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Ce billet contenait des instructions à l’adresse du droguiste qui était un affilié et qui, après avoir lu, le brûlait devant la jeune femme, en disant simplement:

– Dites que les ordres seront exécutés.

La soubrette réintégrait la maison et Crébillon avait à peine quitté l’herboristerie que M. Jacques recevait deux rapports succincts émanant l’un de l’aubergiste, l’autre du droguiste, et dans lesquels les paroles, les faits et gestes du poète étaient minutieusement relatés.

Le soir même, un autre rapport, plus détaillé, dévoilait à M. Jacques les noms de Crébillon et de Noé Poisson, l’endroit où ils habitaient, quand ils étaient arrivés à Versailles et ce qu’ils y avaient fait depuis leur arrivée. La visite de Crébillon à Berryer y était signalée.

M. Jacques aussitôt faisait appeler de Bernis et lui donnait ses instructions.

Dans la nuit même, de Bernis lui racontait par le détail la conversation que Crébillon avait eue avec le lieutenant de police et qu’il n’avait pas eu de peine à lui arracher, tant Berryer avait été frappé de l’attitude si extraordinaire – pour le courtisan – de ce pauvre diable de poète qui se permettait d’être un honnête homme.

M. Jacques était fixé. Il savait ce que voulait cet homme et ce qu’il cherchait. Il était tranquille. Celui-là, du moins, s’il cherchait Mme d’Étioles, ce n’était pas dans l’intention de la pousser dans les bras du roi.

Et un certain respect lui venait pour ce brave homme de poète, plus honnête dans sa pauvreté que tous les seigneurs fringants mais vils qu’il voyait autour de lui se ruer à la curée, et aussi comme une gêne, comme un ennui de le trouver sur son chemin et, qui sait?… d’être obligé de le briser peut-être.

Car, pour les raisons que nous avons expliquées, il ne fallait pas que le poète retrouvât Mme d’Étioles. Et puisque la faute d’un inférieur, secondée par un hasard vraiment extraordinaire, l’avait mis sur la piste de celle qu’il avait un intérêt si grand à ne pas laisser découvrir, il fallait prouver adroitement à ce Crébillon qu’il s’était trompé, qu’il avait fait fausse route, que tout ce que son ami lui avait raconté, ou du moins tout ce qui concernait Mme d’Étioles, n’était qu’une imagination d’ivrogne puisée dans les fumées de l’ivresse.

On a vu comment il y était arrivé et comment le poète avait été berné par la soubrette, adroitement stylée et secondée par quelques comparses qui avaient joué chacun le rôle qui lui était dévolu avec un naturel parfait.

XIII LE PORTRAIT

Nous revenons à la petite maison des quinconces où le roi, accompagné du seul Lebel, son valet de chambre et ordonnateur suprême de la galante retraite, se rend mystérieusement toutes les nuits.

Le roi continue très régulièrement le duo d’amour si étrangement commencé, sans que Juliette, qui l’étudié très attentivement, puisse savoir si elle a avancé dans le cœur de son royal amant.

Louis lui-même ne pourrait dire à quel sentiment il obéit.

Presque chaque nuit il vient là, mais sans plaisir, sans entrain, parfois même comme à regret, avec des velléités de rebrousser chemin et de rentrer au château.

Plusieurs fois déjà, Lebel, qui semble obéir à des instructions mystérieuses, a dû user de toute sa diplomatie pour rappeler discrètement au roi qu’il était attendu; plusieurs fois déjà, le valet de chambre a dû prendre sur lui de tout préparer pour l’équipée nocturne, sans en avoir reçu l’ordre de son maître, et, sans ces interventions adroitement déguisées, la comtesse eût, souvent, vainement attendu Louis qui, néanmoins, obéissant à sa nature timide et irrésolue, se résignait en bâillant, cédait en grommelant à l’habile et secrète pression de son serviteur et allait à ces bizarres rendez-vous d’amour comme à la plus charmante des corvées.

