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Son amour paternel lui criait que sa fille avait besoin de lui, qu’il n’avait pas le droit de faillir à ses devoirs de père, et que, d’ailleurs, il aurait toujours le temps de trancher lui-même une existence qui lui devenait odieuse depuis qu’il était privé du sourire de son enfant… lorsque tout espoir serait irrémédiablement perdu.

Une autre considération l’avait arrêté dans cette voie du suicide où il s’était engagé: il s’était dit que cette douloureuse épreuve qu’il subissait, c’était peut-être le châtiment qui s’appesantissait sur lui, que c’était peut-être là le commencement de l’expiation du crime qu’il avait commis autrefois… et qu’il était puni dans ce qu’il avait de plus cher au monde: son enfant, du lâche abandon dont il s’était rendu coupable envers la mère.

La douleur et le désespoir le rendant quelque peu fataliste, il se disait aussi que ce châtiment était juste et mérité et qu’il n’avait pas le droit de s’y soustraire par la mort.

Mais dans ses longues heures d’angoisse il avait repassé minutieusement tous les événements écoulés depuis le mariage de sa fille. Les moindres faits, le plus petit mot avaient été soigneusement étudiés, et cette conviction qu’il avait, en consentant à ce mariage, fait le malheur de sa fille s’était ancrée, tyranniquement tenace, dans son cœur déchiré d’amers regrets.

Que soupçonnait-il au juste?… Il n’en savait trop rien lui-même.

Qu’avait-il à reprocher à son neveu Henri?… Il ne voyait pas.

Mais un secret pressentiment lui disait que tous les maux de sa fille, et, par conséquent, son malheur à lui, venaient et viendraient de ce mariage.

Jusque-là, le lecteur s’en souvient peut-être, il n’avait eu que de vagues soupçons rapidement étouffés par les assurances de sa fille qui s’appliquait de son mieux à les chasser de son esprit.

Maintenant ses soupçons étaient changés en certitude et il devinait confusément il ne savait trop quelle souterraine trame ourdie contre le bonheur de son enfant… et dont ce mystérieux enlèvement n’était, sans doute, que le premier pas dans la mise à exécution.

Néanmoins, il continuait opiniâtrement ses recherches, toujours sans succès.

Tous les jours aussi, il se rendait à l’hôtel d’Étioles dans l’espoir d’y apprendre enfin du nouveau… et chaque jour amenait une nouvelle désillusion.

C’est ainsi que son neveu Henri, qui suivait à son égard un plan nettement tracé, lui avait appris qu’il s’était, en désespoir de cause, adressé au roi, lequel l’avait reçu très affablement et l’avait renvoyé au lieutenant de police qui, sur l’ordre formel du roi, avait promis de remuer ciel et terre pour retrouver la disparue ainsi que le ou les coupables.

Il faut dire ici que d’Étioles avait hésité un moment, se demandant s’il ne ferait pas bien de pousser son oncle à rendre visite au lieutenant de police, qui n’aurait pu se dérober devant l’importance d’un tel solliciteur.

Mais là où M. de Tournehem ne voyait que pièges et embûches tendus contre le bonheur de sa fille… et peut-être sa vie, d’Étioles, lui, restait fermement convaincu qu’il ne s’agissait que d’une aventure d’amour.

Et il se disait que, dans ces conditions, il saurait bien retrouver tout seul les traces de sa femme et de son ravisseur… Une aide fournie par un homme comme son oncle pouvant devenir une entrave au moment précis où il aurait besoin de toute sa liberté d’action pour tirer du ravisseur et peut-être de Jeanne elle-même la vengeance éclatante qu’il rêvait, il n’avait pas hésité et, sans pitié pour la douleur profonde de cet homme, il l’avait impitoyablement poussé dans de fausses directions, lancé sur de fausses pistes, leurré de chimériques espoirs.

Quant à Héloïse Poisson, qui d’un mot aurait pu rassurer le malheureux père sur le sort de sa fille, elle gardait aussi un silence obstiné, aussi intéressé que celui de d’Étioles, quoique pour d’autres causes.

Depuis qu’elle avait appris de la bouche de Noé que Jeanne avait été enlevée par le roi, elle était sans nouvelles. Elle avait habilement mis en branle toutes les personnes susceptibles de lui apporter un renseignement, mais vainement…

Elle aussi, comme d’Étioles, comme Tournehem, était plongée dans une cruelle indécision et dans des angoisses profondes. Elle se demandait avec un commencement d’inquiétude ce que pouvait bien cacher ce silence persistant de Jeanne, ainsi que cette disparition obstinément prolongée.

Mais elle se rassurait en se disant:

– Bah! les amoureux brûlent leur chandelle par les deux bouts… Ils l’useront ainsi plus vite. Il viendra toujours bien un moment où ils seront las de leur mystérieux tête-à-tête… et alors!…

La matrone se consolait ainsi elle-même et s’efforçait de se raccrocher à cette douce conviction que Jeanne était bien la maîtresse du roi… ce dont elle arrivait à douter parfois quand elle constatait le néant qui couronnait ses recherches et le silence inquiétant de ceux qu’elle s’obstinait néanmoins à appeler les deux amoureux: le roi et Jeanne.

Telle était à peu près la situation d’esprit de ces différents personnages au moment où nous les retrouvons.

M. de Tournehem était, ce jour-là, dans son cabinet, occupé, comme toujours, à se demander quelle démarche il pourrait tenter pour retrouver sa fille lorsqu’un valet vint lui annoncer que M. de Bernis, secrétaire intime de M. le lieutenant de police, sollicitait l’honneur d’être reçu, séance tenante, pour affaire de la plus haute gravité.

Tournehem connaissait vaguement ce Bernis, qui se faufilait dans tous les mondes. Mais peut-être ne l’eût-il pas reçu si la qualité de secrétaire du lieutenant de police, que le visiteur avait déclinée, peut-être sciemment, n’était venue éveiller en lui un secret espoir.

Aussi donna-t-il l’ordre d’introduire immédiatement le visiteur annoncé qui fit son entrée avec cette grâce et cette aisance particulière aux hommes de cour.

Après les compliments d’usage, qui furent d’autant plus longs et cérémonieux que les deux hommes paraissaient s’étudier mutuellement avec une attention soutenue, Bernis se décida à aborder le sujet qui l’amenait, non sans une imperceptible émotion, car le grand air du financier, son mâle et noble visage ravagé par la douleur lui en imposaient malgré lui.

– Monsieur, fit de Bernis, je suis, vous le savez, le secrétaire intime de M. le lieutenant de police, qui veut bien m’honorer d’une confiance telle, qu’il n’a pas de secrets pour moi. Cette situation exceptionnelle me met à même, parfois, d’être utile à mes amis et quelquefois, plus rarement, à quelque galant homme connu seulement de réputation et dont je m’honorerais de devenir l’ami… sans pour cela trahir en rien la confiance de M. le lieutenant de police.

Tournehem s’inclina poliment. Mais le désir ardent qu’il avait de savoir si ce visiteur lui apportait des nouvelles de sa fille, primant toute autre préoccupation, ce fut d’une voix étranglée par l’angoisse et par l’émotion qu’il interrogea:

– M. le lieutenant de police vous envoie-t-il pour m’apporter des nouvelles de mon enfant?… Savez-vous enfin ce qu’elle est devenue?… où elle est?…

– Hélas! non, monsieur, répondit Bernis, qui ajouta vivement, voyant que le père infortuné laissait échapper malgré lui un geste qui signifiait qu’en dehors de son enfant le reste le laissait indifférent: Mais je viens pourtant vous entretenir de votre fille.

– Vais-je enfin apprendre quelque chose? murmura Tournehem.

– Peut-être, monsieur, répondit énigmatiquement Bernis; en tous cas, je vous le répète, c’est de Mme d’Étioles que je vais avoir l’honneur de vous entretenir. De madame et, surtout, de M. d’Étioles, ajouta-t-il lentement et en insistant sur ses dernières paroles.