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– Voyez où votre manque de confiance en moi vous a conduite, à quel échec lamentable, à quelles humiliations… quelles insultes peut-être… il vous a fait aboutir!… Si vous aviez eu confiance, si vous m’aviez tout avoué, comme à un père… ou un confesseur… je vous eusse avertie, conseillée… Je vous aurais dit que vous n’aviez rien à espérer du chevalier, je vous aurais prouvé qu’il ne pouvait pas vous accueillir autrement qu’il a fait… vous m’auriez cru, – car tout ce que je vous aurais dit, je vous l’aurais prouvé, – et vous vous seriez évité une déconvenue humiliante… vous ne seriez pas dans l’état de désespoir violent où je vous vois.

Elle écoutait, comme bercée par cette voix douce, par ces intonations caressantes, gagnée aussi par son air de pitié profonde et sincère.

Et il lui semblait en effet qu’il avait raison, qu’il était comme un père qui l’eût protégée et défendue contre elle-même, et un besoin immense, irrésistible, lui venait de confier sa peine, de pleurer ouvertement, de crier son désespoir et son humiliation.

Et, lorsqu’il dit:

– Allons, mon enfant, courage… racontez-moi tout… le mal n’est peut-être pas aussi irréparable que vous le croyez.

Elle se laissa tomber dans un fauteuil en vagissant comme un petit enfant, et en paroles précipitées, entrecoupées de sanglots, elle dit tout.

Lorsqu’elle eut fini, à son tour il prit la parole, et avec une adresse admirable, une habileté incomparable, tout en ayant l’air de la consoler et de la plaindre, il appuya impitoyablement sur la plaie saignante de son cœur meurtri, il excita la jalousie jusqu’à la fureur, raviva le feu de l’ambition qui paraissait vouloir céder le pas à l’amour, souffla sur la haine près de capituler devant le pardon et la pitié, la secoua, la galvanisa pour ainsi dire.

Lorsqu’il s’arrêta, elle n’était plus la même.

Ses yeux brillaient d’un feu sombre, toute son attitude dégageait un air de résolution farouche; plus d’hésitations, plus de larmes, plus d’anéantissement!

Le germe de haine, le désir de vengeance timide et irrésolu, qui voulait mais n’osait et reculait instinctivement devant l’action, les sentiments mauvais et malsains, encore à l’état embryonnaire, brillaient en elle, telle une faible étincelle que le moindre souffle peut emporter au loin.

Cette étincelle, il sut la découvrir, avec une adresse infernale il sut l’aviver, l’agrandir, en faire un brasier ardent qui la dévorait.

Qu’avait-il dit?… Quelles fibres secrètes avait-il fait vibrer?… Quel avenir prestigieux avait-il fait entrevoir?…

Peu importe ici.

Ce qu’il y a de certain, c’est que son but était atteint; et maintenant c’était une autre femme, pétrie à sa volonté, qui était là devant lui, et cette femme, c’était une furie déchaînée, prête à marcher résolument dans la voie où il l’avait engagée.

Ce portrait de d’Assas devant lequel elle avait hésité si longtemps, elle le prit résolument et d’un coup de crayon ferme et décidé apposa au bas le monogramme de Jeanne parfaitement imité.

Le chevalet supportant le portrait du roi, qu’elle avait soigneusement caché jusqu’à ce jour – pour lui en faire la surprise quand il serait achevé – fut placé par elle-même, avec sa toile inachevée, au milieu du salon, en pleine évidence; les cartons à dessins furent adroitement distribués, de manière à forcer l’attention du roi quand il viendrait, et celui contenant les dessins de Mme d’Étioles, habituellement mis de côté, de façon à ce qu’il fût ouvert un des premiers sans qu’il fût possible de soupçonner qu’il avait été mis là tout exprès.

Et quand cette sorte de mise en scène, agencée avec art, fut terminée, bien certain que cette fois-ci elle ne reculerait plus, M. Jacques se leva et sortit, un sourire de satisfaction aux lèvres.

La nuit commençait à tomber quand il rentra chez lui.

Il s’assit devant un bureau, griffonna quelques lignes au bas desquelles il apposa un cachet mystérieux et qu’il enferma dans une enveloppe portant le même cachet, puis il glissa le tout dans une deuxième enveloppe ne portant aucun signe apparent.

Ceci fait, il sonna, et, au valet accouru:

– Eh bien! baron, êtes-vous allé où je vous avais dit? Le valet à qu’il donnait le titre de baron répondit:

– Oui, monseigneur, et M. de Crébillon a été si bien convaincu qu’il quitte Versailles. Demain matin il rentrera à Paris.

– Le poète n’a pas soupçonné en vous le vieux médecin de l’autre jour?

– Oh! fit le valet en souriant, j’étais si bien déguisé l’autre jour… et aujourd’hui je lui ai mâché un français agrémenté d’un accent tudesque… qui faisait frémir ses oreilles… Bref, le résultat est qu’il part demain matin.

– C’est parfait!… J’aime mieux cela… pour lui, pensa M. Jacques qui reprit tout haut:

– Vous pouvez faire cesser la surveillance de ce côté.

– Je l’avais bien pensé… j’ai donné des ordres en conséquence.

M. Jacques eut un signe de tête approbatif, puis il demanda:

– Le comte est-il là?

– Il vient d’arriver, monseigneur.

– Veuillez me l’envoyer, je vous prie.

Quelques instants plus tard, le comte du Barry était introduit auprès de son redoutable maître.

– Mon cher comte, dit celui-ci en lui tendant la lettre qu’il venait de cacheter, faites parvenir ceci au baron de Marçay, séance tenante.

Et comme du Barry donnait des signes d’inquiétude, comme cela lui arrivait toujours chaque fois qu’il était question directement ou indirectement de d’Assas, il ajouta en sortant:

– Soyez tranquille… Je recommande tout spécialement votre protégé au baron à qui je donne l’ordre de le surveiller étroitement… le temps des douceurs et des privautés est passé pour lui… il ne faut pas que le chevalier recouvre sa liberté et je vous réponds qu’il n’échappera pas maintenant.

Le comte prit la missive avec un rictus de satisfaction et s’empressa d’aller porter au château ces instructions si importantes à ses yeux.

Lorsqu’il y arriva, la nuit était tout à fait venue.

Du Barry avait sans doute des raisons particulières de ne pas porter lui-même au baron les ordres de son supérieur, car il se dirigea tout droit du côté des communs et, avisant un palefrenier qui bayait aux corneilles, lui donna un écu et le chargea d’aller porter au corps de garde des prisons la lettre qu’il lui remit.

Le palefrenier s’empressa d’empocher l’écu et partit aussitôt; ce que voyant, le comte, tranquille et satisfait, quitta la cour et rentra chez lui.

Mais le hasard voulut que le commissionnaire improvisé rencontrât deux camarades à qui il s’empressa de montrer l’écu qu’on venait de lui remettre et de conter la commission dont il était chargé.

Les deux camarades, aussitôt, s’empressèrent de lui démontrer par toutes sortes d’arguments irrésistibles que la commission serait bien mieux faite après qu’elle aurait été préalablement arrosée.

Ces arguments parurent frapper vivement le palefrenier, qui se dit qu’après tout un verre était tôt vidé et qu’il serait toujours temps de porter sa lettre après. En sorte que les trois compères s’en furent séance tenante changer le fameux écu, et que de verre en verre, de bouteille en bouteille, il y passa tout entier.