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Oui!… Sauver ce roi… cet homme que Jeanne aimait! Le sauver pour qu’elle ne souffrît pas! Prendre pour lui toute la douleur, tout le sacrifice, et ne lui laisser, à elle, que l’amour radieux… Peut-être alors, quand il ne serait plus, vivrait-il dans le souvenir attendri de Jeanne…

Et, le roi sauvé, disparaître! mourir!

Telle fut, ces quelques secondes, la pensée qui se développa dans le cœur de ce jeune homme.

Il se raidit pour dompter l’émotion qui l’étreignit.

Et quand il fut parvenu à affermir sa voix:

– Madame, dit-il, votre attitude me prouve que vous croyez à un grand sacrifice de ma part. Il y a sacrifice, je l’avoue! Je vous aimais. Depuis cette minute adorable et fatale où, sur la clairière de l’Ermitage, j’eus le bonheur de m’interposer entre le comte du Barry et vous, je vous ai aimée follement… C’était une folie! Nous n’étions pas nés l’un pour l’autre. Cette folie, j’en puis venir à bout. Et puis, nous autres soldats, nous ne gardons pas longtemps les mêmes passions au cœur. La vie des camps, les hasards de la guerre sont la plus puissante des distractions… Si je vous disais que je parviendrai à vous oublier, vous ne me croiriez pas. Mais je puis sincèrement vous assurer que je ne garderai aucun souvenir amer de cette rencontre, et que le sacrifice n’est peut-être pas aussi étonnant que vous le supposez… Ainsi donc, parlez hardiment, et dites-moi comment je puis sauver Sa Majesté notre roi.

– Ah! cœur magnanime! s’écria Jeanne au comble de l’émotion. Pensez-vous que je sois dupe, et que vous me vaincrez en générosité? Chevalier, cessons de parler d’un sujet qui vous est affreux et qui me deviendrait odieux à moi! Oublions ce qu’un instant de folie m’a pu faire dire…

– Ainsi, madame, vous ne voulez plus me dire quel danger menace le roi?

– Non, chevalier, non, ami parfait que j’ai pu blesser de tout mon égoïsme!…

– En ce cas, reprit d’Assas froidement, je vous jure que je vais de ce pas me rendre au château…

– D’Assas! cria Jeanne palpitante.

– Faire réveiller le roi, et lui dire qu’il est menacé…

– Vous ne sortirez pas!…

– Et comme il me sera impossible d’expliquer le genre de danger que je signalerai, il est certain que le roi prendra ombrage et défiance de ma démarche si étrange. Cela, joint à la scène de la route de Versailles…

Jeanne jeta un cri de désespoir.

Elle entrevit que le dévouement de d’Assas allait aboutir à une catastrophe.

– Vous le voulez donc! fit-elle, bouleversée.

– Je le veux! dit d’Assas fermement.

– Écoutez donc!…

Elle se recueillit quelques minutes, cherchant à apaiser les palpitations de son sein. Livide, mais très calme en apparence, d’Assas attendait…

Alors, Jeanne, en quelques mots, raconta ce qui venait de lui arriver dans la maison des quinconces: le départ de Suzon, l’arrivée de la nouvelle femme de chambre, le récit de cette Julie si mystérieuse, ses étranges aveux… enfin, à tout prix, il fallait empêcher le roi de retourner dans cette maison où sûrement un guet-apens était organisé contre lui.

D’Assas avait écouté avec une profonde attention.

Il comprenait ou croyait comprendre ce qui se tramait.

La vérité se faisait jour peu à peu dans son cerveau: lui-même, inconsciemment, avait aidé à l’organisation de ce guet-apens!… Il était l’un des rouages de la formidable machine que M. Jacques mettait en mouvement!…

Dès lors sa résolution fut prise, et rapidement, il fit son plan.

