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– Chevalier d’Assas, au nom du roi, je vous arrête… Remettez-moi votre épée! le cavalier tourna vers son interlocuteur un visage stupéfait et répondit avec respect:

– Faites excuse, monsieur l’officier, je ne suis pas celui que vous dites… Je m’appelle Jean Dulong et je suis au service de M. le comte de Saint-Germain.

Ce disant le cavalier, entr’ouvrant son manteau, laissait voir une livrée discrète et montrait son côté vierge de l’épée qu’on lui demandait de rendre.

L’officier étouffa un juron.

Il n’y avait d’ailleurs pas à se tromper, l’homme qui lui parlait là avait bien le physique et les allures d’un valet de bonne maison et ne répondait en rien, à part le manteau et le chapeau, au signalement du chevalier d’Assas, officier du roi.

Du reste cet homme approchait la quarantaine et l’officier qu’il était chargé d’arrêter avait vingt ans.

Comme il l’avait fait auprès de d’Étioles l’officier s’informa auprès de cet homme.

Seulement, comme cette fois il n’avait pas affaire à un homme de qualité, ses questions prirent la tournure d’un véritable interrogatoire.

Jean Dulong répondit, sans se départir du respect qu’un homme de sa condition devait à un officier du roi:

– J’ai assisté à une partie de la scène qui s’est déroulée place du château… mais on vous a mal renseigné, monsieur l’officier, le jeune gentilhomme dont vous me parlez a pris la route de Paris… Vous lui tournez le dos… et comme il était bien monté, il doit avoir maintenant une belle avance.

Sans dire un mot de remerciement à ce personnage d’aussi mince importance, l’officier, furieux, fit volte face et s’élança à fond de train sur la route de Paris, à la poursuite de ce fugitif qui, décidément, n’était pas le premier venu puisqu’il venait, après s’être évadé la veille même braver le roi en assommant à moitié un de ses gentilhommes devant la grille même du château, et s’évanouissait, disparaissait sans laisser de traces, une fois ce bel exploit accompli.

XXII UNE ENNEMIE

Voici ce qui s’était passé:

Le cocher de d’Étioles, du haut de son siège, avait assisté à la scène qui venait de se dérouler: il avait parfaitement reconnu d’Assas montant dans le carrosse, et lorsque Crébillon lui jeta l’ordre de brûler le pavé, il comprit facilement qu’il s’agissait de soustraire, par une retraite rapide, ce jeune gentilhomme à une poursuite possible devant ce scandale occasionné sous les fenêtres du roi.

Il enleva donc vigoureusement ses bêtes et partit à fond de train, pendant que le poète, en quelques paroles brèves, expliquait succinctement la situation du chevalier au financier étonné.

Pendant ce temps le valet de Saint-Germain, Jean, avait rattrapé le carrosse et galopait à la portière en attendant les ordres qu’on pourrait lui donner.

La vue du valet, à qui il avait fait signe de suivre à tout hasard, fit surgir une idée dans la cervelle inventive du poète qui dit à d’Assas:

– Il est fort probable qu’on vous a vu monter dans ce carrosse et qu’on va se lancer à votre poursuite; passez-moi votre manteau et votre chapeau.

Assez étonné, d’Assas obéit néanmoins.

Crébillon se pencha alors à la portière et cria à Jean:

– Passe-moi ton manteau et ton chapeau et prends ceux-ci en échange.

L’échange eut lieu rapidement sans que le valet, pas plus que ne l’avait fait d’Assas, songeât à perdre de temps en demandant des explications intempestives.

Lorsque le chevalier se fut enveloppé dans le manteau du valet et que celui-ci eut à son tour endossé celui que le poète venait de lui passer, Crébillon dit:

– Voilà: nous allons profiter de ce que nous sommes sous ces arbres, nous allons descendre tous les deux et nous glisser d’arbre en arbre; pendant ce temps le carrosse continuera son chemin à petite allure. Si on nous poursuit, il est probable qu’on ne fera guère attention à nous et qu’on s’archarnera après le carrosse. Vous, monsieur d’Étioles, vous vous laisserez rattraper et si on vous demande des explications, vous direz que vous croyez que le fugitif poursuivi vous a dépassé et galope devant vous.

Puis, se penchant une fois encore à la portière, il dit à Jean:

– Cours devant. Si on te poursuit, laisse-toi faire et tâche de dire que le chevalier a pris la route de Paris. Si on te laisse tranquille, tu viendras nous rejoindre après à l’hôtellerie. Si on t’arrête, tu te réclameras de ton maître, qui te tirera de là.

Sans demander d’autres explications Jean avait piqué des deux, et on a pu voir qu’il avait joué son rôle avec succès et sans être inquiété.

Crébillon avait alors dit au cocher:

– Ralentis l’allure, sans arrêter.

Le cocher ayant obéi, Crébillon aussitôt avait sauté à terre, suivi de près par d’Assas, et bientôt tous les deux se perdirent sous les arbres des quinconces, pendant que le carrosse continuait sa route à une allure modérée, emportant d’Étioles bien décidé à agir en faveur de d’Assas et à lui rendre un service capital qui devait, pensait-il, le lui attacher sérieusement par les liens de la reconnaissance.

On a vu que d’Étioles, comme Jean, avait bien joué son rôle et pleinement réussi.

Pendant ce temps d’Assas et Crébillon, sans courir, ce qui eût pu attirer l’attention sur eux, marchait sous les arbres, d’un pas allongé.

Malheureusement, il leur fallait marcher droit devant eux, en sorte qu’en cas de poursuite ils devaient fatalement être aperçus.

C’était leur liberté et peut-être leur vie qu’ils jouaient sur un coup de dés, car de deux choses l’une, ou les poursuivants ne feraient pas attention à eux et chercheraient uniquement à rattraper le carrosse, et alors ils étaient sauvés; ou ils interpelleraient les deux soi-disant promeneurs, et alors ils étaient pris.

Dans ce dernier cas, ils avaient encore à choisir: ou se rendre, ou en découdre et se rebeller ouvertement, chose fort grave à l’époque et qui donnait fort à réfléchir à l’excellent Crébillon qui, néanmoins, était bien décidé à ne pas abandonner son jeune ami.

Les deux fugitifs n’avaient pas fait cent pas sous les arbres qu’ils entendirent derrière eux le galop d’une troupe.

– Les voilà sur notre piste! dit Crébillon, navré.

– Laissez donc, dit d’Assas, ils ne me tiennent pas encore! Et, tout en parlant, il s’assurait que la poignée de son épée était bien à la portée de sa main et que les deux pistolets étaient toujours à sa ceinture.

– Allez-vous donc résister? demanda Crébillon de plus en plus inquiet.

– Dame!… Vous pensez bien que je n’ai pas risqué de me rompre les os, en descendant de la terrasse du château, pour me laisser reprendre aussi stupidement… Non, mordieu, et puisqu’il le faut… eh bien, bataille!… Mais vous qui n’avez pas les mêmes motifs de craindre que moi, tirez au large pendant qu’il en est temps.

– J’entends bien; mais dites-moi: si j’étais à votre place et que vous fussiez à la mienne, me laisseriez-vous me débrouiller tout seul?

– Oh!… qu’allez-vous chercher là?… fit d’Assas assez embarrassé.

– Bon! vous voyez bien… Donc, je reste avec vous.

– Songez, dit d’Assas très ému, que je suis décidé à vendre chèrement ma vie… Partez, il en est temps encore.