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Peu à peu il se ressaisit et essaya de voir clair dans la catastrophe qui le frappait.

– Joué!… je suis joué!… grondait-il… Il est évident que le roi n’est pour rien dans l’enlèvement de ma femme… et je suis allé stupidement… Mais alors, si le roi n’a rien à voir dans cette affaire, quel conte ces deux ivrognes sont-ils venus me faire?… Je m’y perds… Pourtant leur attitude était sincère… D’autre part, le roi m’a paru de bonne foi… et puis, s’il était coupable, il n’aurait jamais osé… Alors, que signifie cette histoire d’une intervention de Berryer?… Berryer aurait-il simplement prêté la main à un autre larron?… ce n’est guère probable… et pourtant… Ce qu’il y a de clair, c’est que Jeanne a disparu… et que le roi n’est pour rien dans cette disparition… Mais alors qui?… Oh! je saurai!… je trouverai, dussé-je remuer ciel et terre et jeter l’or à pleines mains… et alors, malheur à celui qui m’a enlevé ma femme… celui-là, je veux le tenir pantelant sous mon talon… Et si tout cela n’était qu’une invention de Jeanne elle-même?… Si Jeanne en aimait un autre?… Si elle était allée librement retrouver celui-là, forgeant cette histoire de Berryer et du roi pour me donner le change?… Oh! alors, malheur à lui! et malheur à elle!… Mais non, je suis fou, Jeanne aime le roi… Alors, quoi?… Oh! je trouverai… je trouverai… Et ce roi, cet insolent Berryer, comme ils se sont joués de moi!… comme ils m’ont écrasé, humilié… Ah! je me vengerai… je me vengerai d’une manière terrible!…

Et un sourire effrayant lui venait aux lèvres, car, songeant à Damiens qui l’attendait sur son ordre, il songeait:

– De ce côté-là, du moins, je tiens ma vengeance!…

Et un geste de menace complétait la pensée de cet homme haineux qui, maintenant maître de lui, échafaudait des plans de campagne, prêt à lutter encore.

Mais son esprit inquiet revenait toujours au ravisseur inconnu de sa femme.

Ah! celui-là!… celui-là!…

D’Étioles voulait bien, – il avait même fait tout ce qu’il avait pu pour cela – que sa femme devint la maîtresse du roi parce que le roi seul pouvait lui donner ce qu’il n’avait pas, ce qu’il désirait par-dessus tout: les honneurs et les dignités…

Mais à un autre, non!… Jamais!…

Et toujours il pensait au misérable qui lui avait ravi cette Jeanne… et il cherchait sans trêve comment il se vengerait de lui… sans rien risquer pour sa précieuse personne.

Nous avons dit qu’il était lâche. Sa lâcheté en cette occurrence s’étalait dans toute sa hideur.

À force de ressasser dans son esprit comment il pourrait se venger sans risques pour lui, un nom finit par lui traverser le cerveau:

D’Assas!…

Eh! oui, parbleu!… le cadet le vengerait… Pardieu! il paierait ce qu’il faudrait pour cela et tout serait dit…

Peut-être même, en y réfléchissant, n’aurait-il pas besoin de délier les cordons de sa bourse pour cette besogne… Non qu’il fût ladre, il était prodigue; mais il se rendait bien compte que le chevalier n’accepterait pas une pareille mission pour tout l’or du monde.

Voilà pourquoi il se disait que ce qu’il ne pouvait espérer de d’Assas en le payant, il l’obtiendrait sans doute pour rien… en rusant.

Oui! oui! tout cela s’arrangeait petit à petit…

Damiens pour le roi et Berryer aussi peut-être…

D’Assas pour l’autre…

Lui-même se chargerait de Jeanne!…

Allons! allons! il n’était pas aussi perdu qu’on voulait le croire, qu’il l’avait cru lui-même!

Avec un peu de patience, de la ruse, de l’astuce et de l’or répandu, il prouverait avant peu qu’il n’était pas à mépriser… qu’il fallait au contraire compter avec lui.

Il allait se mettre à l’œuvre tout de suite.

Et rasséréné, maître de lui, sachant encore une fois ce qu’il voulait et où il allait, il descendit dans la cour de son hôtel.

Sitôt qu’il fut dans son cabinet, il se composa un maintien, et donna l’ordre d’introduire Damiens.

Celui-ci entra, pâle, résolu à tout, et attendit dans une attitude digne, sans morgue comme sans déférence exagérée.

Enfin, d’Étioles leva la tête et regarda la figure ravagée par l’anxiété, les yeux cerclés de bistre, fatigués par les insomnies, et qui sait?… peut-être par les larmes, de celui qui attendait son bon plaisir, et d’une voix doucereuse il dit:

– Asseyez-vous, mon maître, nous avons à causer.

Damiens, sans répondre, prit un siège et s’assit comme on le lui ordonnait.

– Vous savez, fit d’Étioles à brûle-pourpoint, que ma femme a disparu.

Les yeux de Damiens clignotèrent, dénotant l’émotion qui le bouleversait, et d’une voix blanche, lasse, il répondit:

– Oui, monsieur, je sais…

– Mais savez-vous aussi où elle se trouve en ce moment?…

– Non, monsieur! Comment voulez-vous que je sache cela?

– Je vous avais pourtant recommandé de veiller sur elle!…

– C’est vrai, monsieur, mais vos ordres étaient de surveiller madame chez elle!… je ne devais pas quitter l’hôtel et m’y tenir constamment à votre disposition.

– C’est juste, fit d’Étioles… Aussi ne vous ferai-je pas de reproches… Enfin, ajouta-t-il en soupirant et en observant Damiens en dessous, ce qu’il y a de certain c’est qu’elle a disparu. Qu’est-elle devenue?… Où est-elle?…

Il prononçait ces derniers mots comme s’il se fût parlé à lui-même.

– Vous êtes-vous demandé où elle pouvait être? reprit-il.

– Non, monsieur, répondit Damiens rougissant imperceptiblement à ce mensonge.

– Vous n’êtes pas curieux, mon maître, fit ironiquement d’Étioles à qui cette rougeur n’avait pas échappé.

Il ajouta en fixant Damiens:

– Il faudra donc que je vous l’apprenne… Car je ne veux avoir aucun secret pour vous, puisque vous devez connaître un jour toute ma pensée, toutes mes espérances et toutes mes haines!

Damiens tressaillit violemment, mais ne dit rien.

– Eh bien! sachez donc que ma femme a été enlevée… Oui. Et ce que je vous dis, à vous, c’est à peine si j’oserais le répéter à mon propre confesseur!

– Enlevée?… balbutia Damiens.

– Mon Dieu! oui, tout bonnement. En sorte que Mme d’Étioles, en ce moment, file tranquillement le parfait amour… Oh! mais je me vengerai!…

Damiens ne dit pas un mot, mais il devint très pâle. Il fut saisi d’un tremblement nerveux et il était visible que cet homme faisait un effort violent pour se contenir.

– Et le ravisseur vous le connaissez, maître Damiens, c’est ce seigneur que vous avez vu dans le petit salon de l’Hôtel de Ville… c’est le roi… Je vous l’avais bien dit à ce moment que ma femme avait un amant… Je vous avais recommandé de veiller… ah! mon instinct ne me trompait pas…

Et d’Étioles, distillant ses paroles lentement, cacha son visage dans ses deux mains comme s’il avait été accablé par la honte et la douleur.

En réalité, l’astucieux personnage laissait couler entre les doigts un regard aigu, étudiant âprement l’effet produit par ses paroles sur le visage de son confident.

– Vous m’aviez promis de veiller, Damiens, reprit-il après un court silence, et voilà où nous en sommes. Vous m’aviez promis aussi de me venger… Manquerez-vous aussi à cette promesse… comme vous avez manqué de vigilance?…