Peut-être serait-il plus prudent de déguerpir… et de déménager tout doucement, jusqu’à ce que j’aie des nouvelles de d’Assas que je ne puis abandonner ainsi… En attendant, me voilà tout seul et ne sachant que faire… mordieu!…
À ce moment même la porte s’ouvrit encore une fois et Jean fit une entrée discrète.
Nous laisserons l’adroit et fidèle valet de Saint-Germain expliquer au poète comment il avait mené à bonne fin la tâche qu’il avait assumée de faire fuir le chevalier et nous suivrons le comte et sa pseudo-femme, après avoir expliqué toutefois, en quelques mots, l’intervention soudaine de du Barry accompagné d’une troupe de soldats chargés d’arrêter d’Assas.
XXV TROIS ASSOCIÉS
Lorsque le jardinier de la petite maison des Quinconces, Gaspard, avait été congédié par la comtesse se trouvant soudain en face de d’Assas et de Crébillon, il avait rencontré la soubrette Nicole qui, par hasard avait éprouvé, elle aussi, le besoin de prendre l’air dans le jardin.
Sous le coup de l’effarement produit par cet événement extraordinaire, le brave jardinier, sans réfléchir, sans songer à mal, d’ailleurs adroitement interrogé par la camériste, avait complaisamment raconté, avec force détails, l’intrusion soudaine et imprévue de ces deux inconnus qui fuyaient si précipitamment devant les soldats du roi.
La rusée fille de chambre s’était aussitôt dissimulée derrière les arbres et avait assisté de loin à toute la scène, rapide d’ailleurs, qui s’était déroulée entre sa maîtresse et ces deux inconnus.
Au jeu des physionomies, elle avait deviné une partie de ce qui se disait et, en tout cas, parfaitement compris la signification des gestes lorsque le poète signalait l’approche de la troupe qui passait au galop devant la porte.
Qui étaient ces deux inconnus?
L’espionne ne le soupçonnait pas, mais elle comprenait parfaitement qu’ils étaient poursuivis, qu’ils adjuraient celle qu’elle était chargée de surveiller de ne pas les livrer et que celle-ci accédait à leur prière ou à leurs menaces, puisqu’elle ne leur ouvrait la porte qu’après que le galop de la troupe lancée à leur poursuite s’était perdu au loin.
Voyant là un événement bon à signaler et susceptible de lui rapporter une somme rondelette, car celui qu’elle continuait à prendre pour un paisible bourgeois, M. Jacques, payait royalement, elle avait opéré une prudente retraite et était rentrée dans l’intérieur du pavillon avant sa maîtresse.
Puis, prétextant une commission à exécuter, elle s’était rendue tout droit à l’herboristerie du Pavot d’argent et avait demandé M. Jacques, à qui elle avait raconté tout au long ce qui venait de se passer.
Celui-ci, qui l’instant d’avant avait quitté le comte du Barry amené, comme on sait, dans cette même droguerie, informé d’autre part des recherches que l’on effectuait en vue de ressaisir le chevalier en fuite, n’avait pas eu beaucoup de peine à deviner le nom de ce fugitif que la comtesse venait de laisser échapper.
Quant à ce personnage qui accompagnait d’Assas, M. Jacques ne devinait pas qui il pouvait être et, au reste, cela lui importait peu.
Vivement contrarié de voir que la comtesse s’opiniâtrait dans son amour et continuait de le trahir malgré tous ses efforts pour l’amener à suivre docilement ses instructions, le ténébreux personnage avait aussitôt dressé son plan, donné ses ordres, et congédié la délatrice avec des instructions précises.
Lorsque la comtesse du Barry se fit habiller pour se rendre auprès de d’Assas, Nicole la suivit de loin, la vit entrer dans l’hôtellerie et se rendit tout droit ruelle aux Réservoirs signaler la maison où venait d’entrer sa maîtresse.
Aussitôt le comte s’était rendu au château, où des instructions étaient données sans doute en prévision de cet événement, car il obtint sans difficulté de diriger cette expédition.
Et voilà comment, M. Jacques ayant deviné que si la comtesse connaissait la retraite de d’Assas elle ne résisterait pas au désir de le voir, et s’étant dit qu’ainsi, par elle, il mettrait la main sur le fugitif, le comte du Barry avait pu, accompagné de soldats, envahir l’hôtellerie de Crébillon.
Malheureusement pour lui, Jean faisait bonne garde, il avait vu poindre la troupe qui paraissait se diriger vers leur demeure et tout aussitôt avait donné l’alarme.
Ces explications données, revenons au comte et à la comtesse du Barry.
En descendant l’escalier de l’hôtellerie, du Barry, qui paraissait en proie à une colère froide, terrible, avait dit sur un ton impérieux, à sa compagne:
– Enveloppez-vous de votre mante et baissez soigneusement le capuchon… que nul ne puisse vous reconnaître pendant le trajet que nous allons effectuer.
Sans trop savoir ce qu’elle faisait, celle-ci avait obéi à cet ordre et suivi docilement son guide.
Elle se demandait encore comment du Barry avait été renseigné et comment il était arrivé si inopinément que c’était vraiment un miracle que d’Assas eût pu échapper.
Elle éprouvait une douleur atroce à la pensée que celui-ci, trompé par les apparences, avait fui en emportant cette conviction qui paraissait plausible d’une complicité de sa part dans cette apparition aussi soudaine qu’imprévue de gens chargés de l’arrêter.
Et elle se disait que toutes les apparences étaient contre elle, qu’elle ne pouvait lui en vouloir, qu’à sa place elle eût pensé comme lui et suspecté à juste raison l’auteur d’une démarche interrompue si brusquement et d’une façon aussi dangereuse pour celui auprès de qui elle était faite.
Et elle se demandait ce qu’elle pourrait dire et faire plus tard pour se disculper.
Ainsi plongée dans ses pensées, elle suivait le comte sans se rendre compte du chemin qu’elle faisait.
Ce ne fut qu’arrivée à destination qu’elle s’aperçut que son compagnon l’avait conduite dans la maison de la ruelle aux Réservoirs, alors qu’elle pensait qu’il allait la reconduire dans la petite maison des Quinconces.
Elle fut surprise, mais non inquiète…
Quelle crainte pouvait-elle avoir?
Que pouvait-on tenter contre elle?
Elle se savait indispensable.
En effet, qu’on la fît disparaître ou qu’elle se retirât volontairement de la lutte, et tout croulait pour du Barry comme pour M. Jacques.
Elle pensait donc non sans raison qu’elle était à l’abri de toute violence parce qu’on avait trop besoin d’elle, et la mort, au surplus, ne l’effrayait pas, tant elle avait de douleur et de désespoir au fond du cœur.
Mais si elle supposait qu’on ne tenterait aucune violence à son égard, elle comprenait en revanche qu’elle allait essuyer un rude assaut et, sans doute, être durement réprimandée par le comte ou, ce qui l’effrayait davantage encore, par M. Jacques.
Non pas qu’elle eût vis-à-vis de ce maître la même terreur, la même crainte superstitieuse qu’elle avait précédemment…
Mais elle ne se sentait pas assez sûre d’elle-même, elle ne se sentait pas suffisamment affermie dans ses résolutions.
Et, ayant appris à connaître la force de persuasion de ce terrible maître qui broyait une âme et façonnait une volonté à sa guise, elle craignait que par des moyens inconnus il n’arrivât à la persuader, à la faire renoncer à ses projets et à la ramener docile et obéissante dans la voie où il la voulait.