Mais si, par faiblesse et par habitude déjà contractée, il se résignait assez facilement à ces entrevues nocturnes, le roi en revanche s’obstinait aux précautions les plus méticuleuses pour cacher cette liaison naissante et s’était, jusque-là, dérobé à toute tentative faite pour l’amener ouvertement à la petite maison, ce qui eût été un acheminement rapide à la reconnaissance officielle de la situation de la comtesse du Barry.

Malheureusement pour lui, M. Jacques avait pris ses dispositions en conséquence, et nous avons pu voir que Louis prenait là une peine bien inutile, puisque son secret, qu’il croyait bien gardé, était, grâce à d’habiles indiscrétions colportées de bouche en bouche, comme celui de polichinelle, connu de tout le monde au château.

Il ne faudrait pas conclure de tout ceci que les entrevues de Louis et de Juliette fussent maussades pour cela. Loin de là, et la fausse comtesse n’avait nullement lieu de désespérer de l’avenir.

Lorsqu’il arrivait à la petite maison, le roi ne laissait rien voir de sa contrainte et de son ennui, uniquement par galanterie.

Mais la comtesse opérait sur lui un charme bizarre et déconcertant.

Insensiblement, sans qu’il s’en rendit compte, les propos galants dictés au roi par cette politesse dont il ne se départait jamais devant une femme, prenaient, sous l’empire de ce charme, une tournure plus passionnée, plus vibrante, presque sincère.

C’est que la comtesse était d’une beauté remarquable; ses manières aisées étaient d’une élégance rare; sa conversation, tour à tour enjouée et mélancolique, savait effleurer tous les sujets avec un tact parfait; enfin, aux heures intimes, elle savait jouer la comédie de la passion avec une fougue et un emportement doublés d’une science incomparable de toutes les choses de l’amour, science qu’elle devait à son ancien métier de fille galante.

Par sa beauté et sa conversation fine et spirituelle, elle commençait à fondre la glace dont se blindait l’esprit du roi; par ses baisers savants et raffinés, elle achevait son œuvre de conquête en s’emparant de ses sens qui vibraient alors, exacerbés.

Et c’était là, tout à la fois, sa force et son point faible: elle réussissait facilement à s’emparer des sens et de l’esprit du roi, mais son cœur sec et froid échappait constamment à toute emprise.

Et ce qu’il y avait de dangereux pour elle dans cette situation bizarre, c’est que Louis, aussi habile comédien qu’elle-même, par une prudence toute instinctive, parvenait aisément à lui dissimuler l’état réel de son cœur.

Or, comme elle voyait le roi tout vibrant près d’elle, elle commettait cette faute de prendre pour une réelle passion ce qui n’était en réalité qu’un état d’éréthisme particulier; la fibre purement sentimentale, jamais effleurée, restait immuablement morne, sans vibrations. En sorte qu’elle se croyait beaucoup plus avancée qu’elle ne l’était en réalité.

C’était là une erreur qui pouvait avoir des conséquences funestes, aussi bien pour elle que pour ceux qui la guidaient et la poussaient.

Ceci explique pourquoi Louis, après s’être livré aux baisers de cette charmeresse avec une fougue qui le surprenait lui-même, se détachait sans effort de son étreinte morale lorsque ses sens étaient rassasiés, et s’en retournait comme il était venu… las et mécontent, se jurant à lui-même de briser cette liaison qui le laissait indifférent et glacé, – dès lors qu’il était loin de la comtesse, – et… y retournant le soir-même, quoi qu’il en eût et malgré son serment.

C’était généralement au retour d’une de ces expéditions amoureuses que la pensée de Jeanne s’imposait tenace à son esprit et que quelque chose comme un remords venait l’étreindre. Mais alors, il revoyait l’élégante et fière tournure d’un de ses officiers, et cette évocation du chevalier était comme un dérivatif qui faisait enfuir la tant douce image de l’aimée, ouvrait toutes grandes les écluses de la jalousie, chassait tout remords et faisait grincer ses dents de fureur.