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– Vous en sortirez, chevalier. Mais vous voilà prévenu… Si vous les trouvez sur votre route, elle ou lui, croyez-moi, écrasez-les sans pitié… elle surtout, car tant que cette femme-là vivra, il n’y aura pas de tranquillité possible pour vous et surtout pour Mme d’Étioles qu’elle tient en son pouvoir, cachée dans une retraite que j’ignore, mais que nous découvrirons bien un jour ou l’autre… Ah! cette femme!… cette misérable!… quand je songe qu’hier encore c’était une fille galante, vendant ses faveurs au plus offrant et dernier enchérisseur, et que demain elle nous gouvernera tous par le roi qu’elle tient… tenez, on sent le vertige vous envahir!…

– Eh quoi!… que dites-vous là?… que m’apprenez-vous?…

– Je dis ce que plus d’un sait à la cour… et ailleurs… La comtesse du Barry, maîtresse du roi, s’appelait, avant d’être la femme du comte, si tant est qu’elle le soit, Juliette Bécu, dite l’Ange, et trafiquait de son corps dans son taudis situé rue des Barres. Voilà ce que je dis et ce que plus d’un sait comme moi.

– Et c’est une pareille créature qui…

– Qui séquestre Mme d’Étioles, qui menace son existence et la vôtre aujourd’hui, et demain régnera despotiquement sur tous en notre pays de France… oui, chevalier.

– Mais comment savez-vous tout cela, vous? demanda d’Assas qui était frappé par les apparences de réalité qu’il avait relevées dans toutes les assertions du pseudo-poète, mais qui néanmoins conservait quelques vagues soupçons.

– Oh! d’une façon toute simple: je vous ai dit que j’étais amoureux d’une soubrette attachée à la personne de Mme d’Étioles dans la petite maison…

– Suzon!… oui, je me souviens.

– Suzon, c’est cela… Le concours de Suzon étant nécessaire à la du Barry, elle essaya de l’acheter… Suzon est une fine mouche, elle feignit d’accepter et, par ce qu’on lui dit, par ce qu’elle put surprendre à droite et à gauche, enfin par ce qu’elle devina, elle put reconstituer toute cette histoire qu’elle me raconta tout au long. Naturellement, je l’engageai vivement à refuser énergiquement son concours à une telle infamie, et je me promis de courir immédiatement vous informer de ce qui se tramait contre vous et Mme d’Étioles… Malheureusement, cette confidence arrivait trop tard, j’ignorais où vous étiez logé à Versailles… et le lendemain j’apprenais au château votre arrestation… qui me prouvait tout au moins que vous aviez échappé aux coups qui vous étaient destinés; j’apprenais la disparition de Mme d’Étioles et, ce qui me fut plus douloureux, vous comprenez, cher ami, la disparition subite de ma petite Suzon…

– Comment, cette enfant a disparu aussi?…

– Hélas! oui… Vous comprenez: la comtesse voyant qu’on lui refusait un concours précieux et craignant une indiscrétion, a jugé prudent de faire disparaître un témoin gênant… Et je ne vous cache pas que, devant les agissements de cette femme, je suis loin d’être rassuré… car si Suzon laisse échapper un seul mot me concernant, je suis perdu… j’aurai tôt fait de venir vous tenir compagnie.

– Et c’est pour moi!… fit d’Assas ému. Mais si cette enfant vous aime, elle sera prudente et ne prononcera pas votre nom…

– Ah! chevalier, je le sais bien… on n’arrachera pas un mot à Suzon… mais il y a les imprudences dans le genre de celle-ci, par exemple.

Ce disant, de Bernis sortit un papier froissé, chiffonné, maculé, et le montra à d’Assas en disant:

– Lisez.

Le chevalier le prit et lut à haute voix les lignes suivantes:

«Je suis bien portante en compagnie de Mme d’E… On nous conduit vers une destination inconnue… Sommes très surveillées, mais avec égards… je vous informerai du lieu de notre retraite dès que je le pourrai.

«Signé: S…»

– Maintenant, fit Bernis, voyez la suscription. D’Assas retourna le billet et lut:

«À monsieur de Bernis, secrétaire de M. le lieutenant de police, au château de Versailles. Cinq louis de récompense à qui remettra ce billet.»

Le tout était écrit au crayon.

– Vous comprenez, reprit de Bernis en remettant le billet dans son portefeuille, la petite Suzon a griffonné ces lignes en route, dans un carrosse sans doute, – vous avez remarqué que l’écriture était tremblée, incorrecte, – et elle a laissé tomber ce papier par la portière, à la garde de Dieu… Mais je frémis quand je songe qu’il pouvait aussi bien tomber entre les mains de ses gardiens… je frémis quand je songe que le prochain ne m’arrivera, peut-être pas aussi heureusement… Enfin, vous comprenez pourquoi j’ai pu vous affirmer tout à l’heure que Mme d’Étioles était saine et sauve… il n’y a pas plus de quatre jours que j’ai reçu ces lignes.

– Ah! cher ami, je ne sais comment vous remercier!…

– Ne parlons pas de cela, fit Bernis, nous verrons cela plus tard… car j’espère que vous allez agir de façon à ne pas moisir ici… Vous n’avez pas, je suppose, l’intention de laisser longtemps Mme d’Étioles aux mains d’une femme comme la du Barry et de son digne acolyte le comte?… Songez que je suis intéressé à vous voir libre… En retrouvant Mme d’Étioles, vous retrouverez du même coup ma charmante Suzon.

– Soyez tranquille, je ferai en sorte de ne pas moisir ici, comme vous dites… Quant au comte du Barry et à sa… compagne, nous avons un compte terrible à régler ensemble et je vous réponds qu’il le sera…

Les deux jeunes gens causèrent encore longtemps ensemble, d’Assas demandant toutes sortes de détails et de renseignements que Bernis lui donnait avec une complaisance remarquable, accumulant les faits probants, les détails précis, les preuves les plus irréfutables de la sincérité de ses dires et réussissant une fois de plus dans ses ténébreux projets, parvenant enfin à faire croire au chevalier que la comtesse était la seule coupable, qu’elle seule avait tout fait et qu’à elle seule devaient aller son mépris et sa haine.

Cependant, au moment où il allait sortir, un reste de soupçon fit que le chevalier demanda malgré lui, en fixant attentivement son interlocuteur:

– Suzon ne vous a pas parlé d’un certain M. Jacques?

De Bernis ne sourcilla pas. Il eut l’air de chercher un instant et répondit avec un naturel admirablement joué:

– Un M. Jacques?… non!… pourquoi?… qu’est-ce que c’est que ça?…

– Rien, fit d’Assas, une idée à moi.

Là-dessus, les deux jeunes gens échangèrent une dernière poignée de main, et de Bernis, reconduit par le baron de Marçay, quitta le chevalier avec un sourire de satisfaction qui dénotait qu’une fois de plus il avait heureusement rempli une mission difficile et délicate.

Après le départ de Bernis, le chevalier dit au baron:

– Baron, pourriez-vous me procurer quelques menus objets qui me sont nécessaires pour une expérience que je veux faire.

– Ah! oui, votre fameuse invention!… volontiers… Que vous faut-il?

– Quatre portants en bois très solides de deux mètres de long environ, deux cordes assez fortes de quatre mètres de long et deux autres de même grosseur et de trois mètres de longueur… c’est tout… Ah! je vous demanderai la permission de prendre un drap au lit d’une des chambres qui avoisinent la mienne.