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Le lendemain matin, la soubrette sortit encore, et cette fois le poète se lança sur ses pas, prêt à l’aborder quand elle sortirait de chez le droguiste.

Mais, cette fois encore, il en fut pour ses frais, car la soubrette ressortit presque aussitôt… en compagnie d’un vieillard aux allures paisibles, habillé tout de noir comme un clerc, s’appuyant sur une canne à pomme d’ivoire, les yeux abrités par des besicles et qui, tout en trottinant aux côtés de la soubrette, paraissait approuver de hochements de tête significatifs les explications qui lui étaient données avec volubilité par la jeune femme.

La soubrette et son compagnon marchaient assez vite, comme des gens pressés, mais rien dans leur attitude ne décelait qu’ils eussent quoi que ce fût à dissimuler. La soubrette parlait même assez haut pour que Crébillon pût entendre distinctement qu’elle donnait à son compagnon le titre de docteur.

Quoi qu’il en fut, ce tiers inattendu entravait toute tentative de la part de l’infortuné poète qui, tout furieux, grommelant de vagues invectives à l’adresse du malencontreux docteur, réintégra son observatoire en se disant qu’il serait peut-être plus favorisé la prochaine fois, tandis que soubrette et docteur entraient de leur côté dans la maison d’en face.

Au bout d’une heure environ, la porte s’ouvrit à nouveau et Crébillon, de son poste, put apercevoir le docteur qui s’éloignait de son pas menu et trottinant, pendant que la soubrette refermait la porte après avoir fait une gracieuse révérence.

Ce fut tout pour ce jour-là.

Le lendemain matin la porte s’ouvrit encore et la soubrette, les traits bouleversés, sortit précipitamment et s’élança en courant vers le droguiste, oubliant de refermer la porte derrière elle comme elle avait coutume de le faire.

Aussitôt, Crébillon sortit de son côté, mais comme il avait remarqué la figure décomposée de la soubrette et ce manque de précautions anormal, il se demandait avec angoisse si quelque malheur imprévu n’était pas survenu à la malade qui l’intéressait tant.

Hésitant, se demandant s’il ne fallait pas profiter de cet oubli et se faufiler par la porte entrebâillée, il restait sur place assez indécis lorsque, soudain, un grand cri déchira l’espace.

Instinctivement, il se tourna du côté d’où était parti ce cri douloureux et vit la soubrette étalée par terre.

Sans hésiter un seul instant, il s’élança et en quelques enjambées fut sur la jeune fille qui se lamentait.

– Mordieu! pensait le poète, voilà un petit accident qui arrive fort à propos pour me mettre en relations avec cette charmante enfant.

Et, tout aise, il s’empressait de prendre dans ses bras et de relever la jeune fille qui, rougissante et confuse, le remerciait en souriant gentiment.

Crébillon, tout en la relevant, s’apprêtait à lui décocher un madrigal aussi galamment tourné que si elle eût été une duchesse pour le moins; mais il n’en eut pas le temps, car la gentille soubrette ayant essayé de faire un pas, soutenue par Crébillon, laissa échapper un nouveau cri douloureux et, devenant toute pâle, s’abandonna défaillante dans les bras de son cavalier, fort embarrassé, et qui, perdant la tête, lui disait piteusement:

– Hé là!… tout doux, mademoiselle!… là!… là!… je vous en prie, ne vous trouvez pas mal!… chère mademoiselle!…

Comme si elle eût entendu cette prière pressante, comme si elle eût deviné l’embarras de son cavalier, la soubrette ouvrit les yeux et murmura d’une voix mourante:

– Le pied!… le pied!… oh! je souffre horriblement!… Je vous en conjure, monsieur, posez-moi par terre, je ne puis rester debout!…

Crébillon s’empressa de faire ce qu’on lui demandait, prodiguant les paroles de consolation, se mettant à la disposition de la blessée, très sincèrement ému malgré lui par l’air de souffrance réelle répandu sur ce frais et gracieux minois.

La soubrette, cependant, pleurait à chaudes larmes et gémissait:

– Quel malheur! mon Dieu! quel malheur!

– Là! là! mademoiselle, calmez-vous… ce ne sera rien… une petite foulure sans doute… un rien…

– Hé! monsieur, gémit de plus belle la soubrette éplorée, il s’agit bien de moi… Madame!… cette pauvre madame!… elle est prise d’un terrible accès… le médecin l’avait bien prévu… et moi, sotte, qui vais me blesser stupidement… alors qu’une minute perdue peut être fatale à madame… Quel malheur!… je ne pourrai jamais aller jusque chez le droguiste… Que faire, mon Dieu?… que faire?… Et mon maître qui est absent… S’il arrive malheur à madame, je serai chassée…

Et, faisant un effort violent, la courageuse enfant se redressa, essaya de marcher, mais ses forces la trahirent; elle poussa un sourd gémissement et retomba en sanglotant:

– Je ne pourrai jamais…

– Mais, mademoiselle, fit Crébillon, je vous en conjure, ne vous désolez pas ainsi. Dites-moi plutôt ce qu’il faut faire chez ce droguiste, et j’y vais de ce pas, puisque vous ne pouvez marcher.

– Quoi, monsieur, vous consentiriez?… Oh! c’est la providence qui vous a placé sur mon chemin!…

– Allons! allons! disposez de moi, ma belle enfant… Et, puisque le danger est pressant, dites-moi vite ce que je dois faire.

– C’est très simple… et puisque vous avez la bonté de me venir en aide… allez chez le droguiste, dites-lui que vous venez chercher le médicament pour la crise prévue… il doit être prêt… peut-être trouverez-vous le docteur… il avait promis de venir surveiller lui-même l’exécution de son ordonnance… alors vous le ramènerez avec vous…

– C’est bon, fit Crébillon sans en écouter davantage, j’y cours!…

Et laissant là la soubrette qui gémissait toujours, il prit ses jambes à son cou et gagna en quelques enjambées l’herboristerie où il se heurta effectivement au petit vieillard qu’il avait vu la veille avec la jeune camériste.

En quelques mots, il lui raconta l’accident survenu ainsi que le danger pressant que courait la malade.

Le vieux médecin le suivit aussitôt en poussant des exclamations émues.

Tous deux revinrent à la blessée, qui, voyant le docteur, s’écria en joignant les mains:

– Vite! vite! docteur, madame est très mal!… courez!

– Mais, ma chère enfant, répondit le médecin, je ne puis vous laisser ainsi…

– Oh! docteur, je vous en prie, ne vous occupez pas de moi… allez, allez… s’il arrivait un malheur en l’absence de monsieur, je ne me le pardonnerais pas… il est si bon, monsieur!… quel chagrin pour lui!…

– Non pas, fit le docteur, nous ne sommes pas à une minute près, Dieu merci!… Allons, faites voir ce peton… Oh! oh! comme il est enflé!… Vous ne pouvez rester ici, reprit le vieillard avec autorité.

Et se tournant vers Crébillon:

– Monsieur, reprit-il, puisque le hasard vous a mis si fort à propos sur notre route, mettez le comble à vos bontés… aidez-moi, je vous en prie, à transporter cette enfant jusqu’à la maison, là, tout près… à deux pas…

– Mais de grand cœur! répondit le poète qui se baissant aussitôt, enleva dans ses bras encore robustes ce léger fardeau et, précédé du médecin, se dirigea vers la fameuse maison, rayonnant de joie à la pensée qu’il allait pouvoir y pénétrer d’une manière aussi simple.