Выбрать главу

La comtesse hocha la tête comme quelqu’un qui est bien décidé, tandis que Crébillon disait:

– Laissez dire, madame… Les paroles comme les larmes sont parfois un soulagement…

– Vous avez raison, monsieur… ce me sera un soulagement immense de pouvoir découvrir mon âme devant deux hommes d’esprit et de cœur.

Les deux hommes s’inclinèrent.

La comtesse reprit:

– Vous disiez tout à l’heure qu’on m’avait dépeinte à vous et sans doute calomniée… On vous a donc parlé de moi?…

– Oui, madame, je l’avoue… mais…

– Oh! rassurez-vous, je ne vous demande pas le nom de la personne qui vous a parlé de moi… ce nom, au surplus, je crois le connaître… Est-ce la même personne qui vous a dit mon vrai nom et… ce que j’avais été?…

– La même, oui, madame, répondit d’Assas qui tout aussitôt ajouta vivement:

Cette personne aurait-elle menti?

– Non, pas sur ce point-là… Je sais bien ce qu’on vous a dit que j’étais, répondit Juliette en baissant la tête… Mais si on vous a dit que j’étais pour quelque chose dans la séquestration de Mme d’Étioles, on a menti… Je n’ai rien fait, je vous le jure, contre cette jeune femme, si ce n’est de prendre sa place dans la petite maison du roi… cela et une… méchante action que j’ai commise il y a deux jours, et que je vous confesserai, voilà les deux seules choses que j’aie à me reprocher; encore, de ces deux choses, tout au moins êtes-vous le dernier qui puisse me reprocher la première puisque, en prenant sa place, j’ai empêché Mme d’Étioles de devenir ce que je suis devenue… Me croyez-vous?…

– J’attends… répondit évasivement d’Assas qui, malgré toute la pitié qu’il ressentait pour cette jeune femme, répugnait à un mensonge.

– Vous attendez des preuves, n’est-ce pas?… c’est juste, au fond… pourquoi me croiriez-vous sur parole?…

– Je ne dis pas cela.

– Mais vous le pensez… On vous a dit que je poursuivais Mme d’Étioles de ma haine… que je l’avais fait enlever, séquestrer, que sais-je encore?… tout cela est faux… et la preuve en est que je vais vous dire où elle se trouve…

– Vous feriez cela? dit d’Assas dans une explosion de joie.

– Je ferai cela… pour vous… répondit tristement Juliette.

– Parlez!… parlez vite!…

– Vous l’aimez donc bien? demanda Juliette en fermant instinctivement les yeux devant le coup au-devant duquel elle allait.

– De toute mon âme! répondit d’Assas sans se rendre compte du coup qu’il portait.

– Ah! fit douloureusement la jeune femme en pressant des deux mains son cœur qui bondissait dans sa poitrine.

Crébillon fut pris soudain d’une quinte de toux, comme s’il eût voulu couvrir les paroles de d’Assas et lui faire sentir la cruauté d’une telle franchise.

Juliette s’était remise et, regardant le chevalier avec mansuétude, elle dit simplement avec un accent de maternelle tendresse:

– Pauvre petit!…

– Que voulez-vous dire?

– Vous le saurez toujours assez tôt… Je vous dirai donc où se trouve Mme d’Étioles et vous ne croirez plus ainsi que je suis le bourreau de cette jeune femme, vous verrez ainsi qu’on vous a menti sur ce point-là… Mais avant que vous puissiez comprendre et sinon excuser, du moins atténuer la responsabilité de certains de mes actes, je dois vous dire qui je suis, et comment j’ai vécu jusqu’à ce jour… Peut-être trouverez-vous, quand vous saurez tout, que je suis plus digne de pitié que de mépris…

– Un mot, je vous en prie, madame… Si on m’a menti sur certains points, on peut avoir menti sur d’autres… Mme d’Étioles est vivante, n’est-ce pas?…

– Oui… cela, je vous l’affirme.

– Vivante et… bien portante?…

Avant de répondre à cette question, la comtesse regarda attentivement le jeune homme comme pour s’assurer qu’il aurait la force de supporter le coup qu’elle allait être forcée de lui porter.

D’Assas vit parfaitement cette hésitation et sentit le frisson de l’angoisse l’étreindre.

D’une voix étranglée, il interrogea:

– Elle est malade?… dangereusement peut-être… parlez… je suis fort.

– Mme d’Étioles en effet est malade… gravement malade… répondit enfin Juliette.

– En danger de mort peut-être? dit d’Assas, voyant qu’elle hésitait et devinant d’instinct qu’elle voulait le ménager.

– Non, dit vivement Juliette, plus maintenant… mais son état est grave… il exige des soins assidus, des précautions minutieuses… Une émotion dans l’état où elle se trouve pourrait la tuer net… néanmoins le docteur espère la sauver maintenant… mais elle sera longtemps à se remettre…

– Ah! fit d’Assas d’une voix rauque… Enfin, pour le moment, tout péril imminent a disparu?…

– Elle est en bonne voie… et s’il ne se produit aucun incident, aucune complication, elle est sauvée… Je vous jure que je vous dis la vérité.

– C’est bien, je vous crois… Oui, je vois que vous êtes sincère… et bien que les nouvelles que vous me donnez ne soient pas précisément ce que je voudrais qu’elles fussent… je vous remercie du sacrifice que vous faites… je vous remercie des ménagements que vous avez mis à me communiquer cette nouvelle douloureuse… Encore un mot, je vous prie… je vous tiendrai quitte après… l’état dans lequel se trouve Mme d’Étioles ne proviendrait-il pas de mauvais traitements?…

– Non, non, dit vivement Juliette, ne croyez pas cela… Mme d’Étioles a été traitée avec tous les égards qu’elle méritait…

– Peut-être alors la séquestration qu’on lui imposait…

– Ce n’est pas cela non plus… Elle n’a pu se rendre compte de rien… le mal l’a foudroyée pour ainsi dire.

– C’est donc un mal subit qui s’est abattu sur elle?

– Je vous l’ai dit… un mal foudroyant.

– Résultat d’une émotion violente? dit à son tour Crébillon.

La comtesse fit de la tête un signe affirmatif. Ce geste fut accompagné d’un coup d’œil expressif comme pour dire au poète qu’elle ne s’expliquait pas plus clairement afin d’éviter une douleur cuisante au jeune homme.

D’Assas, plongé dans des réflexions douloureuses, n’avait rien remarqué, et poursuivant son idée il demanda encore une fois:

– De quand date cette maladie foudroyante?…

– Mme d’Étioles a été terrassée par le mal le lendemain du jour où vous l’avez quittée.

– Ah! fit d’Assas dont l’œil s’illumina soudain, est-ce que…?

Juliette devina ce qu’il pensait et, pour la deuxième fois, elle murmura avec un accent de commisération profonde: