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– Mon opinion, dit d’Assas, est que nous devons effectuer nos recherches à Paris.

– C’est aussi mon avis répondit Crébillon. Le mieux est donc de partir demain matin, avant que votre fuite soit connue au château, car vous allez avoir la maréchaussée à vos trousses.

– Non pas, s’il vous plaît. Avant de quitter Versailles, j’ai deux mots à dire à quelqu’un de ma connaissance.

– Diable!… ce n’est peut-être pas très prudent, cela?…

– Bah! laissez donc… ce sera vite fait… Au surplus, peut-être vaudrait-il mieux rester ici quelque temps… on va me chercher tout droit à Paris et je gagerais qu’on n’aura pas un seul instant l’idée que j’ai pu rester tout bonnement ici, à deux pas du château.

– C’est peut-être vrai ce que vous dites là… pourvu que vous ne fassiez pas d’imprudences, répondit Crébillon, que le ton de d’Assas, lorsqu’il avait dit qu’il voulait dire deux mots à quelqu’un avant son départ, inquiétait vaguement.

– Je vous promets d’être raisonnable.

– À la garde de Dieu! dit Crébillon en secouant la tête, car il devinait dans l’attitude du chevalier la résolution bien arrêtée de ne partir qu’après avoir accompli une besogne tracée d’avance.

Sur ces mots, comme la soirée était très avancée, que l’hôte était couché et que les deux nouveaux amis jugeaient prudent de ne pas attirer son attention sur l’évadé, il fut décidé que Noé Poisson céderait son lit au chevalier et s’arrangerait de son mieux dans un fauteuil.

L’ivrogne, ainsi qu’on a pu le remarquer, avait assisté à l’entretien de Crébillon et de d’Assas sans y prendre une part active.

Le poète ayant constamment négligé de prendre l’avis de son vieux compagnon, d’Assas, d’instinct, avait imité cet exemple.

Noé, de son côté, confiant dans la supériorité de Crébillon, l’avait laissé sagement diriger l’entretien à sa guise, se contentant, pour toute intervention, de pousser quelques grognements approbatifs de-ci de-là, ne comprenant pas toujours ce qui se disait et n’ayant, manifestement, qu’un souci: veiller attentivement à remplir les verres au fur et à mesure qu’on les vidait.

Il va sans dire qu’il ne s’oubliait pas lui-même, tant et si bien que, lorsque les deux interlocuteurs eurent fini de s’expliquer, un ronflement sonore vint leur révéler que l’excellent Noé était parti pour le pays des songes.

Et voilà pourquoi il fut décidé que d’Assas occuperait le lit de l’ivrogne, qu’on laissa tranquillement cuver son vin dans le fauteuil où il s’était endormi, sans plus s’inquiéter de lui, Crébillon ayant déclaré que son ami avait l’habitude de ces sortes de situations et qu’il dormirait là jusqu’au matin aussi bien que dans son lit.

Le lendemain matin, le chevalier déclara au poète qu’il allait sortir, qu’il ne resterait probablement pas longtemps absent, et le priait d’attendre son retour.

Crébillon répondit:

– Vous êtes bien décidé?… N’allez-vous pas faire quelque folie?… commettre quelque imprudence irréparable?…

– Rassurez-vous, je ne cours aucun risque… D’ailleurs, il le faut… je ne partirai pas d’ici avant d’avoir eu avec quelqu’un… l’explication que je désire.

– Allez donc, répondit Crébillon, voyant que toute résistance serait inutile et que le chevalier était buté dans son idée et fermement résolu à la mettre à exécution; allez donc, mais, pour Dieu! prenez des précautions.

– Soyez tranquille, dit d’Assas en souriant, je ne tiens nullement à redevenir le pensionnaire du baron de Marçay… et je m’arrangerai en conséquence… À propos n’auriez-vous pas une canne à me confier?…

– Une canne?… répéta le poète assez étonné; mais…

– Voici la mienne, chevalier, dit Noé qui écoutait sans rien dire suivant son habitude… Vous convient-elle?…

Ce disant, il tendait sa canne que d’Assas prit et examina attentivement.

C’était une canne très simple, très modeste, qui n’avait rien de commun avec les chefs-d’œuvre de la Popelinière où de Samuel Bernard, qui valaient jusqu’à dix mille écus.

Mais si le bâton était très simple, en revanche, il était fort solide et cela se conçoit aisément, puisqu’il était destiné à supporter le poids de la précieuse personne de Noé, poids qui était des plus respectables.

La canne parut convenir au chevalier, qui la prit en remerciant, et dit en se tournant vers Crébillon:

– Vous m’avez recommandé la prudence, voyez si je suis votre conseil… Nous sommes à peu près de la même taille, n’auriez-vous pas un costume de rechange à me prêter?… celui que je porte est peut-être signalé à l’heure qu’il est… J’abuse de votre obligeance, cher monsieur, mais ne vous en prenez qu’à vous-même et à vos conseils que je suis strictement.

– Comment donc, chevalier, fit Crébillon avec une satisfaction visible, je serais désolé que vous fissiez des façons avec moi… Voici le costume que vous demandez… je ne l’ai mis encore qu’une fois, le jour où je fis à M. Berryer la visite que je vous ai narrée.

– Il est de nuance sombre, dit d’Assas en examinant le costume, il conviendra parfaitement… Avec ce vêtement je ne risque pas d’attirer l’attention.

Tout en parlant, d’Assas s’habillait rapidement.

Il se trouva que le costume allait à peu près.

Tel que, le chevalier le déclara parfait, en ajoutant:

– Avec ce manteau de nuance indécise, je passerai inaperçu, et nul ne pourra remarquer que le costume n’est pas tout à fait à ma taille.

Crébillon opinait doucement de la tête, tout en s’habillant lui-même, pendant que Noé, pour se remettre les idées, et aussi pour ne pas rester inactif, débouchait un flacon de vin blanc et remplissait les verres.

Lorsque la toilette de d’Assas fut achevée, il ceignit l’épée que lui avait remise la veille le valet de Saint-Germain, passa les deux pistolets chargés à sa ceinture, s’enveloppa dans son manteau, et, la canne de Noé à la main, il sortit après avoir serré la main de ses deux compagnons.

À peine avait-il fermé la porte que Crébillon dit à Noé:

– Je sors… Ne bouge pas d’ici… attends mon retour.

Sur le pas de la porte, il vit le chevalier qui s’éloignait d’un pas assuré.

À côté de lui, le valet mis par Saint-Germain aux ordres de d’Assas le regardait s’éloigner aussi avec une vague inquiétude.

Crébillon lui dit rapidement quelques mots, que le valet parut accueillir avec une satisfaction visible, car il se dirigea vers l’écurie pour exécuter sans doute des instructions que le poète venait de lui donner.

Crébillon, pendant ce temps, le manteau lui cachant une partie de la figure, se mit à suivre de loin d’Assas, et quelques instants plus tard le valet, enveloppé, lui aussi, dans un vaste manteau, tenant un cheval par la bride, sortait à son tour et suivait le poète de loin, réglant son pas sur le sien.