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– J’entends bien, monsieur… Et j’ai déjà eu l’honneur de vous demander ce qui vous faisait croire que j’étais à même de vous donner ces renseignements?

– Mais, fit Crébillon en fixant d’Assas, n’avez-vous pas rejoint Mme d’Étioles sur la route de Versailles?

– Sans doute… Mais je ne vois pas…

– Or, Jeanne a disparu à dater de cet instant, et depuis elle est introuvable.

– Pardon! vous faites erreur… Mme d’Étioles, après que je l’eus quittée sur la route de Versailles où je l’avais rejointe en effet, a accepté l’hospitalité qui lui était offerte par… quelqu’un qui se trouvait dans son carrosse, dans une petite maison que je connais, où elle est restée plusieurs jours, d’où elle est sortie librement pour être conduite par moi dans une autre maison de ma connaissance, et c’est à dater de ce moment seulement qu’elle a disparue et que, par suite de circonstances indépendantes de ma volonté, je me suis trouvé dans l’impossibilité de veiller sur elle.

Pendant qu’il parlait, Crébillon observait attentivement le chevalier, et sa physionomie ouverte et loyale l’impressionnait sans doute favorablement, car il répondit:

– Tenez, chevalier, nous nous défions mutuellement l’un de l’autre et nous avons tort, car vous êtes, je le sens, aussi loyal que moi. Le meilleur moyen que nous ayons d’arriver à nous entendre est d’être francs et sincères vis-à-vis l’un de l’autre. Je vais donc vous donner l’exemple et je jouerai cartes sur table avec vous… Vous verrez ensuite ce que vous aurez à faire.

Alors le poète raconta par le détail comment il avait pris part à l’enlèvement de Jeanne et tout ce qui était arrivé à la suite de cet événement.

Il répéta tout ce que le lieutenant de police lui avait dit lors de la visite qu’il lui fit et enfin narra dans tous ses détails par quel hasard bien heureux il put pénétrer dans la maison de la ruelle aux Réservoirs et s’assurer de ses propres yeux que Jeanne n’y était pas.

Il n’omit aucun détail, n’oublia aucun nom et parla, comme il l’avait dit, avec la plus entière franchise, ajoutant, en manière de conclusion:

– Vous savez, maintenant, pourquoi je vous ai tant cherché et pourquoi j’espérais de vous des nouvelles positives de Mme d’Étioles.

Pendant tout ce récit assez long, d’Assas avait écouté très attentivement, et au fur à mesure que Crébillon lui donnait toutes sortes de détails précis, il se rendait compte qu’il pourrait sans crainte se confier à ce poète ivrogne, assuré qu’il était de trouver en lui sinon un ami prêt à lui venir en aide au besoin, du moins un galant homme incapable d’une trahison ou d’une vilenie, et peut-être même de trouver en lui un auxiliaire précieux, puisque tous deux, pour des motifs différents, poursuivaient le même but, qui était d’arracher Mme d’Étioles à la griffe des ennemis puissants qui s’acharnaient à sa perte.

Les renseignements que Crébillon lui donnait concordaient de tous points avec ceux qui lui avaient été fournis par de Bernis.

Il lui apparaissait de plus en plus clair et évident que l’ennemi le plus redoutable de Jeanne, c’était encore et toujours cette comtesse du Barry qui, quelques heures plus tôt, s’offrait cyniquement à lui.

Enfin, la visite infructueuse que le poète avait faite de la mystérieuse maison de la ruelle aux Réservoirs apportait une preuve de plus aux dires de de Bernis qui lui avait affirmé que Jeanne n’était plus dans cette retraite, d’où elle avait été enlevée sur l’ordre de la comtesse du Barry pour être transportée vers une destination inconnue.

À défaut de tout autre sentiment, son intérêt, celui de Jeanne lui conseillaient donc d’être franc et sincère à son tour et de se confier entièrement à ce poète qui pouvait devenir une sorte d’associé sûr et fidèle.

À son tour, il raconta point par point tout ce qui lui était arrivé depuis la scène de la route de Versailles jusqu’à son évasion si heureusement menée à bonne fin.

Malheureusement, de même que Crébillon ne s’était pas attaché à décrire les lieux, se bornant à raconter les événements, et à répéter les paroles ayant trait à Mme d’Étioles, de même d’Assas oublia de décrire au poète la mystérieuse retraite qu’il avait habitée et où il avait conduit Jeanne.

Cet oubli de part et d’autre, ou pour mieux dire, ce peu d’importance qu’ils attachaient à la description d’une maison que tous deux avaient reconnue pour la même dès les premiers mots, devait leur faire perdre un temps précieux en les laissant s’embourber dans une erreur matérielle que le moindre détail précis sur ce point, dont l’importance leur échappait, eût fait tomber.

Il est clair, en effet, que si d’Assas avait parlé des quatre pavillons dont se composait cette retraite, Crébillon, qui n’avait vu que le premier qui servait de façade apparente aux trois autres, eût été frappé de ce fait.

Il est clair qu’il en eût aussitôt fait la remarque à d’Assas et que, de détail en détail, ils n’eussent pas été aussi pleinement convaincus et se fussent demandé si Mme d’Étioles n’était pas tout simplement cachée dans un des trois pavillons intérieurs, pendant qu’on laissait complaisamment visiter le premier en façade.

Sans deviner précisément la manœuvre de M. Jacques, des doutes leur seraient venus sans doute et, avant de renoncer à toute surveillance de ce côté, il est probable qu’ils eussent voulu s’assurer, avant de se tourner d’un autre côté, si Jeanne ne se trouvait pas plus dans les autres pavillons que dans le premier.

Malheureusement, cette idée ne leur vint ni à l’un ni à l’autre et peut-être cet oubli fut-il un bien pour d’Assas, qui n’eût peut-être pas hésité à aller frapper à la porte du redoutable général des jésuites, ce qui eût été comme une manière de se constituer prisonnier, car il est certain que M. Jacques eût aussitôt pris ses dispositions pour que le chevalier, qui, libre, pouvait contrarier ses plans, ne sortît pas de cette mystérieuse retraite.

Sans compter que c’était s’exposer bénévolement au poignard du comte du Barry, traîtreusement embusqué dans quelque coin de la sombre demeure.

Quoi qu’il en soit, ce point important leur échappa complètement.

Mais, à part cette erreur, les explications franches et nettes qu’ils se donnèrent mutuellement eurent pour effet de créer un lien de sympathie entre ces deux hommes qui se connaissaient à peine et dont l’âge, les goûts et les manières semblaient ne devoir jamais s’accorder.

Aussi, lorsque d’Assas eut fini de parler, Crébillon avec cette rondeur de manières qui lui était particulière, résuma-t-il leur commune impression par ces mots:

– Vous voyez, monsieur, que le meilleur moyen que nous avions de nous entendre était de parler à cœur ouvert, comme il convient, du reste, à d’honnêtes gens.

– Certes!… Je ne vous contredirai point là-dessus, car si je possède une seule qualité, c’est la franchise précisément.

– Vous êtes trop modeste… Vous n’avez pas que cette qualité, je le vois à votre mine qui, d’ailleurs, me revient tout à fait. Aussi, je vous dis tout net que vous pouvez faire état de moi comme d’un ami.

– J’accepte cette amitié en échange de la mienne que je vous offre de grand cœur.

– Voilà qui est au mieux. En attendant que décidons-nous?… Me voici débarrassé du remords d’avoir livré Jeanne au roi, ce qui me chiffonnait terriblement; mais, d’autre part, de ce que je savais moi-même et de ce que vous venez de m’apprendre, il appert manifestement que cette enfant est en péril, et l’affection que j’ai pour elle ne me permet pas de rester passif tant qu’elle ne sera pas hors de danger.