Выбрать главу

Si bien que la soirée était fort avancée lorsque le peu scrupuleux palefrenier se décida enfin à s’acquitter de la commission pour laquelle il avait été payé d’avance.

Mais alors un autre incident imprévu surgit à son tour.

Le corps de garde étant endormi lorsque le palefrenier titubant vint frapper à la porte, le soldat qui prit la lettre se demanda s’il était bien utile d’aller réveiller son officier pour la lui remettre et, n’osant se prononcer lui-même, s’en fut tout droit réveiller le sergent à qui il la remit en lui contant comment elle lui était parvenue.

Le sergent, à son tour, considéra l’enveloppe, et, ne voyant aucun sceau, aucun cachet officiel, le porteur étant un modeste palefrenier, il en conclut que cette lettre ne concernait en rien le service, provenait probablement d’un camarade ou d’une amie de son officier et qu’en conséquence il n’y avait pas nécessité de le réveiller et que la lettre serait tout aussi bien remise le lendemain matin.

Et, ayant ainsi arrangés les choses, sergent et soldat se recouchèrent, la conscience tranquille.

Et voilà comment, ainsi que le lecteur pourra s’en rendre compte par la suite, l’ivrognerie d’un misérable valet d’écurie et l’attention trop zélée de deux soldats vinrent détruire brutalement ce que M. Jacques avait eu tant de mal à édifier, et renverser un plan savamment conçu et lentement exécuté.

Dans la nuit de ce même jour, la comtesse travaillait, toutes les bougies allumées, à son fameux portrait du roi, et c’est ainsi occupée que Louis la trouva.

Naturellement, le roi se répandit en remerciements pour cette agréable surprise, et en compliments sur la ressemblance parfaite, sur la finesse du dessin et sur le talent de l’auteur qui, disait-il, pouvait rivaliser avec M. Boucher, et protestant galamment parce qu’on lui avait caché ce talent si longtemps.

La comtesse accueillit les remerciements avec une fausse modestie charmante. Et, désignant d’un signe de tête les cartons qu’elle avait savamment disposés à cette intention quelques heures plus tôt, elle dit:

– Puisque vous voulez bien me dire que mes modestes ébauches ne sont pas trop mal, voyez là, mon roi, si vous trouvez quelque chose qui vous plaise.

Louis prit un carton et se mit à le compulser complaisamment.

Penchée sur lui, le bras nonchalamment appuyé sur son épaule, ses fins cheveux effleurant sa joue, dans une pose pleine de charme et d’abandon, elle le guidait dans ses recherches, passant rapidement d’un dessin à un autre et, sous prétexte qu’il ne contenait que des ébauches informes, elle ferma brusquement le carton et en prit vivement un autre qu’elle ouvrit devant lui, disant:

– Vous verrez, Louis, il y a des choses dont je ne suis pas trop mécontente là-dedans… Tiens!… mais, qu’est cela? Ah! folle que je suis, je me suis trompée.

Elle dit cela en riant, avec un naturel parfait, et, tout en parlant et riant comme pour s’assurer qu’il y avait bien réellement erreur, elle feuilletait vivement jusqu’à ce que le portrait de d’Assas fût sous les yeux du roi.

Elle lui laissa le temps de bien le reconnaître et, s’étant assurée du coin de l’œil que son attention se portait sur ce dessin, elle fit un geste pour fermer le carton.

Mais alors Louis l’arrêta et, prenant le portrait pour le voir de plus près, il dit en s’efforçant de rester calme:

– Mais il est très bien, ce portrait… Un de mes officiers… je le reconnais… la ressemblance est frappante… Tous mes compliments, comtesse… décidément, vous réussissez à ravir le portrait.

– Fi, le vilain taquin! fit-elle avec une moue adorable de mutinerie, le méchant roi qui veut m’humilier en me faisant des compliments qui s’adressent à l’œuvre d’une autre… Ce n’est pas bien, Louis, vous gâtez tout mon bonheur… Je vous ai dit que je m’étais trompée: ce carton ne m’appartient pas.

– Plaît-il? fit le roi qui peut-être n’avait réellement pas entendu; vous dites que ce carton ne vous appartient pas… À qui est-il donc?

Et le roi ne lâchait toujours pas le portrait qu’il dévorait des yeux.

Et comme la comtesse baissait la tête avec confusion, évitait de répondre tout en essayant vainement de lui enlever le dessin, il reprit, impatienté, sur un ton d’autorité et avec une froideur glaciale:

– Je vous ai demandé, madame, à qui appartenait ce carton et ce… portrait… N’avez-vous donc pas entendu?

– Sire, répondit-elle en prenant avec affectation l’attitude respectueuse que l’étiquette imposait devant le roi, puisque Votre Majesté l’ordonne!… ce carton appartient à… à Mme d’Étioles.

Elle avait savamment gradué l’embarras, de façon à lui faire comprendre la répugnance qu’elle éprouvait à parler de la rivale délaissée et à lui laisser deviner un reste de jalousie.

Lui, cependant, demanda, sans paraître remarquer ni cet embarras ni l’insistance avec laquelle elle appuyait sur les formules d’étiquette:

– En êtes-vous bien certaine?

– Votre Majesté n’a qu’à voir la signature… elle sera convaincue.

Et sa gêne s’accentuait de plus en plus, et l’attitude de plus en plus raide et compassée protestait tacitement contre la contrainte qu’il lui imposait.

Louis, sans se soucier d’elle, cherchait dans le tas, comparait les signatures, et quand il se fut bien assuré qu’elle ne se trompait pas, qu’elle ne mentait pas, il s’exclama:

– C’est, pardieu! vrai…

Et comme il n’ajoutait plus rien, paraissant réfléchir profondément, elle prit une pose qui disait clairement:

«Fidèle observatrice des lois de l’étiquette, j’attends qu’il plaise à Votre Majesté de m’autoriser à parler.»

Cette scène muette se prolongea pendant quelques minutes qui leur parurent, à elle longues comme des heures, à lui rapides comme un éclair.

Enfin, le roi se ressaisit non sans effort. Il remit le portrait dans le carton qu’il ferma tranquillement, et adoucissant son sourire, il dit avec un calme apparent:

– Ma foi, comtesse, je vous fais mes excuses, vos dessins sont incontestablement supérieurs à ceux de cette… petite d’Étioles.

Ce fut tout.

Et comme elle s’inclinait silencieusement et cérémonieusement, il reprit, en souriant gracieusement et comme pour se faire pardonner sa brusquerie:

– Allons, Chiffon, ne boudez pas ainsi ou sinon… je ne vous dis pas une nouvelle qui va faire caqueter la cour en même temps qu’elle fera plaisir à une belle personne… qui n’est pas loin… et qui serait bien attrapée si je me taisais.

Moitié souriante, moitié boudeuse encore, elle demanda:

– Quelle nouvelle?… dites.

– Mais, fit malicieusement le roi, je veux parler de la présentation officielle à son roi d’une certaine comtesse du Barry de ma connaissance, et qui aura lieu avant la fin de la semaine… le roi ayant donné des ordres formels ce matin.

– Vrai?… s’écria la comtesse en frappant des mains avec joie. Vrai? Ah! Louis, que je vous embrasse!… et comme je vous aime!…

Le premier soin du roi, en rentrant au château, fut de dire à son capitaine des gardes: