Выбрать главу

Croyez-moi, monsieur de Tournehem, votre tranquillité, le bonheur de votre fille sont probablement au bout… et peut-être qu’en surveillant étroitement d’Étioles vous retrouverez plus tôt que vous ne croyez votre fille…

– Peut-être avez-vous raison, murmura Tournehem.

Alors, Bernis, le voyant ébranlé, entassa les arguments, les preuves morales, les faits probants pour le convaincre, et parla longtemps… longtemps…

Lorsque Bernis quitta l’hôtel de Tournehem, il avait sans doute réussi à accomplir une tâche difficile, car un sourire de satisfaction errait sur ses lèvres.

D’un pas délibéré il se rendit tout droit rue du Foin où il fut admis immédiatement auprès de M. Jacques.

Celui-ci l’attendait sans doute impatiemment et attachait, sans doute aussi, une grande importance à la démarche de Bernis, car dès qu’il le vit il demanda vivement:

– Eh bien?

– Eh bien, monseigneur, c’est fait!… À partir de ce moment, il ne lâchera pas d’une seconde la personne que vous savez… et je vous réponds que nous avons là un surveillant dont la vigilance ne sera jamais en défaut.

– C’est très bien, mon enfant, je suis content de vous.

Bernis s’inclina respectueusement, attendant de nouveaux ordres.

– Maintenant, mon enfant, reprit M. Jacques, reposez-vous quelques jours, vous l’avez bien mérité… puis ensuite, à l’œuvre… Il faut absolument savoir ce que veut ce Damiens… Je compte sur votre intelligence pour arriver à ce résultat… Moi, je vais m’occuper de nos deux ivrognes… Allez, mon enfant.

Et M. Jacques tendit sa main blanche que Bernis, un genou en terre, effleura respectueusement du bout des lèvres.

Puis, se relevant, il sortit à reculons.

Bernis parti, M. Jacques prit un monceau de notes et de rapports qu’il se mit à étudier attentivement.

XI LA MALADE DELA MAISON DES RÉSERVOIRS

Crébillon se creusait vainement la cervelle à chercher par quel moyen il pourrait pénétrer dans la maison des Réservoirs et s’assurer de visu si la dame malade était bien Mme d’Étioles.

Le prétendu rêve de Noé s’était trouvé conforme à la réalité sur tant de points que le poète avait fini par se persuader que la mystérieuse malade et Jeanne ne pouvaient être qu’une seule et même personne.

Pourtant il pouvait se tromper; l’étrange aventure de l’ivrogne, si rigoureusement exacte sur tant de points, pouvait être fausse sur ce point si important. De là nécessité impérieuse de pénétrer coûte que coûte dans cette maison et de se rendre compte par lui-même de l’identité de cette malade.

Mais comment?… Par quel moyen?… Voilà ce que le poète, malgré tous ses efforts d’imagination, n’arrivait pas à trouver.

Il avait d’abord songé à se présenter lui-même ouvertement, franchement, à la maison des réservoirs, à demander le maître de cette maison et, une fois mis en sa présence, à lui expliquer loyalement qui il était, ce qu’il voulait et ce qu’il attendait de lui. Mais il avait vite rejeté ce moyen très simple en effet, mais aussi très aventureux.

De deux choses l’une: ou bien Jeanne se cachait ou bien on la séquestrait.

Dans le premier cas, ayant ses raisons pour se dissimuler et ne plus donner signe de vie, – et il était évident que ces raisons devaient être capitales, – Jeanne avait dû certainement prendre ses précautions en conséquences et ne se découvrirait pas elle-même… sinon quand elle le jugerait à propos.

Dans le deuxième cas, c’était plus grave: en effet, s’adresser bénévolement à ces inconnus, c’était se livrer naïvement soi-même, les mettre sur leurs gardes, leur donner le temps de prendre telles mesures convenables…

Qui sait même si cette démarche qui paraissait de prime abord si simple ne serait pas un danger pour celle qu’on recherchait?

Qui sait si ces mystérieux personnages, ayant un intérêt puissant à garder leur proie, se sentant devinés, surveillés, ne la feraient pas tout simplement disparaître… pour toujours?…

Décidément le moyen était mauvais dans le premier cas et pouvait être mortel dans le second: il fallait donc y renoncer, trouver autre chose.

La franchise pouvait être dangereuse pour Mme d’Étioles séquestrée; la violence, s’il l’employait, pouvait être fatale à Crébillon et sans profit pour sa protégée… Restait donc la ruse.

Le poète se disait qu’il fallait de toute nécessité pénétrer dans cette maison par ruse… mais comment?…

Cette question demeurait obstinément sans réponse.

Crébillon, cependant, ne restait pas inactif pour cela. Le soir même de ce fameux jour où il s’était rendu compte que Noé n’avait nullement rêvé, il s’était dirigé, à la tombée de la nuit, vers la ruelle et avait minutieusement inspecté les lieux. Il avait vite reconnu qu’une escalade nocturne était pour ainsi dire impossible.

La maison n’avait pas d’autre entrée apparente que celle donnant sur la ruelle; elle était encadrée à droite et à gauche de deux maisons à peu près semblables; le derrière donnait sur un terrain vague qui venait aboutir au mur de la maison.

De ce côté là, pas de portes, pas de fenêtres; deux ou trois ouvertures étroites et basses étaient percées dans la muraille, encore ces ouvertures étaient-elles garnies de deux solides barreaux en forme de croix et situées presque au faîte de la maison. Rien à tenter par là.

Pour entrer il fallait de toute nécessité se ménager des relations dans la place, soit en y achetant une complicité, soit en bernant un des habitants pour en tirer une aide inconsciente.

S’il avait eu vingt ans de moins, Crébillon n’eût pas hésité à courtiser la petite soubrette et à tenter quelque chose de ce côté-là. Mais il s’avouait franchement à lui-même que son âge, sa face luisante de bon ivrogne, ses manières dénuées d’élégance, tout cela lui interdisait formellement d’user de ce stratagème qui eût fatalement abouti à un échec lamentable.

Le seul moyen pratique qui lui restât était donc l’achat d’une complicité. Et, dès lors que l’argent entrait en ligne comme moyen d’action, il retrouvait toute son assurance: le poète était trop philosophe et désabusé pour ne pas savoir que rien ne résiste à ce levier puissant et, d’autre part, il était assuré de trouver, le cas échéant, la somme nécessaire, si considérable fût-elle.

En effet, Crébillon s’était demandé s’il n’était pas de son devoir de mettre M. de Tournehem au courant de ses projets en lui exposant ses soupçons et ses craintes. Mais, après mûre réflexion, il s’était décidé pour la négative.

Non pas qu’il eût, de ce côté, les mêmes répugnances, les mêmes doutes intuitifs qu’il avait eus devant d’Étioles, par exemple. Bien au contraire, le caractère élevé du véritable père de Jeanne lui inspirait une vive et respectueuse sympathie. Mais, connaissant l’immense tendresse qui se dissimulait sous l’abord grave et sévère du financier, il concevait aisément dans quel désespoir immense il devait être plongé, et la crainte d’apporter une fausse joie suivie d’une déconvenue douloureuse l’avait seul arrêté.