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Le chevalier s’enveloppa prudemment dans l’un et ceignit l’autre avec une satisfaction visible, non sans s’être assuré de la finesse et de la solidité de la lame.

Alors le valet lui tendit une bourse convenablement garnie en lui disant:

– De la part de M. le comte, mon maître… Le portemanteau de monsieur le chevalier contient deux autres bourses pareilles.

D’Assas, très ému, enfouit la bourse en murmurant:

– Ah! Saint-Germain! Saint-Germain!… ami fidèle et dévoué!…

Puis, tout haut, à Noé:

– Allons, monsieur, je vous suis.

– Où plaît-il à monsieur le chevalier que j’aille l’attendre? demanda respectueusement le valet en voyant que d’Assas s’apprêtait à le quitter sans lui donner ses ordres.

Celui-ci s’arrêta assez interdit et ne sachant trop que décider.

– Mais, fit Noé avec tranquillité, l’hôtellerie où nous sommes, loge à cheval. Il y aura donc de la place pour ces deux pauvres bêtes.

– Au fait, murmura d’Assas… suivez-nous de loin, dit-il alors au valet, entrez là où vous nous verrez entrer, mais, jusqu’à nouvel ordre, vous ne me connaissez pas… vous attendez votre maître… Vous me comprenez?

– Monsieur le chevalier peut-être tranquille.

Sur cette assurance, guidé par Noé, d’Assas se mit en route, suivi de loin par le valet qui conduisait les deux chevaux.

XXI LA CORRECTION

Noé Poisson, accompagné de d’Assas reprit, tout joyeux, le chemin de son hôtellerie.

En passant devant la grille du château, le chevalier put se rendre compte que tout y paraissait calme et qu’aucune animation inaccoutumée à cette heure tardive ne dénotait qu’un événement imprévu se fût produit.

– Bon! pensa d’Assas, on ne s’est encore aperçu de rien. Jusqu’à demain me voilà tranquille.

Et sans rien laisser paraître de ses pensées, il suivit Noé qui, dans sa hâte joyeuse, courait plus qu’il ne marchait.

Aussitôt arrivé, Noé, suant et soufflant, grimpa vivement jusqu’à la chambre qu’il occupait avec le poète, ouvrit la porte en coup de vent et cria d’une voix de stentor:

– Le voilà!… je te l’amène!…

Crébillon, surpris au moment où il s’occupait tranquillement à boucler leur valise commune, sursauta et regarda son compère pour s’assurer s’il ne perdait pas le peu de raison que le ciel lui avait départi.

Mais, sans remarquer la vague inquiétude de son ami, l’ivrogne ajouta triomphalement:

– Je savais bien, moi, que je le trouverais, ton chevalier d’Assas!…

– Plaît-il?… fit Crébillon stupéfait; tu dis…?

– Je dis que je t’amène M. d’Assas, répondit Noé radieux. Arrivez donc, chevalier… par ici… Tiens le voilà!…

En effet, d’Assas qui avait suivi posément Noé qui, dans sa joie, montait les marches quatre à quatre, d’Assas faisait son entrée dans la chambre.

– Monsieur d’Assas! fit le poète joyeusement; pardieu! monsieur, soyez le bienvenu, car je vous réponds que vous étiez bien désiré.

– Et si tu savais où je l’ai trouvé! reprit Noé qui se gonflait à en éclater… Il m’est tombé du ciel dans les bras, pour ainsi dire… N’est-ce pas, monsieur d’Assas?

D’Assas, pendant les quelques instants qu’ils venaient de passer en compagnie de l’ivrogne, avait pu se convaincre de sa sincérité et, s’il avait eu quelques vagues soupçons, ils s’étaient évanouis devant son calme imperturbable et ses manières communes, mais empreintes d’une bonne et grosse cordialité.

Aussi ce fut avec un léger sourire qu’il répondit:

– Chut! monsieur, ne criez pas mon nom si haut!…

Et comme Crébillon d’un coup d’œil expressif, semblait demander le pourquoi d’une réserve aussi prudente; comme Noé, ainsi qu’il faisait toutes les fois qu’il ne saisissait pas bien ce qui se disait, roulait des yeux effarés, le chevalier, répondant à la muette interrogation du poète, ajouta sans donner plus d’explications:

– C’est que, voyez-vous, je sors d’un endroit où je ne tiens nullement à retourner… ce qui pourrait m’arriver, si votre ami s’obstinait à prononcer mon nom aussi haut qu’il le faisait tout à l’heure.

– Diable! fit le poète qui, croyant deviner, regarda fixement d’Assas.

Celui-ci du reste, n’eut pas l’air de remarquer l’insistance avec laquelle Crébillon le regardait et, dans sa hâte d’amener la conversation sur le seul sujet qui l’intéressât, il demanda:

– Vous avez à m’apprendre, m’a dit monsieur, des choses très graves et très importantes concernant Mme d’Étioles?

– Mais, fit Crébillon, c’est moi qui, au contraire, compte sur vous pour avoir des nouvelles de Jeanne… C’est uniquement dans cet espoir que je vous ai cherché partout.

– M. Poisson m’a déjà dit que vous me cherchiez depuis quelque temps. Vous me dites, vous, que vous attendez de moi des nouvelles de Mme d’Étioles, c’est bien cela, n’est-ce pas?

– C’est cela même.

– Mais qui vous fait supposer que je sois à même de vous donner les nouvelles que vous espérez… alors que moi-même je ne suis venu ici que dans l’espérance d’y trouver les renseignements… que vous attendez de moi?

Crébillon se gratta vigoureusement le nez, ce qui, chez lui, était l’indice de réflexions sérieuses, et s’adressant à Noé qui écoutait très attentivement, il lui dit:

– Voyez donc, cher ami, s’il n’y a pas par là quelques bouteilles pleines accompagnées de quelques provisions… Il est l’heure où les honnêtes gens soupent et M. d’Assas voudra bien, je l’espère, nous faire l’honneur de partager notre en-cas.

Et comme le chevalier esquissait un geste de refus, il ajouta:

– Les explications que nous allons avoir à nous donner tous les deux, monsieur, seront longues… je le crois… laborieuses… je le crains… Or, à mon avis, rien ne facilite un échange de vues et d’impressions comme une table bien garnie et quelques flacons de vieux vin… Acceptez donc sans façon ce qui vous est offert de grand cœur.

Le chevalier, gagné par la cordialité des manières et par la franchise du regard du poète, s’inclina en signe d’acceptation.

Noé, pendant ce temps, avec un empressement et une célérité qui prouvaient combien la proposition de son ami lui agréait, tirait d’un placard des provisions de réserve qu’il disposait prestement sur une table, en les flanquant d’un nombre respectable de flacons poudreux.

Lorsqu’ils se furent installés commodément et que le premier appétit commença d’être satisfait, le poète, reprenant la conversation, dit:

– Si je vous ai bien compris monsieur, vous ignorez où se trouve Mme d’Étioles, vous ne savez pas ce qu’elle est devenue et vous comptiez sur moi pour vous l’apprendre?

– Je l’avoue. C’est du reste ce que M. Poisson m’avait fait espérer en me disant que vous aviez des nouvelles importantes à me communiquer à ce sujet.

– Bien! bien!… Moi, de mon côté, j’ignore complètement ce qu’il est advenu de la personne qui nous occupe et qui a disparu, et… je comptais sur vous pour me l’apprendre.