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La seule solution possible était de faire fuir le chevalier.

Certes, ce n’était pas là chose aisée, mais avec de l’argent, – ses bijoux représentaient une fortune -, de l’intelligence et de la ruse; avec, par là-dessus, le charme tout-puissant d’une beauté comme la sienne, il lui semblait que ce n’était pas impossible.

Indépendamment de ces ressources dont elle appréciait la valeur, elle possédait une arme puissante qu’elle ne faisait pas entrer en ligne de compte, parce qu’elle était latente en elle, sans qu’elle s’en rendît compte: c’était l’absence complète, mais inconsciente, de tout préjugé et de sens moral. Car il ne faut pas oublier que Juliette Bécu, lorsque M. Jacques était venu la prendre par la main, exerçait la profession de fille galante, et ce passé ignominieux n’était pas encore assez loin pour qu’elle eût pu s’abstraire de certaines tares inhérentes à sa profession, s’élever jusqu’à la compréhension de choses vaguement entrevues, et encore moins à l’assimilation de délicatesses insoupçonnées.

Le danger couru par d’Assas lui paraissait certain et imminent. Décidée à l’arracher aux griffes des ennemis qu’elle avait elle-même déchaînés sur lui, elle passa le reste de la journée et une partie de la nuit à dresser son plan.

Le lendemain matin elle appela sa camériste, Nicole, dont elle avait résolu d’acheter le concours, n’ayant qu’une confiance très limitée dans le dévouement de cette fille dont elle avait dû acheter la complicité lorsqu’elle s’était introduite dans la maison.

Afin de sauver les apparences, elle raconta une histoire dans laquelle le chevalier, qu’elle ne nommait pas, du reste, devenait son propre cousin, était aimé d’une de ses amies qui se désolait de ne pouvoir correspondre avec lui, et dans laquelle elle devenait elle-même la fée bienfaisante qui s’était chargée de permettre aux deux amoureux de correspondre entre eux. Mais pour arriver à ce résultat, il lui fallait le concours intelligent et, sinon dévoué, du moins intéressé d’une personne qui pût aller partout sans éveiller des soupçons.

Lorsque la soubrette lui eut affirmé qu’elle pouvait compter sur elle, lorsqu’elle crut avoir suffisamment excité la cupidité de cette fille pour être certaine de ne pas être trahie, elle se décida à parler plus ouvertement, avec prudence, et en ne disant que ce qu’il était indispensable de dire pour la réalisation de son plan:

– Voici, ma fille: il s’agit de M. le chevalier d’Assas, actuellement détenu au château. Il faudrait t’informer discrètement, et savoir où sont exactement les prisons, comment elles sont gardées, par qui, et s’il ne serait pas possible de faire passer quelques billets à ce pauvre garçon qui doit bien s’ennuyer. Tu vois que ce n’est ni très difficile ni très compromettant… L’essentiel est que nul ne devine pour le compte de qui tu prends ces informations… Quand tu auras ces renseignements, j’aviserai.

– Madame, je sors à l’instant, et à mon retour j’aurai tous les détails que madame désire.

– Comment t’y prendras-tu?

– Que madame ne s’inquiète pas!… Il y a des militaires au château… on n’est point trop laide ni trop sotte… les amoureux ne manquent pas et… il faut bien qu’ils se rendent utiles s’ils veulent gagner quelques douceurs.

– Bien, ma fille!… Je ne te demande pas tes petits secrets, fit Juliette en souriant des mines conquérantes de sa camériste. Va donc, et n’oublie pas que, si tu me sers avec… discrétion, tu sers récompensée royalement.

– Madame sera contente de moi. Je puis le lui affirmer.

Quelques minutes plus tard, Nicole sortait, enveloppée d’une mante foncée, et, d’un pas rapide et léger, se dirigeait vers le château en se retournant de temps en temps pour s’assurer qu’elle n’était pas suivie, car c’était une fille très prudente et qui suivait à la lettre les recommandations de sa maîtresse.

Mais, arrivée au château, au lieu d’y pénétrer, elle en fit tout simplement le tour et, par des voies détournées, vint aboutir dans la ruelle aux Réservoirs.

Là, elle jeta un dernier coup d’œil derrière elle, et sans hésiter, elle entra dans cette fameuse droguerie dont le pavot d’argent avait si fort impressionné notre ami Noé, l’incorrigible ivrogne.

Au droguiste qui s’empressait, elle dit:

– Je désire un baume pour un mal de dents que j’ai. Le plus vite possible, car je souffre beaucoup.

– Quel baume désirez-vous, ma belle enfant? nous en avons de toutes sortes.

– Celui de M. Jacques… On m’a dit qu’il était souverain.

– En effet, c’est le meilleur. Entrez là un instant, je vais vous le préparer de suite.

Le droguiste en parlant ouvrait une porte et faisait entrer Nicole dans une sorte de réduit encombré d’herbes et de médicaments.

La camériste s’assit et attendit.

Au bout de cinq minutes, une porte qui se trouvait à l’opposé de celle par où elle était entrée s’ouvrit et M. Jacques lui-même parut.

Nicole lui raconta mot pour mot tout ce que sa maîtresse venait de lui dire, ainsi que la mission dont elle s’était chargée.

Quand elle eut fini, M. Jacques lui donna des instructions très précises et la congédia.

Comme elle allait sortir, après une imperceptible hésitation qui n’échappa pas à l’œil pénétrant de cet homme qui semblait doué d’une sorte de divination, il l’arrêta et demanda:

– À propos, combien ta maîtresse a-t-elle promis de te donner quand tu lui apporteras les renseignements qu’elle désire?

– Cinq mille livres, monsieur, répondit impudemment la soubrette.

– C’est peu! fit dédaigneusement M. Jacques. Voici des valeurs qui représentent le double de cette somme… Va! et n’oublie pas mes recommandations.

Nicole empocha les papiers qu’on lui tendait du bout des doigts, fit une révérence qui ressemblait à une génuflexion et sortit en se disant:

– Ma fortune est faite, si ce jeu dure quelque temps dans les mêmes conditions.

Et faisant des rêves dorés dans lesquels elle se voyait vivant grassement, à l’abri du besoin, libre de toute contrainte et de toute attache grâce à cet argent honnêtement acquis, elle reprit le chemin de la petite maison des Quinconces où nous la laisserons.

M. de Verville, commandant le poste des prisons au moment où d’Assas y était entré, était un homme de trente-cinq ans environ; il était de petite noblesse et n’avait, pour toute fortune, que sa solde d’officier. D’ailleurs, soldat dans l’âme et rien que soldat, il n’avait rien du courtisan et était de ce fait – il le savait bien – destiné à végéter dans les grades inférieurs, ce dont il avait philosophiquement pris son parti depuis longtemps.

Ce loyal soldat s’était pris d’une franche et solide amitié pour ce jeune camarade confié à sa garde.

D’Assas ne lui avait pas dit pourquoi il était prisonnier et, par discrétion, ne voulant pas forcer une confidence qu’on ne lui faisait pas spontanément, il n’avait rien demandé. Mais pendant les quinze jours qu’il avait passés en tête à tête avec le chevalier, il avait pu apprécier l’énergie rare de ce compagnon qui, à la fougueuse impétuosité de ses vingt ans, savait allier une prudence et une réserve fort au-dessus de son âge, et il s’était dit que, pour qu’un tel homme jugeât sa situation présente comme il le faisait, il fallait en effet que celle-ci fût des plus graves.