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– Monsieur, vous ferez transférer à la Bastille, dans la matinée, M. le chevalier d’Assas, actuellement détenu au château. Le prisonnier sera mis au secret… Allez, monsieur!

Le lendemain matin le sergent remit au baron la lettre apportée la veille au soir, en lui expliquant comment elle était parvenue et pour quelles raisons il ne l’avait pas remise immédiatement.

De Marçay, croyant comme son subordonné que cette lettre d’apparence banale provenait d’un camarade, fit un mouvement de tête approbatif et se retira dans sa chambre pour la lire.

Mais quand il eut déchiré l’enveloppe et reconnu le cachet qui s’étalait au bas de cette missive qui lui avait paru insignifiante, il pâlit légèrement; quand il eut lu les instructions qu’elle contenait, qui lui recommandaient de surveiller de très près son prisonnier et de le garder enfermé dans sa chambre en attendant l’ordre de transfert, signé du roi, qui ne pouvait tarder, il ne put retenir une exclamation furieuse à l’adresse du sergent à qui il n’avait rien dit l’instant d’avant.

Cependant il ne concevait aucune inquiétude et sa mauvaise humeur provenait uniquement de n’avoir pu exécuter immédiatement les ordres qui lui étaient transmis; il se tranquillisa donc en se disant que, somme toute, il obéissait dès la réception de l’ordre et qu’il n’était pas responsable du retard apporté dans la communication de cet ordre.

Il prit donc le temps de brûler entièrement cette missive compromettante et se dirigea, sans se presser vers la chambre occupée par d’Assas, dans l’intention de lui faire connaître qu’il venait de recevoir des instructions formelles lui prescrivant de mettre son prisonnier au secret, et le prier de l’excuser personnellement de la rigueur de ces ordres qui n’émanaient pas de lui et qu’il était simplement chargé de faire exécuter.

Après avoir vainement frappé, il se décida à ouvrir la porte et constata que le chevalier n’était pas là; en outre, du premier coup d’œil, il remarqua que le lit n’était pas défait.

Sans trop savoir pourquoi, il se sentit pris de soupçons et, vaguement inquiet, il se rua vers la terrasse:

Personne!

Commençant à craindre une fuite extraordinaire, la sueur de l’angoisse au front, il redescendit plus précipitamment qu’il n’était monté et se mit à visiter une à une toutes les pièces, appelant de temps en temps:

– Chevalier!… chevalier d’Assas!…

Point de réponse… Personne nulle part!…

Le chevalier avait disparu.

Désespéré, anéanti, ne songeant même pas à donner l’alarme, il se laissa tomber lourdement sur un siège, se demandant s’il ne devenait pas fou, tant cette fuite le déconcertait.

Il fut tiré de cette prostration passagère par les appels réitérés d’un soldat qui lui criait que le capitaine des gardes de Sa Majesté avait un ordre à lui communiquer et demandait à le voir.

Pâle comme un marbre, flageolant sur ses jambes comme un homme ivre, il reçut le capitaine qui venait réclamer d’Assas, et dut lui avouer une évasion à laquelle il ne pouvait se résoudre à croire.

Le capitaine, le voyant dans cet état lamentable, tortillait nerveusement sa moustache et dit enfin laconiquement:

– Diable! diable!… justement le roi paraît s’intéresser tout particulièrement à ce chevalier d’Assas… Mauvaise affaire pour vous, mon cher!

Et laissant le baron toujours hébété et anéanti, il s’en fut rendre compte de sa mission et prendre les ordres du roi.

XX LA MACHINE VOLANTE

Si le lecteur veut bien le permettre, nous reviendrons, pour quelques instants, à l’auteur de Rhadamiste et de Catilina, le poète Crébillon, et, par conséquent, à son inséparable, l’ivrogne Noé Poisson. En sortant de la maison des Réservoirs, où il avait été si magistralement joué par cet incomparable metteur en scène qu’était M. Jacques, le poète était rentré à son hôtellerie où Noé l’attendait, fidèle au poste.

Le poète, connaissant mieux que personne le degré d’intelligence de son compère, avait dédaigné de lui fournir une explication. Mais il s’était livré devant lui à une sorte de monologue où revenait toujours, comme un obsédant refrain, la phrase que voici:

– Il faut trouver à tout prix ce diable de d’Assas!

Pourquoi fallait-il trouver ce d’Assas?… Noé ne le comprenait pas très bien; mais comme il avait conscience de la supériorité intellectuelle de son ami et que celui-ci, de toute évidence, attachait une importance considérable à la découverte du lieu où se cachait ce d’Assas que tous deux connaissaient à peine, pourtant, Noé, de confiance, en hochant la tête d’un air entendu, répétait comme un écho:

– Évidemment, il faut trouver ce d’Assas.

Crébillon s’était mis, sans perdre de temps, à explorer Versailles et ses environs, en pure perte d’ailleurs.

Versailles était, à cette époque, nous l’avons dit, une sorte de gros bourg que le poète, en une seule journée, put facilement fouiller dans tous ses coins et recoins.

Noé, très consciencieusement, l’aidait dans ses recherches.

Seulement, tandis que Crébillon s’évertuait en pas et démarches parfaitement raisonnés quoique obstinément infructueux, Noé, lui, se grisait outrageusement et, quand il était abominablement ivre, il sortait, déambulait au hasard dans la campagne ou bayait aux corneilles dans les rares rues de la ville, en se répétant, avec un air profondément soucieux et convaincu:

– Il faut cependant trouver à tout prix ce diable de d’Assas. Voilà comment Noé aidait son ami.

Il y avait surtout un endroit où Noé allait de préférence quand il sortait chercher d’Assas, comme il disait. Cet endroit était situé derrière le château, en pleine campagne, et notre ivrogne y cuvait son vin avec délices.

Pourquoi là plutôt qu’ailleurs?… Mystère!…

Simple prédilection d’ivrogne sans doute. À moins que cette prédilection ne vint tout bonnement de la découverte qu’il avait faite d’une sorte de hutte à l’orée du bois et dans laquelle, à l’abri du vent et de la pluie ou du soleil, étendu sur un lit de feuilles sèches, il pouvait dormir sans crainte d’être dérangé ou rêver à son aise en contemplant par l’étroite ouverture la masse de pierres du château.

Au bout de deux jours de recherches vaines, Crébillon s’était dit qu’il n’était pas possible que d’Assas fût à Versailles; que, s’il était vrai qu’il filât le parfait amour avec Jeanne dans quelque retraite soigneusement cachée, cette retraite ne pouvait pas être là; que les deux amoureux devaient être tout simplement à Paris et que, par conséquent, c’était à Paris qu’il devait retourner et effectuer ses recherches.

Après le départ du sous-ordre de M. Jacques, venu soi-disant pour le remercier de son intervention à laquelle sa parente devait la vie, il avait donc annoncé à Noé que tous deux rentreraient le lendemain matin à Paris.

Poisson, qui voyait son ami de plus en plus soucieux, se disait avec amertume que tous ces ennuis, tous ces va-et-vient provenaient de cet introuvable d’Assas que la peste aurait dû étrangler.

Et tout en songeant mélancoliquement, il vidait bouteilles sur bouteilles, si bien que, lorsqu’il fut ivre à rouler par terre, il se leva et, de ce pas raide et automatique qu’il avait dans ces moments-là, il sortit en marmottant avec force soupirs: