d’un long rêve qu’il eût fait là sur ce coin de table.

Il jeta autour de lui des yeux sanglants. Les criminels qui préparent le meurtre ont de ces regards suprêmes.

Ils semblent craindre qu’on ne les ait guettés… que quelqu’un d’invisible n’ait lu dans leur conscience…

Du Barry éprouvait peut-être cette crainte mystérieuse.

Mais il avait la crainte plus matérielle et plus positive de voir apparaître M. Jacques. Il était décidé à tout. Et il savait que M. Jacques lui défendrait de tuer… lui ordonnerait d’attendre…

Il ne voulait plus… il ne pouvait plus attendre!…

Il saisit un pistolet qu’il avait déposé sur la table en entrant, et le contempla quelques minutes.

Puis, d’un lent mouvement, il le replaça sur la table.

– Non! murmura-t-il… cela fait trop de bruit… et puis une balle même à deux pas peut s’égarer… peut frapper à faux… et puis… la balle… on ne la sent pas entrer… Non!… ceci vaut mieux!…

Ceci!… C’était le poignard.

Il le saisit, et l’emmancha pour ainsi dire dans sa main.

Alors, doucement, sans bruit, il sortit dans la petite cour… et lentement se glissa vers le pavillon d’en face… le pavillon où se trouvaient Jeanne et le chevalier d’Assas!…

XXXIV LE MAGNÉTISEUR

La situation ainsi posée, – le chevalier et Jeanne dans le pavillon de droite, du Barry attendant le moment d’agir, le roi se dirigeant en toute hâte à minuit vers la petite maison des quinconces, où se trouve Juliette, et l’ombre de M. Jacques dominant cet ensemble d’intrigues bien de ce temps, – nous prierons le lecteur de vouloir bien revenir un instant à Paris, dans la matinée même de ce jour où ces divers événements s’accomplissaient à Versailles.

Vers dix heures du matin, donc, un gentilhomme arrêta son carrosse devant l’hôtellerie des Trois-Dauphins.

Étant descendu de voiture, ce gentilhomme pénétra dans l’hôtellerie et demanda à parler à M. le chevalier d’Assas.

Au nom du chevalier qu’elle entendit, la belle Claudine accourut pour répondre elle-même.

– M. le chevalier n’est pas ici, dit-elle au gentilhomme, non sans quelque tristesse.

– C’est-à-dire qu’il est absent?… et qu’il va rentrer?…

– Absent, oui!… quant à rentrer, je ne le crois pas!

Et la belle Claudine poussa un soupir.

Le gentilhomme avait tressailli. Il interrogea l’hôtesse du regard.

– Voilà, fit Claudine: il y a quelques jours un jeune seigneur est venu et est resté longtemps enfermé avec M. le chevalier. Puis ils sont montés à cheval tous les deux et sont partis. Depuis, je ne l’ai pas revu. Le lendemain, une sorte de valet est arrivé ici, a payé les dépenses du chevalier de sa part, a pris son portemanteau et a disparu sans rien dire…

Le gentilhomme ne témoigna ni surprise ni ennui de cette absence du chevalier. Il remercia, salua, sortit et remonta dans son carrosse en disant:

– À l’hôtel!…

La voiture partit au grand trot d’un magnifique attelage qui, sur son passage, excitait l’admiration générale. Et le carrosse lui-même avait seigneuriale allure, avec ses glaces à travers lesquelles on voyait les coussins et le capitonnage de soie mordoré, avec son gigantesque cocher et ses deux valets de pied à somptueuse livrée.

Le gentilhomme portait un fastueux costume. Les plumes de son chapeau, l’étoffe de son habit, le satin broché du gilet à grandes basques, la garde de son épée, précieusement sculptée, les boucles d’or de ses souliers à hauts talons rouges, les dentelles de son jabot et de ses manches, tout cet ensemble donnait l’impression d’une élégance extraordinaire.

Et pourtant, il n’avait nullement la tournure d’un petit-maître.

Mais ce qui, surtout, frappait la vue des passants dans ce magnifique seigneur, c’étaient les pierreries qui flamboyaient sur lui, les trois rubis énormes qui fixaient son jabot, les diamants fabuleux de ses bagues…

C’était une étincelante vision qui laissait derrière elle un long sillage d’admiration presque inquiète de gens qui, à voix basse, avec une sorte de crainte, murmuraient:

– Le comte de Saint-Germain!…

En effet cet homme qui venait de s’enquérir du chevalier d’Assas, c’était le comte de Saint-Germain.

Nul n’eût pu dire s’il s’intéressait vraiment au pauvre officier, et de quel genre était cet intérêt, s’il existait.

Car nul ne lisait dans la pensée de cet homme qui lisait dans celle de tout le monde.

En quelques instants, le carrosse atteignit la place Louis XV et s’arrêta à l’angle nord de cette place, devant un hôtel de grand style. Les valets sautèrent de leur place et ouvrirent la portière.

Deux minutes plus tard, le comte de Saint-Germain pénétrait dans un salon d’un luxe étrange par les meubles, par les tentures et par les œuvres d’art, mais dont le principal ornement, aux yeux des curieux bien rares qui étaient admis à y pénétrer, était une vitrine renfermant une collection de monstrueuses émeraudes, de perles phénoménales, de diamants, de saphirs, d’opales et de rubis à faire rêver que l’on se trouvait transporté dans quelque palais oriental, aux portes du Guzarate…

Pour un observateur attentif, le comte eût alors perdu ce masque d’impassibilité qu’il avait gardé jusque là.

Un pli soucieux, pour un instant, barra son large front plein d’audace et de volonté…

Il appuya deux fois sur un timbre d’or dont le bouton était constitué par une perle grosse comme une noisette.

Une jeune femme de chambre parut bientôt.

– Madame est-elle chez elle? demanda le comte.