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Mais comment et pourquoi ce mouchoir se trouvait-il chez d’Assas?

M. Jacques était un profond penseur. Il savait que rien n’est si fragile et si dur tout à la fois, rien n’est si romanesque et si indéchiffrable au monde que le cœur d’une femme. Il savait aussi qu’un imperceptible grain de sable suffit pour faire crouler un édifice laborieusement échafaudé. Aussi avait-il pris depuis longtemps l’habitude de ne dédaigner et de ne négliger aucun détail, si futile qu’il parût de prime abord.

Dans la situation de Juliette Bécu cherchant à conquérir de haute lutte les faveurs du roi, aidée de ses conseils à lui, l’hypothèse la plus folle, la plus inadmissible était de penser que cette femme, intelligente et énergique pourtant, risquât de compromettre une situation merveilleuse, d’entraîner dans une chute mortelle et stupide – puisque recherchée comme à plaisir – ceux qui la poussaient, la portaient pour ainsi dire vers un but splendide, en s’amourachant sottement d’un jeune homme obscur et pauvre.

Plus cette hypothèse lui paraissait folle et inadmissible, plus, lui semblait-il, il devait la croire possible.

Juliette Bécu, comtesse du Barry, sur le point de devenir favorite d’un roi puissant et redouté; Juliette Bécu, il en eût juré, était amoureuse de qui?… du chevalier d’Assas.

Sans cela, comment admettre la trouvaille de ce mouchoir chez le chevalier qui ne la connaissait pas?

Juliette était donc allée chez d’Assas?

Comment?… pourquoi?… Peu importait!

L’essentiel était de savoir qu’il y avait là un danger formidable, imminent; que cette femme, en l’énergie et la rare intelligence de laquelle il avait placé des espérances démesurées, venait subitement d’être prise d’un coup de folie qui pouvait avoir pour lui des conséquences effroyables et qu’il fallait, coûte que coûte, l’arrêter dans cette voie fatale où elle paraissait vouloir s’engager.

Mais ne se trompait-il pas? Hardiment il eût répondu non. Il était prudent toutefois de s’assurer de la réalité du fait et de prendre immédiatement des mesures urgentes pour parer à une catastrophe.

M. Jacques fit donc appeler le comte du Barry, et, quand celui-ci fut devant lui, demanda:

– Mon cher comte, vous qui vous intéressez au chevalier d’Assas, pourriez-vous me donner quelques explications sur le lieu où ce jeune homme est détenu et sur les mesures qui sont prises habituellement pour garder les prisonniers du château? Vous devez savoir cela?

Du Barry, à ces paroles du maître redouté, – car le comte était décidément maté – se troubla, se demandant où l’autre voulait en venir.

Mais M. Jacques, à qui ce trouble n’avait pas échappé, fit un geste d’impatience, et très sèchement reprit:

– Ne cherchez pas dans mes paroles autre chose que ce qu’il y a en réalité, et répondez-moi… mon temps est compté.

Le comte alors fit connaître à son maître les détails que nous avons rapportés dans le précédent chapitre.

Lorsqu’il eut terminé, M. Jacques, qui avait écouté très attentivement, dit:

– En sorte que ce jeune homme passe son temps à boire, à manger et à jouer avec son gardien, c’est parfait!… Et pas d’espoir de réussir une évasion?…

– Oh! fit du Barry avec un sourire sinistre, de ce côté-là… je suis tranquille.

– Bien!… Je m’en rapporte à vous… Quand la garde actuelle sera-t-elle relevée?

– Après-demain.

– Parfait!… Eh bien, mon cher comte, il faut, – et il insista sur ces deux mots, – il faut que l’officier qui prendra la prochaine garde soit le baron de Marçay… Allez!

– Monseigneur?

– Allez, vous dis-je… Il n’y a pas un instant à perdre… Au reste, vous pouvez être tranquille, il ne s’agit pas cette fois-ci de tirer le chevalier de sa geôle.

Rassuré sur ce point auquel il attachait sans doute une grande importance, le comte partit aussitôt pour exécuter l’ordre qu’il venait de recevoir.

Quant à M. Jacques, il se rendit immédiatement à la petite maison des Quinconces, où il arriva à point pour surprendre Juliette, occupée à dessiner de mémoire le portrait de d’Assas et où nous l’avons vu à l’œuvre.

En quittant la comtesse du Barry, M, Jacques s’était rendu directement au château.

Il trouva, comme par hasard, en arrivant à la grille, le comte du Barry qui le conduisit aussitôt jusqu’à la porte extérieure du corps de garde des prisons, où il le laissa, sa mission consistant à piloter son supérieur et surtout à faire tomber les consignes devant lui.

M. Jacques frappa à la porte et, au soldat qui s’informait à travers un petit guichet qu’il tenait entrebâillé, demanda fort poliment à parler au baron de Marçay.

Le soldat, après avoir toisé ce petit bourgeois qui lui parut sans doute un personnage sans importance, pirouetta sur ses talons sans daigner répondre un mot, alla à la porte qui donnait sur le couloir intérieur, frappa trois coups sonores du pommeau de son sabre et cria d’une voix retentissante à travers l’ouverture:

– Officier!… Une visite!

À cet appel, le nouveau commandant du poste, qui avait pris son service le matin même, sortit de son appartement, se fit reconnaître de son subordonné, qui lui ouvrit aussitôt, traversa le corps de garde d’un pas las, ennuyé, en coulant des regards furtifs sur ses hommes immobiles qu’il n’avait pas l’air de voir. Arrivé à la porte opposée, ayant reconnu d’un coup d’œil oblique la tenue plus que modeste et l’allure humble de celui qui le dérangeait, il laissa tomber dédaigneusement du bout des lèvres:

– C’est vous qui me demandez?… Que voulez-vous?…

Une voix blanche et doucereuse répondit de l’autre côté:

– Monsieur l’officier, j’ai l’honneur de solliciter de vous la faveur d’un entretien particulier.

L’officier considéra un instant le solliciteur avec un dédain de plus en plus accentué, et sans doute allait-il le congédier avec impertinence, lorsqu’il remarqua avec étonnement que, tout en parlant, cet importun esquissait rapidement quelques signes mystérieux.

Il considéra alors plus attentivement ce visiteur, qui lui parut sans doute digne d’une certaine considération, car il fit un signe à un soldat qui s’empressa d’ouvrir serrures et verrous.

Toujours dédaigneux, l’officier dit laconiquement:

– Venez, monsieur, et tourna le dos avec désinvolture, le visiteur n’étant décidément qu’un infime personnage.

Sans se déconcerter, celui-ci entra courbé en deux, et suivit, comme on le lui avait ordonné, non sans faire force révérence à droite et à gauche aux soldats qui le considéraient d’un air gouailleur.

Arrivé chez lui, le baron ferma prudemment toutes les portes, laissa tomber les portières et conduisit, toujours sans mot dire, le petit bourgeois jusque dans sa chambre qui lui paraissait sans doute une retraite plus sûre. Là, il se laissa choir nonchalamment dans l’unique fauteuil, et, sans offrir un siège à cet humble visiteur, il demanda en esquissant à son tour quelques signes cabalistiques:

– Vous avez des instructions à me transmettre?… Parlez, mon ami.