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– C’est impossible!

– Impossible? se récria Louis, ne pouvant deviner à quel mobile elle obéissait. Impossible?… ah! pardieu! malheur à celui qui osera seulement murmurer… Vous êtes à moi, je vous veux garder moi-même jusqu’à votre rétablissement! Holà! reprit-il en élevant la voix. Il ne viendra donc personne?…

– Hélas! Louis, répéta Jeanne, c’est impossible… j’ai juré…

– Vous avez juré?… fit le roi soudain angoissé; qu’avez-vous juré?…

Jeanne laissa tomber sa tête dans ses mains et pleura silencieusement.

– Vous pleurez?… tu pleures! s’écria Louis éperdu.

À ce moment, un sanglot terrible retentit derrière lui; il se retourna et aperçut un homme, le visage convulsé par la douleur, qui s’avançait en chancelant comme un homme ivre.

C’était d’Assas qui, s’approchant du lit, s’inclina profondément et dit à voix basse:

– Allez, Jeanne, où votre cœur vous dit d’aller… Vous êtes libre… je vous rends votre parole…

L’effort qu’il faisait était surhumain et digne de l’admiration de celle pour qui il se sacrifiait ainsi et qui, néanmoins, tant l’amour est égoïste, laissa échapper un cri de joie entendant ses bras à Louis, s’écria:

– Louis, emmenez-moi… emmenez-moi! Mais, Louis, regardez cet homme, ne soyez plus jaloux, mon roi, c’est mon frère et… vous lui devrez votre bonheur.

Louis se retourna alors vers d’Assas:

– Je sais, monsieur, que nous avons des torts à réparer à votre endroit… nous avons été injustes, sur la foi de rapports mensongers… Nous rachèterons tout cela. Vous êtes capitaine aux gardes, je crois?…

– Cornette, Sire, cornette au régiment d’Auvergne.

– Vous faites erreur, monsieur, j’ai dit capitaine aux gardes… Allez, capitaine, et envoyez-nous du monde.

D’Assas, égaré, fou de douleur, sortit en chancelant, suivi par un regard reconnaissant de celle à qui il venait de se sacrifier.

Il allait sortir, oubliant la commission dont le roi l’avait chargé, mais Noé Poisson, qui avait fidèlement suivi et reconnu, avec des yeux stupides d’étonnement, Jeanne dans les bras du roi, Noé n’eut garde d’oublier et, quelques instants plus tard, Jeanne, transportée dans un carrosse, se dirigeait vers le château, escortée par la troupe et ayant Louis à ses côtés, la main dans la main.

ÉPILOGUE

Notre intention étant d’écrire une page de la jeunesse de celle qui fut la Pompadour, notre tâche se trouve terminée.

Nous devons cependant quelques explications à nos lecteurs au sujet de certains de nos personnages.

M. Jacques, on s’en souvient peut-être, avait chargé de Bernis de surveiller Damiens et de lui arracher son secret.

De Bernis avait, par des moyens personnels et secret appris que le roi était plus épris de Mme d’Étioles qu’il ne voulait le laisser voir, et s’était dit que celui qui arriverait à réunir ces deux amoureux aurait sa fortune assurée.

Il n’hésita pas à trahir une seconde fois son maître et, avec une habileté incomparable, sut mettre en avant Damiens à qui il donna tous les renseignements utiles et révéla tous les secrets de la mystérieuse retraite.

Damiens, emporté par sa sauvage passion, dévoré d’un besoin ardent de sacrifice, n’hésita pas et marcha bravement de l’avant.

Grâce à la protection occulte de de Bernis qui lui aplanit les obstacles, il réussit à approcher Louis XV à qui il révéla tout le complot dont Mme d’Étioles était la victime, le lieu de la retraite où on la séquestrait et l’état où elle se trouvait.

Le roi, devant les preuves qu’on lui donnait, comprit qu’il avait été berné en même temps qu’il sentait son amour qu’il croyait mort se réveiller plus vivant que jamais.

On a vu à quelle résolution il s’était arrêté.

De Bernis avait admirablement réussi.

Jeanne, devenue marquise de Pompadour, après l’avoir fait nommer ambassadeur à Venise, en fit plus tard un ministre d’État.

Quant à Damiens, il s’effaça et disparut, cachant en lui son amour pour Jeanne et sa haine violente contre le roi. Il fut écartelé en 1757, pour avoir donné un coup de canif au roi, ce que Voltaire devait appeler «une piqûre d’épingle».

Henri d’Étioles vit tous les plans qu’il avait laborieusement échafaudés s’écrouler.

Il dut consentir à une séparation de corps et se contenter d’une ferme générale.

M. de Tournehem, aveuglé par son amour paternel, accepta de devenir quelque chose comme le surintendant de sa fille.

M. Jacques, fortement compromis et voyant sa qualité percée à jour, dut se réfugier auprès de son protecteur, Frédéric de Prusse.

Noé Poisson, ivrogne crapuleusement inconscient, fut couvert de pensions et de titres, et devint seigneur de Marigny.

La fausse comtesse du Barry, redevenue ce qu’elle était en réalité Juliette Bécu, se réfugia avec une petite fortune dans son pays natal, emportant avec elle son amour pour d’Assas, heureuse et fière de l’amitié fidèle et dévouée que lui témoignait le chevalier.

Crébillon accepta un logement au Louvre et une place de bibliothécaire.

La marquise de Pompadour paya l’édition définitive des œuvres du poète, dont elle grava elle-même les frontispices.

Berryer devint ministre de la Marine.

Quant à d’Assas, après avoir refusé titres, grades et emplois, il partit rejoindre son régiment avec son grade de cornette.

Il devait être tué à l’affaire de Clostercamp, pendant les guerres du Hanovre.

Il ne fut d’ailleurs pas seul, car le sergent Dubois, inconnu de la masse, cria avec lui et tomba à ses côtés.

Du Barry, tombé à la plus dégradante débauche, devait reparaître plus tard, ayant épousé une fille publique qui devint la du Barry, favorite du roi, et gouverna la France.

Quant à Jeanne, après avoir consenti aux plus basses et plus dégradantes besognes, pour assurer son empire sur Louis, elle finit emportée par une maladie d’estomac qui ne lui laissa pas un instant de répit pendant ses dernières années.

Le jour de son enterrement, il pleuvait.

Louis XV, derrière une vitre, voyant la pluie tomber, dit:

– Mme la marquise aura aujourd’hui un bien mauvais temps pour son voyage.

Ce fut là l’oraison funèbre que ce roi sec, égoïste et corrompu trouva pour celle qui avait été sa compagne.