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Aux dernières paroles que le chevalier venait de prononcer avec un calme parfait, de Marçay eut un geste instinctif pour chercher et tirer son épée, et ne la trouvant pas à son côté, il leva la main.

Mais avant que cette main se fût abattue sur lui, le chevalier l’avait saisie, happée au passage; en même temps, il empoignait l’autre main du baron et les broyait, les tordait dans une robuste étreinte, sans un tressaillement de ses muscles puissamment tendus, parfaitement maître de lui, et le geste inachevé se changea en un sourd gémissement que la douleur arrachait au baron.

D’Assas, cependant, redoublait son effort, resserrait son étreinte jusqu’à ce que de Marçay vaincu s’abattit lourdement sur les genoux.

Lorsqu’il le tint dans la position humiliante où il le voulait, sans lâcher prise, sans colère, un léger sourire aux lèvres, il lui dit:

– Avec la vilenie d’un laquais, il était clair que vous deviez en avoir aussi la lâcheté… Vous menacez un prisonnier… un homme qui est en votre pouvoir… fi donc! monsieur… allez, je vous fais grâce de la correction que vous mériteriez!…

Et, d’un geste brusque, il l’envoya rouler à deux pas.

À ce moment la soubrette, qui s’était rhabillée tant bien que mal, parut, et, d’une voix grave et profonde que l’émotion faisait trembler légèrement, dit:

– Voilà au moins un vrai gentilhomme!… Merci, chevalier!

Ces paroles étaient dites sur un ton de dignité qui contrastait étrangement avec l’humble, quoique coquet costume que portait celle qui les prononçait et qui ajouta, en se tournant vers le baron, avec un mépris écrasant:

– J’ai rigoureusement exécuté les… conditions que vous m’aviez imposées, monsieur; en retour puis-je compter que vous tiendrez votre promesse?…

Le doute qui perçait à travers ces paroles était comme un soufflet administré sur la face livide de de Marçay…

Cependant l’officier s’était ressaisi. La rude leçon que venait de lui infliger son prisonnier avait agi sur lui comme une douche d’eau glacée venant le rappeler à une plus saine appréciation de ses actes et de ses paroles. Il répondit donc avec un reste de gêne honteuse:

– Vous avez ma parole, mademoiselle, vous pouvez donc avoir avec monsieur l’entretien que vous sollicitiez… s’il y consent toutefois.

– Un entretien avec moi?… fit d’Assas étonné.

La soubrette très émue, n’ayant pas la force de parler, fit un signe affirmatif de la tête.

– Je suis à vos ordres, mademoiselle, reprit le chevalier en s’effaçant pour la laisser passer.

– Un instant, monsieur, s’il vous plaît! dit à son tour de Marçay. Je me suis oublié tout à l’heure; de cela, de cela seul, je vous fais mes excuses… Pour le reste, nous avons un compte à régler dont j’irai vous réclamer la liquidation le jour où vous sortirez d’ici… si toutefois vous en sortez, ce que je souhaite maintenant fort vivement, croyez-le.

– À la bonne heure, baron!… De mon côté je vous promets de faire tout ce qui sera en mon pouvoir pour sortir d’ici le plus promptement possible, à seule fin de ne pas trop vous faire attendre ce règlement de compte auquel je tiens autant que vous.

– Oh! fit de Marçay en s’inclinant, je m’en rapporte à vous.

– Mademoiselle, dit d’Assas à la soubrette qui attendait, si vous voulez bien me suivre…

Et tous deux gagnèrent la chambre du chevalier pendant que le baron réintégrait la sienne.

Une fois dans sa chambre, d’Assas s’assit, désigna un siège à la soubrette, et demanda en souriant:

– Or çà, ma belle enfant, qu’avez-vous donc de si important à me dire?…

Le ton et les manières du chevalier, sans impertinence, étaient néanmoins plutôt cavalières, et à ceux qui pourraient s’étonner de ce changement dans l’attitude de cet homme qui, l’instant d’avant, témoignait du respect à cette inconnue pour laquelle il s’était mis insouciamment un duel sur les bras, nous rappellerons qu’à cette époque le domestique était un être inférieur qui ne comptait pas pour un homme de qualité.

Pourtant, cette nuance à peine perceptible n’échappa pas à la fausse soubrette qui répondit sur un ton de reproche:

– Ah! chevalier, vous me méprisez sans doute à cause de… ce que vous avez vu tout à l’heure!…

– Et où prenez-vous cela, ma belle enfant?

– À vos manières, chevalier, qui ne sont pas les mêmes que tout à l’heure.

– C’est que, répondit franchement le chevalier, tout à l’heure vous étiez une femme qu’un malappris outrageait et, vous venant en aide, vous aviez droit, naturellement, à mon respect. Tandis que maintenant…

– Maintenant je redeviens ce que je suis, une humble servante, et je n’ai plus droit qu’à la banale politesse qu’un homme de votre rang accorde à une personne de ma condition… C’est bien cela, n’est-ce pas, chevalier?

– Mais… j’avoue que oui, fit le chevalier assez étonné des exigences de cette personne qu’il venait de surprendre dans une posture qui ne lui permettait pas d’avoir une haute opinion de sa vertu, et qui, de plus, remarqua alors, pour la première fois, que cette étrange soubrette négligeait de faire précéder son titre de chevalier du mot «monsieur», tout comme s’il eût été son égal.

– Les apparences sont souvent trompeuses, reprit l’inconnue.

– En ce cas, si vous n’êtes pas ce que vous paraissez être, et si vous tenez, de ma part, aux égards qui sont dus à un rang supérieur à celui que vous affichez, dites-le franchement.

– Eh bien! oui, je ne suis pas ce que je parais être. Mais…

– Madame, fit vivement le chevalier qui tout aussitôt se leva, il suffit… Je ne vous demande pas de trahir l’incognito qu’il vous a plu de garder. Vous agirez à ce sujet comme bon vous semblera… Toutefois, je tiens à vous dire que vous pourrez vous confier en toute assurance à ma loyauté et à ma discrétion.

– Je le sais, aussi n’hésiterai-je pas à me faire connaître… quand le moment sera venu.

Le chevalier se contenta de s’incliner, attendant patiemment qu’il plût à l’inconnue de s’expliquer.

– Ce qui me paralyse maintenant, reprit la soubrette comme se parlant à elle-même, c’est l’humiliante posture dans laquelle ce misérable officier m’a placée.

Ceci était dit avec un accent douloureux si sincère que le chevalier, ému malgré lui, s’écria:

– Parlez sans contrainte, madame! je vous jure que j’ai oublié pour toujours le délicat incident auquel vous faites allusion… je ne vous ai jamais vue… je ne vous connais que depuis que vous m’avez fait l’honneur de pénétrer ici.

– Merci, chevalier… Vous êtes brave, loyal et… bon… tel que je vous concevais… Pourtant, quelle que soit ma honte, il faut bien que je vous dise que c’est pour vous que j’ai été exposée à cet outrage.

– Pour moi? s’exclama le chevalier.

– Eh! oui… pour vous!… Il fallait que je vous visse, il le fallait coûte que coûte, et ce misérable en a abusé pour m’imposer… Oh! mais celui-là, je le retrouverai, et alors, malheur à lui!…

Ces dernières paroles étaient dites avec un accent de haine farouche si terrible que d’Assas frissonna.

Cependant un tel aveu fait avec cette impudeur cynique – ou inconsciente – le plongeait dans un état de malaise irritant, en même temps que, sans le vouloir, sans même s’en rendre compte, son visage prenait une expression de froideur caractérisée.