– Peu importe, après tout. Gardez votre manière de voir et gardez-là si bien qu’on n’en entende plus parler. Répondez donc simplement aux questions que j’ai encore à vous poser.
D’Assas s’inclina. Il sentait de la haine dans l’attitude et l’accent de ce roi qu’il venait sauver.
– Qui vous a prévenu du danger que je courais? reprit Louis XV.
Le chevalier garda le silence.
– Eh bien! monsieur… m’avez-vous entendu? le danger, l’avez-vous découvert tout seul?
– Non, Sire: je n’ai rien découvert, moi.
– Vous êtes donc envoyé par quelqu’un?…
– Oui, Sire. Par quelqu’un qui m’a supplié de courir au château sur l’heure même, pour sauver le roi… et qui m’a supplié avec des larmes dans les yeux… quelqu’un qui mourrait sans doute si un malheur vous arrivait!
Le roi tressaillit.
Ces paroles, le ton mélancolique avec lequel elles furent prononcées, la loyauté qui éclatait sur le noble front du chevalier, la tristesse dont son regard était empreint, tout cela lui donna le sentiment confus de son injustice.
Mais ce sentiment dura peu.
La jalousie furieuse qui grondait dans le cœur de Louis XV l’emporta.
– Quelle est cette personne qui s’intéresse si fort à moi? demanda-t-il.
– Pardonnez-moi, Sire. Votre Majesté m’en demande plus que je n’ai promis! Je me suis engagé à prévenir le roi qu’un danger grave, imminent, le menaçait et qu’il ne doit plus jamais retourner à la maison des quinconces. Je n’ai pas pris d’autre engagement. Je m’en tiendrai là!
Le roi fit un pas vers d’Assas.
– Et moi, dit-il, j’exige le nom de cette personne!…
– Le roi peut faire de moi ce que bon lui semblera: mais ce n’est pas moi qui prononcerai ce nom!
– C’est donc moi qui le prononcerai! fit violemment Louis XV. La personne qui vous envoie, c’est Mme d’Étioles!
La foudre tombée aux pieds de d’Assas ne lui eût pas causé une plus douloureuse stupéfaction.
Il demeura interdit, tout pâle, se demandant comment le roi pouvait savoir un pareil détail!
Non, il n’avait pas voulu dire qu’il était l’envoyé de Jeanne!
Cela était au-dessus de ses forces!
Qu’avait-il promis, en effet?
De sauver le roi, de le prévenir – rien de plus!
Prononcer le nom de Jeanne, n’était-ce pas lui dire:
– Voyez à quel point elle vous aime!… Et faut-il que je sois assez à plaindre pour que moi, moi qui l’adore, moi votre rival, je vous dise cela!…
Et le roi savait ce qu’il n’avait pas voulu dire!…
Et c’était lui qui jetait ce nom!…
La stupéfaction du chevalier devenait ici plus intense: en effet, ce n’était pas avec de l’amour et de la reconnaissance que le roi venait de prononcer le nom de Jeanne!
C’était avec de la haine!
Ou, tout au moins, il y avait une sourde menace dans son accent.
– Ah! ah! reprit le roi satisfait de l’effet qu’il avait produit et persuadé qu’il écrasait le chevalier, cela vous étonne que je sache déjà la chose?… Vous voyez que si votre manière à vous de servir le roi vous paraît la meilleure… l’autre manière, celle des policiers… a du bon également, puisqu’elle me permet de savoir ce que vous refusiez de me dire!
Et voyant que d’Assas gardait le silence:
– Voyons, monsieur, est-ce que je me trompe? Est-ce bien Mme d’Étioles qui vous envoie?
D’Assas s’inclina: il ne voulait pas mentir.
– Bien! reprit Louis XV. Il me reste à savoir à quel mobile Mme d’Étioles a obéi en vous envoyant… en me faisant parvenir ce message… singulier.
D’Assas commença à entrevoir un abîme.
Il trembla, non pour lui, mais pour Jeanne.
Dès lors, il oublia sa jalousie.
– Sire, dit-il avec étonnement, j’entends vos paroles et je ne les comprends pas!… Vous me demandez pourquoi Mme d’Étioles a voulu vous sauver?…
– Non pas, monsieur! Ne confondons pas! Je vous demande pourquoi Mme d’Étioles veut m’empêcher de retourner là où elle devait m’attendre!
– C’est la même chose, Sire!…
– C’est votre avis, non le mien! Parlez donc, monsieur! Répondez, si vous l’osez!
– Si je l’ose! gronda le chevalier en fixant sur le roi un regard flamboyant. Que soupçonne Sa Majesté?…
– Par la mordieu! cria le roi en frappant la table de son poing, voilà que vous m’interrogez maintenant au lieu de répondre! Sur la route de Versailles, monsieur, j’ai cru que vous étiez fou! Aujourd’hui je me demande si vous ne vous moquez pas de moi! Ça! parlerez-vous!… Vous vous taisez!… Eh bien, soit!… Comme je vous ai dit le nom, je vous dirai le reste!… Mais cela vous coûtera cher!
– Jeanne! Jeanne! songea le chevalier avec un héroïque sourire, tu as voulu sauver le roi, mais tu ne savais pas qu’en même temps tu me perdais!
– C’est bien simple, continua le roi avec un furieux éclat de rire. Le roi devait venir dans la maison des quinconces, on a trouvé plaisant de le jouer et de recevoir à sa place un autre amant… vous, monsieur!… Ou bien encore, la dame aura été retrouver son amant à quelque rendez-vous! Et pour que le roi ne s’aperçoive pas de son absence, on invente un danger, on tâche de persuader à ce pauvre roi qu’il ne doit pas essayer de pénétrer dans la maison!… Et qui donc a l’audace de se charger de jouer la comédie jusqu’au bout?… L’amant lui-même!… Vous, monsieur!…
D’Assas voulut protester…
La voix de Louis XV, d’abord tremblante d’une sorte d’indignation concentrée, avait de plus en plus élevé son diapason. Et elle éclata, furieuse, lorsqu’il acheva par ces mots:
– Vous et Mme d’Étioles, vous vous êtes trompés: on ne se joue pas impunément du roi de France! Et vous allez vous en apercevoir tous les deux… vous d’abord, elle ensuite!… Holà!…
À ce cri, deux portes s’ouvrirent.
D’Assas effaré, épouvanté de ce qu’il comprenait, vit des gardes à chacune d’elles.
Avant qu’il eût pu faire un geste, prononcer un mot, le roi avait tourné le dos et s’était élancé dans sa chambre.
À la place du roi, le chevalier aperçut devant lui le capitaine des gardes qui, très poliment, lui disait:
– Veuillez me remettre votre épée, monsieur…
Alors une sorte de rugissement monta aux lèvres de d’Assas. Une minute, une sorte de coup de folie envahit son cerveau. La pensée lui vint de résister, de se faire tuer sur place…
Tout serait ainsi fini!…
L’idée de se disculper, et surtout de disculper Jeanne, de la sauver de l’effrayant péril qu’il entrevoyait pour elle, le retint seule.
Il tira lentement son épée et la remit au capitaine qui la prit, en disant:
– Veuillez me suivre, chevalier.
Quelques gardes, aussitôt, entourèrent d’Assas.
La petite troupe se mit en marche le capitaine en tête.
On longea de longs couloirs on monta des escaliers; finalement, une porte s’ouvrit, d’Assas entra et vit une chambre assez grande et convenablement meublée…