– Madame, dit-il, je crois en effet que le roi est sérieusement menacé. J’ai encore plus de raisons de le croire que vous-même. Il faut que dans une heure Sa Majesté soit prévenue… Elle le sera!

– Comment vous remercier? balbutia Jeanne. Hélas! vous êtes de ceux que leur fierté met au-dessus de tout remerciement…

– Quant à vous, madame, reprit le chevalier comme s’il n’eût pas entendu ces paroles, en sortant du château je reviendrai vous prendre ici… il ne faut pas que vous y restiez… et je vous conduirai où bon vous semblera… pour vous dire un éternel adieu… Quant au roi…

À ces derniers mots, d’Assas s’arrêta court.

Il y eut dans son cœur comme un rugissement de douleur.

Mais à ce mot, aussi, une idée soudaine traversa l’esprit de Jeanne.

Elle devint très pâle, et hésita un instant, comprimant de sa main les battements de son sein.

Sans doute ces deux cœurs étaient vraiment dignes l’un de l’autre.

Sans doute c’était un grand malheur que Jeanne eût été lentement et sûrement poussée par son entourage à aimer le roi.

Car cette pensée de générosité qui venait de se faire jour en elle était aussi grande, aussi belle, aussi pure qu’avait pu l’être le dévouement du chevalier…

Celui-ci, morne et froid en apparence, fit rapidement ses apprêts de départ.

Il jeta son manteau sur ses épaules.

Alors, les lèvres tremblantes, les yeux hagards, il se tourna une dernière fois vers Jeanne.

– Quant au roi… reprit-il.

Brusquement, Jeanne lui saisit les deux mains.

– N’achevez pas, dit-elle palpitante, et écoutez-moi… Vous parlez du roi. Je vois tout ce que vous souffrez. Je vois tout ce que vous imaginez. Eh bien, sachez-le, Louis XV n’est encore pour moi que le roi de France!…

– Je le sais, madame… haleta d’Assas.

– Laissez-moi finir! Je vous ai dit que vous ne me vaincriez pas en générosité. Je le prouve. Le roi, d’Assas, eh bien, oui, je l’aime!… Mais si le sentiment que j’ai pour vous n’est pas de l’amour, j’éprouve près de vous un je ne sais quel charme de jeunesse et de pureté qui rafraîchit mon âme… Ce que j’éprouve surtout en ce moment, c’est une insurmontable horreur à la pensée d’accepter votre sacrifice sans vous prouver que j’en suis digne…

– Madame… je vous en supplie…

– Laissez-moi finir! reprit Jeanne plus ardemment. Voici ce que je voulais vous dire, d’Assas, mon ami, mon frère… Allez sans crainte, allez paisible et confiant, ne redoutez rien pour l’avenir, ne craignez pas que Louis puisse jamais être autre chose pour moi que le roi de France!…

– Jeanne! Jeanne! balbutia le chevalier ébloui, chancelant.

– Je le jure, acheva-t-elle gravement: Louis XV ne sera jamais mon amant!… Ni lui… ni personne!…

D’Assas tomba lourdement sur ses genoux et colla ses lèvres sur les mains de Jeanne.

Toute pâle, toute fière, transfigurée par un souffle d’héroïsme, elle le regardait en souriant.

– Allez, fit-elle dans un souffle, allez, maintenant: vous pouvez sauver le roi!…

Le comte du Barry, son poignard solidement emmanché dans sa main, était sorti du pavillon de gauche et avait traversé la cour.

Il était décidé à tuer d’Assas.

Dans la soirée, il avait préparé les serrures du pavillon de droite de façon à pouvoir y entrer facilement et sans bruit. Son plan était en effet de pénétrer dans le logis où il supposait d’Assas endormi dans les bras de Jeanne. Si, malgré les précautions qu’il avait prises, il ne pouvait pas entrer, il attendrait près de la porte, dans l’ombre du couloir d’entrée, et frapperait le chevalier au moment où celui-ci sortirait.