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Au moment où nous la retrouvons, la comtesse du Barry était dans le grand salon-atelier du premier étage, assise devant une toile à peine ébauchée.

Cette toile représentait un portrait de Louis XV, que Juliette s’efforçait de faire de mémoire, pensant toucher le cœur du roi par cette délicate attention et lui prouver ainsi que les heures passées loin de sa présence, elle les employait à penser à lui.

Le portrait, sur son chevalet, était devant elle, mais les pinceaux et la palette gisaient, dédaignés, à terre.

La comtesse tenait sur ses genoux un grand carton sur lequel s’étalait une feuille blanche; elle paraissait observer fixement un modèle absent qu’elle voyait en imagination et elle crayonnait fébrilement. Mais, chose étrange, le portrait qu’elle dessinait ainsi avec une attention profonde ne ressemblait en rien au roi.

Sur la feuille de papier se détachait nettement une élégante silhouette d’officier… et cet officier ressemblait d’une manière frappante au chevalier d’Assas.

À cette heure de la journée où elle était sûre de n’être surprise par personne, – le roi ne venant que la nuit et nul ne la venant visiter, – elle délaissait le portrait du roi à peine ébauché et dessinait avec amour celui du modeste officier de fortune. Car, elle avait fini par se l’avouer à elle-même, cet officier si jeune, si loyal, si chevaleresquement brave, elle l’aimait d’un amour pur et sincère, ardent et passionné, elle, la courtisane, la maîtresse du roi…

Il était né, cet amour, de la pitié.

Sans le connaître, elle avait entendu parler autour d’elle de ce d’Assas beau comme un Antinoüs, brave comme un preux, loyal comme son épée, fier comme un roi, amoureux, avec ça, comme un page, et elle s’était intéressée à lui.

Plus tard, elle l’avait vu alors qu’il occupait, dans la ruelle aux Réservoirs, le pavillon en face du sien. Et, de le voir si impatient, si agité, si triste, si vibrant de passion pour une autre, l’intérêt qu’elle lui portait s’était changé en compassion en même temps que, sans s’en rendre compte, elle enviait sourdement l’heureuse femme qui avait su s’emparer de ce cœur et y régner en souveraine maîtresse.

Puis elle avait été mise au courant de ce qui se tramait contre le chevalier, et une immense pitié s’était emparée d’elle; elle s’était dit qu’elle le sauverait.

Et, en effet, nous l’avons vu risquer sa vie pour aller le mettre sur ses gardes.

Lorsqu’elle dut, autant pour obéir à ceux qui la poussaient qu’à sa propre ambition, passer aux actes décisifs, l’émotion violente qu’elle ressentit pendant tout le temps que dura sa substitution à Mme d’Étioles ne lui laissa pas le loisir de songer à lui et de se demander ce qu’il était devenu.

Mais lorsque, après le départ du roi, elle crut la partie gagnée, toute son inquiétude lui revint, et à l’agitation qui s’était emparée d’elle, elle dut reconnaître que le sentiment qu’elle éprouvait pour d’Assas n’était plus de l’intérêt simple, mais bel et bien de l’amour.

Certes, elle n’accepta pas sans combat ce sentiment nouveau pour elle et qui constituait un danger mortel, si par malheur il venait à être découvert de du Barry, de M. Jacques ou du roi. Mais ce danger, très réel, fut un attrait de plus.

Le mal, du reste, était beaucoup plus avancé qu’elle ne le pensait, et elle dut constater avec un trouble effarant, mais délicieux, que renoncer à son amour, à l’espoir de se faire aimer, lui était aussi impossible que de renoncer à la lumière du jour.

Alors, le cœur étreint par une indicible angoisse, elle s’informa habilement, avec une adresse rare, et apprit que celui qu’elle aimait était prisonnier au château, et cette nouvelle, qui pourtant n’avait rien de rassurant en soi, lui causa une très vive joie.

Dieu merci, le chevalier avait échappé aux coups de du Barry, et tant qu’il serait prisonnier, il n’aurait rien à redouter de cet ennemi qu’elle savait haineux et traîtreusement acharné. Le mieux était donc de le laisser sous ces verrous protecteurs… Plus tard, elle verrait à le tirer de là.

Plus tard!… que de rêves elle édifiait avec ces deux mots pour point de départ!…

D’abord le roi ignorait qu’elle connût le chevalier. Il lui serait donc facile de lui arracher sa grâce sans éveiller sa jalousie plus tard… quand elle le tiendrait bien: elle n’était pas suffisamment sûre de son empire pour le moment.

Puis, quand elle l’aurait tiré de là, devenue toute puissante, elle l’élèverait si haut, si haut, – là où il méritait d’être, – qu’il serait grand parmi les grands. Elle le placerait tellement au-dessus des autres hommes, elle l’entourerait de tant de dévouement, elle aurait tant d’amour pour lui, qu’elle finirait bien par lui arracher du cœur l’image de cette petite d’Étioles et par s’y implanter à sa place.

Après tout, elle valait bien cette petite mijaurée!… Elle avait bien su la supplanter dans le cœur du roi!… Et si elle avait réussi ce tour de force alors qu’elle n’était guidée que par l’ambition, de quoi ne serait-elle pas capable lorsqu’elle serait guidée par son amour?… Là où le roi avait succombé, quelle apparence que le chevalier résistât?… Allons donc! elle était sûre d’elle-même! elle était trop sincèrement éprise pour n’être pas assurée du triomphe définitif, et d’Assas serait à elle… elle le voulait, elle l’aurait!

En attendant, il fallait à tout prix prévenir le prisonnier, le rassurer, le tranquilliser, en lui faisant connaître que quelqu’un de puissant veillait sur lui, qu’il n’était pas seul et abandonné, qu’il y avait quelque part un cœur ardemment épris qui prenait sa part de ses joies et de ses peines…

Comment arriverait-elle à ce résultat? Elle ne savait pas encore, mais elle y arriverait certainement, dût-elle pour cela jeter l’or à pleines mains, dût-elle se donner elle-même…

Et puis cette entreprise hasardeuse qu’elle méditait de tenter la tirerait de l’énorme ennui et de la morne solitude qui pesaient lourdement sur elle dans cette sorte de claustration à laquelle elle était peut-être condamnée pour de longs jours encore.

Tout en échafaudant des plans qui convergeaient tous à prévenir d’Assas, à tenter de le voir au besoin, la comtesse continuait son dessin avec une attention tellement profonde, qu’elle tressaillit violemment en entendant la voix de la camériste qui, à quelques pas derrière elle, disait:

– Que madame veuille bien m’excuser. J’ai frappé plusieurs fois… madame ne répondait pas… je commençais à être inquiète…

– J’étais très actionnée, dit Juliette sans quitter son travail que la fille de service ne pouvait voir de l’endroit où elle était.

Ceci était dit avec un mouvement de tête qui expliquait le silence de la maîtresse, en même temps qu’il signifiait que l’indiscrétion de la servante était excusée. Puis elle ajouta:

– Qu’y a-t-il donc, ma fille?

– Madame, c’est un homme… une sorte de petit bourgeois qui n’a pas voulu donner son nom, affirmant qu’il était inconnu de madame… Il a tellement insisté pour être admis auprès de madame que j’ai cru devoir…