Cette pensée lui faisait courir des frissons le long de l’épiderme.
Du Barry l’avait fait entrer dans le pavillon du milieu, celui qui était occupé par M. Jacques et où nous n’avons eu que rarement l’occasion de pénétrer.
Après avoir traversé une antichambre déserte et simplement garnie de quelques sièges, le comte l’avait fait entrer dans une pièce assez spacieuse et élégamment meublée.
Cette pièce possédait une vaste fenêtre dont les rideaux étaient soigneusement tirés et, en outre de la porte par où ils venaient de pénétrer, presque en face, une portière rabattue dissimulait une porte qui donnait dans une autre pièce ainsi masquée.
Le comte, après avoir fermé la porte derrière lui, lui fit signe de s’asseoir, et elle eut un soupir de soulagement en constatant que celui en face de qui elle craignait de se trouver, M. Jacques, n’y était pas.
Mais à peine s’était-elle assise que la portière dont nous avons parlé se soulevait et que M. Jacques entrait paisiblement.
M. Jacques s’approcha d’un pas égal et lent, s’assit confortablement, sortit sa tabatière de sa poche, huma une prise et, de l’œil, interrogea du Barry qui, en réponse à cette question muette, répondit avec une rage concentrée:
– Rien, monseigneur.
D’un coup sec, M. Jacques ferma la tabatière avec laquelle il jouait machinalement.
Ce fut, d’ailleurs, la seule manière dont se manifesta sa contrariété, et il demanda avec un calme absolu:
– Êtes-vous arrivé trop tard?… Ou bien nos renseignements étaient-ils inexacts?
– Je ne saurais dire… Suivant vos instructions je n’ai posé aucune question à madame… Quant au reste, j’ai vainement fouillé de fond en comble la maison signalée… C’est à n’y rien comprendre.
– Bien! fit M. Jacques, qui, se tournant alors vers la comtesse, lui dit avec beaucoup de calme et d’un air presque dégagé, comme s’il n’eût attaché aucune importance à ce qui venait de se passer:
Eh bien, mon enfant, malgré mes avertissements réitérés, malgré mes conseils salutaires, malgré tout enfin, vous avez donc voulu revoir ce petit d’Assas?
– Oui, monsieur, répondit Juliette avec fermeté et résolution.
– Vous avouez!… dit du Barry pâle de colère.
Juliette le toisa d’un air méprisant et, sans lui répondre un seul mot, fit pirouetter le fauteuil dans lequel elle était assise, de manière à lui tourner complètement le dos, manifestant ainsi clairement sa ferme résolution de ne pas discuter avec cet allié de la veille qu’elle considérait maintenant comme un adversaire.
En même temps, elle faisait face à M. Jacques, résolue à lutter énergiquement et au besoin à prendre une vigoureuse offensive.
– Madame… hurla le comte exaspéré par cette impertinente attitude.
Mais un froncement de sourcils du maître calma cette colère comme par enchantement et arrêta sur ses lèvres la menace prête à jaillir.
– Vous avez, il y a quelques jours, reprit M. Jacques toujours impassible en s’adressant à la jeune femme, vous avez laissé fuir ce d’Assas qui s’était introduit chez vous pour échapper à ceux qui le poursuivaient…
– Vous savez cela? demanda Juliette avec un calme parfait.
– Je vous ai déjà dit une fois que je savais tout… Vous avez commis là, mon enfant, une lourde faute.
– Il fallait donc le livrer alors qu’il s’était réfugié chez moi?…
– Oui! dit nettement M. Jacques… On se débarrasse d’un ennemi dangereux par n’importe quel moyen…
– M. d’Assas n’est pas mon ennemi.
– C’est le nôtre, dit du Barry qui ne se possédait plus et que la colère étouffait.
– Le vôtre peut-être, reprit froidement la comtesse, mais vos ennemis ne sont pas les miens.
– Le pacte qui nous lie, reprit violemment du Barry, vous impose de considérer comme…
Pour la deuxième fois M. Jacques intervint et, interrompant le comte, il dit:
– Vous avez aggravé cette première faute en essayant de revoir celui que vous aviez laissé échapper… Si cette démarche, que vous avez tenté inconsidérément, je veux le croire, venait à être connue du roi, tout serait perdu…
– Eh! que m’importe!
– Mais il nous importe beaucoup à nous, dit du Barry qui ne pouvait se maîtriser.
La comtesse haussa dédaigneusement les épaules.
– Si encore vous aviez réussi à trouver ce d’Assas, reprit M. Jacques toujours aussi calme que du Barry était exaspéré, mais non… le comte a vainement fouillé la maison sans le trouver… Vous vous êtes donc exposée inutilement…
– Qu’en savez-vous?
– Auriez-vous vu le petit chevalier?
– Oui, dit nettement Juliette en le regardant bien en face. M. Jacques jeta sur du Barry un coup d’œil qui fit frémir celui-ci malgré toute son audace.
– Cette femme ment assurément, dit-il… J’ai fouillé minutieusement la maison et je réponds…
– Cela prouve, dit Juliette avec un calme déconcertant, que celui que vous cherchiez n’y était plus… tout simplement.
– Ah! je vais… dit le comte simplement.
La comtesse encore une fois haussa les épaules.
M. Jacques, qui ne la quittait pas des yeux, dit:
– Inutile, mon cher comte, il doit être loin maintenant…
– En effet, reprit froidement Juliette, vous perdrez inutilement votre temps… M. d’Assas est maintenant à l’abri…
– Mais enfin, reprit M. Jacques, qu’espérez-vous de ce d’Assas… après l’accueil qu’il vous a fait une fois déjà.
– Je n’espère rien… Je l’aime…
– Aimez qui bon vous semble, interrompit encore du Barry, mais observez les conditions du contrat qui nous lie… si vous voulez que nous les observions de notre côté… et la première de ces conditions est l’obéissance passive aux ordres qui vous sont donnés…
– J’aime M. d’Assas, reprit imperturbablement la jeune femme, et je ne veux pas qu’on touche à un cheveu de sa tête… je ne veux pas qu’il soit inquiété d’aucune façon…
– Vous ne voulez pas? dit lentement M. Jacques en appuyant sur chaque syllabe.
– Je ne veux pas, répéta de nouveau Juliette en insistant à son tour.
– Ah! fit froidement M. Jacques.
Et, pour se donner le temps de réfléchir, il reprit sa tabatière dans laquelle il puisa machinalement. Puis il reprit:
– Et, dites-moi, quel était le but de votre visite?
– Prévenir M. d’Assas de ce qui se trame contre lui, le mettre sur ses gardes… en lui disant tout.
– Vous avez fait cela? dit M. Jacques dont l’œil lança un éclair.
– Je l’ai fait!…
– Misérable!… hurla du Barry au comble de l’exaspération…
– En sorte, reprit M. Jacques, qu’à l’heure actuelle ce petit d’Assas nous connaît tous…