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Cependant d’Assas se dirigeait tranquillement vers les Réservoirs.

Il était en ce moment environ neuf heures du matin et, tout en marchant sans hâte, comme un flâneur, d’Assas songeait, avec un sourire ironique sur les lèvres, qu’à cet instant précis, peut-être, le quartier des prisons du château était révolutionné par sa disparition et que, sans doute, on se lançait de tous côtés à sa poursuite.

Comme il approchait de la maison de M. Jacques, il tressaillit violemment: la porte venait de s’ouvrir brusquement et un homme, la face convulsée par une violente émotion, s’élançait en courant, le bousculant au passage sans s’excuser, se dirigeant dans la direction du château.

Cet homme, c’était le comte du Barry.

D’Assas l’avait reconnu du premier coup d’œil, sa main s’était nerveusement crispée sur la pomme de sa canne.

Mais sans doute il n’entrait pas dans son plan d’arrêter le comte en cet endroit, car il resta impassible, maîtrisant ce premier mouvement de colère qui l’avait poussé en avant.

Sans même relever, comme il l’eût fait en toute autre circonstance, la grossièreté du comte qui avait failli le renverser en courant et qui, pour toute excuse, avait jeté en passant ces mots dits avec une sorte de rage:

– La peste soit du badaud!

… Il fit prestement demi-tour et suivit du Barry qui courait plus qu’il ne marchait.

Le comte s’approchait du château. Il était arrivé sur la place et se dirigeait vers la grille, ayant pris une allure plus modérée, toujours suivi, sans qu’il s’en doutât, du chevalier qui, lui-même, était suivi par Crébillon, pestant en son for intérieur contre l’imprudence du chevalier qui paraissait vouloir entrer au château.

– Mort de ma vie! songeait le brave poète, ferait-il cette folie d’entrer au château?… Ah çà, mais… il veut donc se faire rouer vif?…

La place commençait à être sillonnée de carrosses, de cavaliers, de gentilshommes, d’officiers, de valets, toute une foule bigarrée, bariolée, allant à la demeure royale ou en sortant.

C’était là, sans doute, ce que désirait d’Assas, car il allongea le pas en serrant nerveusement sa canne et, en quelques enjambées, rejoignit du Barry au moment où il était à peu près sur le milieu de la place.

D’Assas posa sa main sur l’épaule du comte, en disant avec un calme effrayant:

– Hé! bonjour, monsieur le comte… Où courez-vous si vite?…

Le comte s’arrêta net, cloué sur place en reconnaissant cette voix, et sans que le chevalier eût besoin d’accentuer son étreinte pour le retenir.

Il se retourna tout d’une pièce, pâle comme un mort, les yeux flamboyants, les lèvres tremblantes de fureur, la main crispée sur la garde de son épée, et, stupide d’étonnement, n’en pouvant croire ses yeux, il ne trouva que ces mots qu’il hoqueta d’une voix rauque:

– Le chevalier d’Assas!…

– Moi-même, monsieur, répondit d’Assas toujours souriant, en chair et en os.

– Le chevalier! répéta du Barry qui n’arrivait pas à se ressaisir.

– Oui, oui, je comprends, dit d’Assas avec une ironie cinglante, la dernière fois que j’eus le déplaisir de vous voir vous étiez traîtreusement embusqué dans l’ombre, le poignard à la main, prêt à m’occire… à m’assassiner… car le poignard est l’arme des assassins et non celle d’un gentilhomme… le savez-vous monsieur le comte?… Vrai Dieu, la vilaine figure que vous aviez à ce moment-là… tenez… presque aussi vilaine que celle que vous avez en ce moment.

D’Assas avait élevé la voix et déjà l’attention commençait à se porter sur eux.

– Oui, continua le chevalier d’une voix de plus en plus éclatante; oui, vous me vouliez assassiner lâchement, monsieur; mais, mordieu! on échappe à votre poignard tout comme on tire sa révérence aux geôliers chargés de garder un homme dont on se veut défaire, et on se présente, comme je le fais, devant l’assassin, au moment où il croit vous tenir, pour lui administrer la correction qu’il mérite… ce que je vais faire avec tous les égards qui sont dus à votre rang… monsieur l’assassin!…

Le comte cependant était revenu de sa stupeur, mais une colère terrible, une fureur terrible l’envahissait.

Il recula d’un pas et tira son épée, en disant avec rage:

– Par le diable! ce coup-ci tu n’échapperas pas!

Mais la voix claironnante de d’Assas, son calme imperturbable en présence de la face hideuse de fureur du comte, l’épée qui brillait au soleil et menaçait cet homme qui gardait dédaigneusement la sienne au fourreau, tout cela attirait de plus en plus l’attention sur eux et faisait pester Crébillon qui ne perdait rien de cette scène rapide.

On s’arrêtait on se groupait autour d’eux.

D’un carrosse qui s’approchait un cri était parti, un buste avait surgi de la portière, un ordre avait été lancé au cocher qui avait arrêté ses chevaux.

Du Barry, de plus en plus aveuglé par la colère, oubliant le lieu où il se trouvait, oubliant qu’il n’avait qu’à s’approcher de la grille, appeler et faire arrêter celui qu’il haïssait, n’ayant qu’un désir: celui d’en finir là, sur place, à l’instant, par un bon coup d’épée; du Barry, ivre de fureur, fonça l’épée haute sur le chevalier, en criant pour la forme, car l’attaque précédait traîtreusement l’avertissement:

– En garde, monsieur, ou je vous tue!…

Le coup était porté avant que l’avertissement fût achevé.

Mais d’Assas surveillait de très près son ennemi.

Alors, les assistants, qui, déjà faisaient cercle virent avec une stupeur mêlée d’admiration que les coups furieux de cette épée traîtresse et qui cherchait à être mortelle était dédaigneusement parée… avec une canne, pendant que la voix vibrante et sonore de d’Assas disait avec un calme terrifiant:

– Salir mon épée contre la vôtre!… fi donc!… un bon bâton, voilà ce qu’il faut à un homme comme vous, monsieur l’assassin!…

Le comte était connu et cordialement détesté… d’Assas était un inconnu pour tous. La crânerie de son attitude lui attira la sympathie et l’admiration de tous.

Un officier, dans un groupe, dit à haute voix:

– Morbleu!… voilà un homme!…

D’Assas eut un sourire à l’adresse de celui qui avait parlé et, entre deux parades, la canne traça dans l’air un salut dans cette direction.

Des murmures admiratifs éclatèrent. Pour un peu, on eût applaudi.

La passe d’armes, si on peut dire, dura, du reste, fort peu de temps. Un coup sec, vigoureusement appliqué, brisa l’épée dans la main du comte.

Rapide comme l’éclair, d’Assas saisit le poignet de son adversaire le broya, le tordit jusqu’à ce que le tronçon d’épée échappât à ses doigts endoloris.

Du pied il repoussa les deux tronçons qui disparurent instantanément, saisis, happés au passage, jetés loin de là par des mains inconnues, car, devant cette lutte inégale d’une épée et d’un bâton la foule sentait, devinait que le lâche qui avait osé soutenir un tel combat était de force à se servir de la lame brisée pour poignarder son trop loyal adversaire, et d’instinct elle prenait parti pour le plus brave.

Alors d’Assas d’une main, saisit du Barry au collet et de l’autre laissa retomber à coups précipités la canne sur ses épaules.