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C’est ce que le lecteur apprendra par la suite.

XIX LE CARTON À DESSINS

Après avoir quitté d’Assas, la comtesse avait repris précipitamment le chemin de la petite maison des Quinconces.

Elle était dans un état de surexcitation extrême qui ne lui laissait pas la faculté d’envisager sainement la situation dans laquelle elle s’était mise elle-même et encore moins de se rendre un compte exact des sentiments réels qu’elle éprouvait.

Ce qui dominait en elle, c’était une sorte de stupeur douloureuse devant l’écroulement de rêves longtemps caressés.

C’était aussi un étonnement effaré produit par l’attitude incroyable de ce petit officier qui repoussait comme une insulte ce que de hauts et puissants seigneurs eussent accepté avec empressement et reconnaissance, et qui se mêlait d’avoir des idées et des sentiments incompréhensibles, qui la déroutaient complètement.

Mais ceci n’était que le côté sentimental, et, bien qu’elle lui payât un large tribut, bien que son cœur se fondît à la pensée que celui qu’elle aimait ne l’aimerait jamais, était à jamais perdu pour elle, il y avait aussi plusieurs autres côtés plus matériels qui la touchaient plus directement et qui primaient tous les autres, étouffaient toute velléité de faiblesse ou de générosité, et chassaient toute idée de renoncement à des projets de vengeance.

L’amour-propre avait reçu un rude coup et elle n’arrivait pas à s’expliquer comment on avait pu résister au charme de sa beauté réelle, comment on avait pu résister au désir de presser entre ses bras ce corps merveilleux qui s’offrait, et, dans son humiliation profonde de cet échec, elle en arrivait à se croire laide.

D’autre part, le milieu spécial dans lequel elle avait vécu ayant oblitéré chez elle, le sens de la délicatesse, elle ne pouvait comprendre pourquoi et comment un jeune homme de vingt ans, pauvre, n’ayant pour fortune que son épée, avait pu refuser les offres qu’elle lui faisait et qui eussent ébloui de plus riches, de plus blasés et de plus haut placés que lui.

Elle se demandait sincèrement si d’Assas n’était pas fou ou s’il n’était pas victime d’un sort jeté par Mme d’Étioles.

Enfin, et par-dessus tout cela, le chevalier paraissait admirablement renseigné sur son compte, et cela était plus grave que tout le reste, car elle ne songeait pas un instant à renoncer au roi, l’amour, chez elle, marchant de pair avec l’ambition sans qu’elle eût pu dire elle-même lequel de ces deux sentiments eût été le plus fort le cas échéant.

Cette connaissance de son passé, proche encore, que possédait d’Assas l’inquiétait sourdement pour l’avenir, à cause du roi, en même temps qu’elle l’exaspérait et l’humiliait dans le présent.

Envisageant la question à ce point de vue, il était clair que d’Assas était un danger vivant pour elle. De là à conclure à la suppression du danger, il n’y avait qu’un pas.

Ce pas, le franchirait-elle?

Voilà ce qu’elle se demandait elle-même non sans angoisse.

Et c’est ici qu’entraient en lutte les deux sentiments dont nous avons parlé: l’amour et l’ambition.

Lequel des deux l’emporterait?

Sous le coup de l’humiliation récente et de l’échec douloureux, il lui semblait qu’elle n’hésiterait pas et sacrifierait impitoyablement l’amour à l’ambition. Mais cette résolution s’affirmerait-elle par la suite, quand le sang-froid lui serait revenu?

Voilà ce qu’elle n’aurait su dire.

Pour le moment, elle ne rêvait que vengeance.

Son cœur, profondément humilié, étreint par une jalousie féroce, lui semblait brisé à tout jamais; l’amour s’était enfui, impitoyablement frappé par celui-là même qui en était l’objet; la haine, seule, maintenant, l’occupait tout entier.

De même qu’on l’avait repoussée, méprisée, frappée dans son amour, de même elle repousserait toute pitié, rendrait haine pour mépris, frapperait à son tour férocement, son intérêt, à défaut de tout autre sentiment, lui commandant impérieusement d’être inexorable.

Voilà ce qu’elle se disait, s’excitant elle-même à la haine, pendant qu’elle regagnait sa demeure, et, croyant être parvenue à se convaincre, elle ruminait des tas de projets de vengeance dont la première victime était toujours Jeanne, sa rivale exécrée.

S’ensuit-il que son amour avait réellement fait place à la haine?

Non pas, certes!

Mais elle le croyait et ne se rendait pas compte que l’exaltation seule la guidait.

En ce moment elle eût étranglé de ses propres mains sa rivale si elle l’eût rencontrée, elle eût aveuglément frappé d’Assas s’il se fût dressé entre elle et cette rivale.

En serait-il de même plus tard, après quelques jours de calme et de réflexion, lorsque toute cette agitation serait enfin calmée?

C’est ce que l’avenir nous apprendra sans doute.

Elle rentra chez elle dans cet état d’esprit.

Nicole s’empressait autour d’elle avec un zèle hypocrite, la déshabillait et la rhabillait lestement, tout en s’informant sournoisement du résultat de ses démarches et en observant les traits décomposés, l’air morne et farouche de celle qu’elle était chargée de surveiller, tout en la servant.

– Madame a-t-elle réussi? Ses deux protégés pourront-ils se donner mutuellement de leurs nouvelles?…

Juliette avait bien envie d’imposer brutalement silence à cette fille qui l’obsédait de son caquet, mais elle réfléchit qu’elle lui devait un mot d’explication, sinon de remerciement. Somme toute, sa fille de chambre l’avait aidée et ce n’était pas de sa faute à elle si elle avait échoué.

Puis, qui sait si, plus tard, elle n’aurait pas besoin de faire appel de nouveau aux services intéressés de cette fille.

Elle se contraignit donc et répondit:

– Non, ma fille… J’ai échoué… honteusement, fit-elle avec amertume en songeant à d’Assas.

– Ah! les pauvres jeunes gens!… Quel dommage!… Alors M. de Marçay a été intraitable?… Fi! le vilain homme!… J’avais prévenu madame des exigences de ce baron… un paillard, le baron!… je pensais bien que madame ne consentirait jamais à des exigences pareilles à celles de ce monsieur… Mais c’est vraiment dommage pour les deux amoureux.

Au nom de Marçay, l’œil de la comtesse jeta un éclair et se posa soupçonneux sur la soubrette qui supporta d’autant mieux le regard de sa maîtresse qu’elle parlait au hasard, sans savoir au juste, M. Jacques lui ayant donné une leçon à répéter sans entrer dans des explications, comme bien on pense.

Heureusement la toilette de la comtesse était terminée et elle put enfin se débarrasser de sa camériste après lui avoir donné, pour la remercier de son concours, une bague garnie de brillants, qui valait bien deux ou trois mille livres, et que Nicole prit avec force protestations de dévouement et de grands remerciements, cependant que la fille rapace songeait à part soi que le petit bourgeois de la ruelle aux Réservoirs était plus généreux.

Enfin Nicole se retira, laissant la comtesse libre de penser à la vengeance qu’elle rêvait de tirer des affronts du chevalier, ce qui était en ce moment son idée fixe.