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– Sa Majesté et son valet de chambre! fit M. Jacques dans un souffle.

Jeanne frissonna longuement…

L’un des deux hommes s’arrêta, puis, retournant sur ses pas, se perdit dans l’ombre des arbres.

L’autre, vivement, s’approcha de la porte et saisit le marteau qu’il laissa retomber deux fois.

M. Jacques saisit une main de Jeanne et murmura:

– Regardez!… C’est le roi!…

Et il s’apprêtait à saisir la jeune femme, à lui mettre la main sur la bouche pour l’empêcher de crier.

Mais Jeanne ne faisait pas un mouvement.

Seulement, elle avait d’un geste machinal retiré son loup…

Déjà Louis XV avait disparu dans la maison. La porte s’était refermée.

Et Jeanne, la tête baissée, pleurait… pleurait… son beau rêve d’amour pur et chaste à jamais évanoui…

Elle souffrait atrocement.

Oui! c’était le roi!… c’était le Bien-Aimé!… C’était lui qui était entré là!…

Elle avait vu son visage un instant. Mais n’eût-elle pas aperçu ses traits, qu’elle l’eût encore reconnu, rien qu’au pas, à la démarche, à l’attitude!…

C’était fini!…

Une plainte d’enfant malade vagissait doucement sur ses lèvres.

– Êtes-vous convaincue?…

– Emmenez-moi, bégaya-t-elle, oh! emmenez-moi… je souffre trop!…

– Venez donc!… Car nous avons à causer!…

Il reprit son bras. Elle voulut le suivre…

Mais alors, il lui sembla que sa force l’abandonnait… que la terre se dérobait sous ses pas… et, levant vers cet inconnu qui venait de lui faire tant de mal le regard douloureux de la biche aux abois, elle s’évanouit dans ses bras…

M. Jacques tira un sifflet de son sein et jeta dans le silence un appel assourdi…

Quelques instants plus tard, une voiture qui s’était tenue dissimulée sous les arbres, à une centaine de pas, s’approcha doucement…

M. Jacques y déposa Jeanne évanouie et y monta lui-même…

Une demi-heure après cette scène, Jeanne reposait dans un grand lit… au fond du mystérieux pavillon de la maison de la ruelle aux Réservoirs…

Près d’elle veillait la fille de chambre.

Et, à quelques pas du lit, sur une table, M. Jacques préparait soigneusement une potion calmante.

La malheureuse jeune femme avait la fièvre…

Elle délirait… des paroles entrecoupées venaient à ses lèvres brûlantes.

Et à travers ses paupières fermées, sur son visage pourpre, les larmes continuaient à couler lentement…

IV L’ÂME D’UN POÈTE

Nous laisserons maintenant ces divers personnages dans les situations respectives auxquelles ils ont été amenés: c’est-à-dire que le roi et Juliette Bécu – la fausse comtesse du Barry – continuent le duo d’amour si étrangement commencé; le chevalier d’Assas est prisonnier au château de Versailles; le comte du Barry, revenu de son magnétique sommeil, se demande ce qui lui est arrivé; Jeanne lutte contre le délire; et M. Jacques, enfin, attend à son chevet le moment où il pourra continuer son œuvre…

Et nous prierons le lecteur de vouloir bien nous accompagner à Paris où les faits et gestes de divers autres personnages qu’il n’a pas oubliés, sans doute, sollicitent toute notre attention: nous voulons parler de M. de Tournehem, d’Henri d’Étioles, de Damiens, d’Héloïse Poisson…

Et enfin, des deux inséparables qui avaient nom: Crébillon et Noé Poisson.

Si le bienveillant lecteur y consent, c’est justement à ces deux dignes amis que nous avons affaire pour le moment.

Donc, que devenaient Noé Poisson et Crébillon depuis l’enlèvement de Jeanne?

