– Faites donc!… Vous aurez vos accessoires dans le courant de la soirée… Si ce n’était indiscret, je vous demanderais la permission d’assister à vos expériences… cette invention m’intrigue, je l’avoue…
– Mais comment donc, baron! très volontiers… seulement je vais être obligé de réinstaller pendant quelque temps sur la terrasse… je ne puis dans ma chambre, faute d’espace…
– Bon! qu’à cela ne tienne: nous monterons sur la terrasse.
– Entendu, baron!…
– Dès que j’aurai les objets que vous m’avez demandés, je viens vous chercher.
– Baron, vous êtes le plus aimable et le plus charmant gardien que j’aie jamais connu.
XVIII LA FAUSSE SOUBRETTE
La soubrette Nicole était rentrée à la petite maison des Quinconces où sa maîtresse l’attendait avec impatience.
C’était à peu près vers le même moment que de Bernis était en conférence avec le chevalier d’Assas.
Avec force détails, qui dénotaient chez elle une imagination féconde, Nicole rendit compte de la mission dont elle s’était chargée.
Mais sans doute les renseignements qu’elle apportait à la comtesse n’étaient pas du goût de celle-ci, car, après avoir congédié la soubrette élevée au rang de confidente, elle resta longtemps songeuse et indécise.
Sans doute il résultait de ces renseignements la nécessité d’une action scabreuse, dangereuse peut-être, que la comtesse n’envisageait pas sans une certaine appréhension qui ressemblait presque à une révolte intérieure, car elle passa le reste de la journée et une partie de la nuit dans une perplexité et une agitation extrêmes.
Le lendemain matin, son parti paraissait bien arrêté, car, après avoir sonné la femme de chambre, elle donna ses ordres sans hésitation, avec une sorte de résolution farouche.
Sans manifester la moindre surprise, Nicole l’habilla des pieds à la tête, et quand elle sortit des mains de la fille de chambre, la comtesse était costumée exactement comme une soubrette de bonne maison.
Elle n’avait eu besoin que de reprendre ce fameux costume copié sur celui de Suzon, et qu’elle avait conservé, pour arriver à ce résultat.
Elle s’enveloppa soigneusement dans une vaste mante, sortit résolument avec un air de bravade répandu sur toute sa personne et, sans hésiter, prit le chemin du château.
Immédiatement, sur ses talons pour ainsi dire, Nicole sortit à son tour et se dirigea rapidement du côté des Réservoirs.
Comme nous savons quelle tâche de trahison allait accomplir la servante, nous la laisserons pour suivre sa maîtresse.
La comtesse arriva sans encombre jusqu’aux prisons, grâce à la complaisance d’un jeune sergent, à l’allure conquérante, que le hasard – ou plutôt une puissance occulte qui paraissait ne négliger aucun détail – avait placé sur son chemin, comme exprès pour la guider sûrement dans le dédale des escaliers innombrables du château.
Le galant sergent la quitta à la porte du corps de garde, en réclamant pour récompenser un baiser qu’on lui laissa prendre dans le cou.
Le cœur lui sautant dans la poitrine, elle frappa à la porte et traversa le corps de garde, sous le feu des prunelles allumées des soldats qui retroussaient frénétiquement leurs moustaches, en enviant sournoisement leur officier qui n’allait certes pas s’ennuyer avec un beau brin de fille comme cette splendide créature.
Introduite immédiatement dans l’appartement de l’officier par de Marçay lui-même, qui était venu la reconnaître selon l’usage, elle parla de suite avec volubilité, s’efforçant de prendre le ton et les manières du personnage dont elle avait pris le costume.
Ce qu’elle dit, ce que répondit le baron, quelles conditions il imposa inexorablement, suivant l’ordre qu’il avait reçu de M. Jacques, cela, nous n’avons pas à le dire ici.
Toujours est-il qu’environ une heure plus tard, le baron sortait de son appartement en une tenue plutôt débraillée, se dirigeait rapidement vers la chambre de d’Assas, et, après avoir frappé, sans entrer toutefois, disait:
– Chevalier, passez donc chez moi, je vous prie, j’ai quelque chose à vous communiquer.
Sans attendre de réponse, de Marçay faisait demi-tour et réintégrait son appartement, suivi de très près par d’Assas assez intrigué.
Cependant le chevalier était entré et, ne voyant personne dans le salon, se dirigeait tranquillement vers la chambre à coucher dont la porte, d’ailleurs, était grande ouverte.
Mais il s’arrêta sur le seuil, cloué sur place à la fois par l’étonnement et par un cri de surprise indignée qui venait de retentir à deux pas de lui.
Au milieu de la pièce, le lit défait montrait ses draps et ses oreillers ravagés. Debout devant une glace, à moitié nue, se rhabillant avec une précipitation maladroite, dans le soin qu’elle prenait à cacher son visage, était une jeune et fort belle femme: celle qui venait de pousser le cri qui avait arrêté d’Assas. Assis dans son fauteuil dans une tenue équivoque, souriant d’un sourire contraint, dans une pose qu’il s’efforçait de rendre narquoise et conquérante, mais qui, en réalité, était atrocement gênée, était le baron.
L’inconnue cependant, rouge de honte et de confusion, criait à d’Assas:
– Par grâce, monsieur, n’entrez pas!…
Et à de Marçay, avec un accent de fureur indignée:
– Misérable! c’est indigne ce que vous faites là… abuser ainsi de la confiance d’une femme… lâche!… lâche!…
Voilà ce que d’Assas vit d’un coup d’œil rapide, voilà ce qu’il entendit.
Le chevalier, devant la prière insistante de cette jeune femme, avait vivement reculé de deux pas et, avec une grâce qui donnait un charme tout particulier à ses paroles, il dit doucement:
– Mademoiselle, je vous prie d’agréer mes très humbles excuses!…
Puis au baron, d’un ton sec et tranchant:
– Je m’étonne, baron, que vous vous permettiez d’appeller quelqu’un chez vous quand vous avez l’honneur d’y recevoir une dame… Ce sont là procédés de manant et non de gentilhomme.
Et sans attendre de réponse, laissant de Marçay interdit et tremblant de rage sous l’affront, il pirouetta sur ses talons et sortit.
Mais dans l’antichambre il fut rejoint par l’officier qui s’était élancé d’un bond furieux et qui, pâle de fureur, les dents serrées, lui dit en plein visage:
– Holà! monsieur le donneur de leçons, vous partez bien vite!… Pardieu, monsieur, je serai assez curieux de savoir si vous oseriez répéter à deux pouces de mon épée ce que vous venez de me dire là?… si vous étiez libre, bien entendu!
– Si j’étais libre, monsieur le malappris, vous auriez déjà reçu la correction que vous méritez… non avec une épée, mais avec un bon bâton, puisque c’est ainsi qu’on châtie les laquais et qu’aussi bien vous agissez comme un vil laquais en insultant une femme.
Le baron paraissait être dans un état d’énervement extrême. On eût dit qu’il cherchait une querelle comme un dérivatif susceptible de calmer par une action violente une exaspération produite par la conscience qu’il avait du rôle indigne qu’on lui faisait jouer.