Lorsque le carrosse emportant Mme d’Étioles au trot de ses deux vigoureux chevaux se fut ébranlé vers la route de Versailles, Noé Poisson, pâle, mais fier d’avoir aidé à sauver celle qu’il appelait sa fille, avait dit à son ami Crébillon:

– La voilà sauvée!… Ouf!… Nous avons eu du mal!…

Le poète avait murmuré:

– Sauvée? Qui sait?…

Puis il était rentré dans son logis après avoir échangé une poignée de main avec son ami Poisson.

Ce dernier, calme et tranquille comme le dieu de la sérénité, s’était éloigné de son côté.

Pendant quelques jours, le digne Noé se tint en repos dans son taudis de la rue de la Huchette: il avait de l’argent. Mais lorsque l’argent lui fit défaut, il se souvint tout à coup qu’il avait quelque part une femme, sa chère et tendre Héloïse, qui le houspillait un peu plus que de raison, mais qui consentirait peut-être à garnir son gousset vide, ce qui lui permettrait d’étancher la soif qui le talonnait et, par contre-coup, lui rendrait toutes ses idées: en effet, Noé dégrisé ne se sentait plus dans son assiette et broyait du noir avec une persistance qui l’inquiétait fort pour sa santé.

D’ailleurs il n’avait pas revu Crébillon et le poète lui manquait. Et puis… ne fallait-il pas recevoir les félicitations de sa femme? Si sa fille Jeanne était encore vivante, n’était-ce pas à lui, Noé Poisson, à son intelligence, à son initiative, à son activité, qu’elle devait le salut?

Tout cela ne méritait-il pas une récompense? Et quelle plus belle récompense que quelques beaux louis d’or frappés à l’effigie du Bien-Aimé? voire, à défaut, quelques écus?

Et si Héloïse, son acariâtre moitié, se montrait rétive, lui, Noé, irait trouver M. de Tournehem ou M. d’Étioles: que diable! le père et le mari de Jeanne ne refuseraient certes pas quelque reconnaissance monnayée à ce bon Noé qui avait sauvé la femme de l’un, la fille de l’autre.

Telles furent les réflexions de maître Poisson, lorsqu’il s’aperçut qu’il n’avait plus un sou vaillant.

Noé quitta donc la rue de la Huchette, et, sans tituber, étant à jeun, se dirigea incontinent vers le quai des Augustins, c’est-à-dire vers l’hôtel d’Étioles où Héloïse avait élu domicile.

Il fit une entrée qu’il pensait être imposante et majestueuse, ce qui n’empêcha nullement la matrone de lui faire un accueil plutôt rébarbatif: Héloïse, depuis la disparition de Jeanne, était sur les charbons ardents. Elle imaginait toutes sortes de choses, en devinait une partie, mais, en somme, ne décolérait pas.

– Te voilà! s’écria-t-elle, ivrogne, sac à vin! D’où viens-tu? Tu as bu tout ton argent et tu viens en demander d’autre?

Noé se bourra le nez de tabac, se grandit, se gonfla, et répondit, très calme:

– J’ai bu, en effet, tout l’argent que j’avais; mais sachez, madame, que tout ivrogne que je suis, vous me devez de la considération, je dirai même plus, du respect…

– Ouais!… grommela Héloïse, il faut que tu sois à jeun pour tenir des propos aussi dénués de sens.

– Je suis à jeun en effet, avoua en soupirant le triste Noé, mais, je sais néanmoins ce que je dis, ma mie, et je maintiens ce que j’ai avancé. Car enfin ce n’est pas vous, je pense, qui avez arraché notre fille Jeanne au terrible danger qu’elle courait.

Héloïse sursauta… Est-ce qu’elle allait enfin savoir…

– Un danger? fit-elle palpitante. Jeanne?… Que veux-tu dire?…

– Simplement ceci: que Jeanne avait, paraît-il, des ennemis qui en voulaient à sa vie, et que si elle est hors de danger maintenant, c’est à moi Noé Poisson, son père, qu’elle le doit. Voilà!