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– Mais certainement, ma chère enfant. Si le roi vous y autorise toutefois… en prenant des précautions pour ne pas être reconnue, vous pourrez sortir tant que vous voudrez… Dès ce soir si vous voulez.

– Ah! vous êtes bon! s’écria la comtesse dans un élan de gratitude qui lui venait du cœur, car elle songeait que, libre d’agir à sa guise, libre de sortir enfin de cette cage dorée où elle étouffait, elle allait pouvoir s’approcher enfin de d’Assas, tenter quelque chose pour lui.

– Je ne suis pas bon, je suis juste simplement et je vous veux voir heureuse. Maintenant, mon enfant, que nous sommes d’accord, contez-moi par le menu où vous en êtes avec le roi.

Juliette lui fit alors un récit très exact de sa situation et des espérances qu’elle concevait, se basant sur l’attitude du roi à son égard.

M. Jacques écouta très attentivement, prenant mentalement des notes, corroborant les dires de la jeune femme avec ses renseignements particuliers et triant du tout des conclusions qui approchaient de plus près la réalité que celles de la comtesse.

Lorsqu’elle eut terminé, M. Jacques approuva pleinement.

– Nous approchons du but, je vous l’ai dit. Le roi est travaillé de différents côtés; d’ici peu, je l’espère, vous serez présentée officiellement à la cour d’abord, à la reine ensuite… j’en fais mon affaire… De votre côté, il ne serait peut-être pas mauvais que vous poussiez un peu le roi. Donc à dater de maintenant, au lieu de la prudente réserve que je vous avais recommandée, au lieu de la résignation, témoignez quelque impatience, faites sentir que cette solitude vous pèse, réclamez le grand jour, tout cela graduellement bien entendu, avec toute la discrétion désirable; je me charge du reste.

Et, avec une précision remarquable, il continua de donner des instructions détaillées à la jeune femme qui écoutait très attentivement.

Quand il eut terminé, M. Jacques se leva pour se retirer et instinctivement la comtesse se redressa pour le reconduire; mais il dit vivement:

– Vous n’y songez pas, ma chère enfant! reprenez votre travail. N’oubliez pas que je ne suis qu’un modeste joaillier pour qui une femme de votre rang ne se dérange pas. Et à propos, je vous rappelle que vous pouvez montrer sans crainte le joyau que je vous ai apporté au roi et lui avouer que vous en avez fait l’acquisition… et ne craignez pas d’annoncer un prix élevé, car ce bijou vaut toute une fortune. Maintenant je me retire; appelez, je vous prie, votre camériste… Ah! attendez… décidément ce portrait du petit d’Assas est vraiment fort bien… Mais j’y songe, Mme d’Étioles, dans ses heures de captivité ici, a dû, comme vous, se distraire en faisant de la peinture, du dessin, que sais-je?… A-t-elle laissé quelques toiles, quelques feuilles ébauches ou autres?

– Mais oui, fit Juliette assez surprise, il y en a là tout un carton.

– Ah! ah! voulez-vous me montrer cela?

– Tenez, le voici, fit-elle en apportant un carton à dessin.

M. Jacques le prit et le compulsa assez attentivement. Il y avait là quelques esquisses, des ébauches, des dessins représentant différents sujets, mais presque tous inachevés.

Cependant, dans le tas, M. Jacques découvrit un ou deux dessins plus poussés et portant pour toute signature un J souligné d’un paraphe très simple. Il les garda quelques instants dans la main et demanda:

– Le roi a-t-il vu ce carton?

– Non, pas que je sache… Mais pourquoi?…

À cette question, l’énigmatique personnage répondit par une autre:

– Tenez-vous beaucoup, ma chère enfant, à signer vos œuvres vous-mêmes?

– Moi?… je ne sais! Je ne comprends pas!… Pourquoi?…

– Parce que si, par fortune, vous n’étiez pas douée d’un amour propre d’auteur excessif, vous mettriez au bas de ce remarquable portrait du petit d’Assas un J et un paraphe semblables à ceux-ci… voyez comme ils sont faciles à imiter… Vous placeriez ensuite ce dessin dans ce carton, au milieu des autres, et vous vous arrangeriez ensuite de manière à ce que le roi fouillât dans ce carton et vit surtout ce portrait signé d’un J.

– Je comprends, interrompit Juliette; le roi croirait que ce portrait a été fait par Mme d’Étioles qui serait alors…

– Irrémédiablement perdue… Vous êtes très intelligente, ma chère enfant, fit M. Jacques avec une imperceptible pointe d’ironie…

– Et comme mon nom commence aussi par un J, poursuivit Juliette qui avait son idée, on ne pourrait pas m’accuser d’avoir fait un feux. Eh bien, reprit-elle avec une pointe d’hésitation où perçait une évidente satisfaction, eh bien, faut-il vous l’avouer?…

– Avouez, ma chère enfant, dit M. Jacques en fixant son œil clair sur celui de la jeune femme qui ne broncha pas.

– Eh bien, ce portrait, je l’avais fait dans cette intention.

Pendant quelques secondes l’homme fixa étrangement la femme qui supporta ce regard aigu en souriant, impénétrable.

Ne parvenant pas à lui faire baisser les yeux ni à pénétrer sa pensée, il s’inclina en disant:

– Alors j’ajouterai: Vous êtes forte!… très forte!

Sûre d’elle-même, certaine de l’avoir convaincu, elle frappa sur un timbre, reprit paisiblement son ouvrage et dit à Nicole accourue:

– Reconduisez monsieur.

Lui, de son côté jouant son rôle jusqu’au bout, sortit à reculons en faisant force révérences et se confondant en remerciements.

Mais quand la porte fut fermée, M. Jacques se redressa, le front barré par une ride profonde, l’air très soucieux.

La camériste le reconduisant jusqu’à la porte de sortie, avant de franchir le seuil il glissa une bourse à la fille en lui disant quelques mots à l’oreille.

Celle-ci fit disparaître prestement la bourse, exécuta une gracieuse révérence et répondit à voix basse:

– Soyez sans inquiétude, monsieur, vous serez content de moi.

M. Jacques sortit sur ces mots et se rendit directement au château où nous le retrouverons bientôt.

XIV LES PRISONS DU CHÂTEAU

Le château de Versailles n’était nullement aménagé pour servir de prison. Cependant, à cette époque du «bon plaisir», la prison était comme le complément nécessaire, obligé pour ainsi dire, de toute demeure royale, et on eût plutôt oublié chambres et salons que cet accessoire indispensable.

Donc, sans avoir de prison au sens strict du mot, le château n’en possédait pas moins ses locaux disciplinaires parfaitement aménagés pour cet usage particulier.

À cet effet, on avait distrait un certain nombre de pièces du dernier étage, on avait mis de solides barreaux aux fenêtres, de forts verroux aux portes, et on s’était ainsi trouvé en possession d’un certain nombre de cellules qui, pour n’avoir rien de commun avec le traditionnel cachot garni de paille humide, n’en constituaient pas moins une retraite sûre où l’on pouvait méditer tout à son aise sur les inconvénients d’avoir déplu au roi ou, plus simplement, d’avoir manqué à la discipline militaire, mais d’où il était superflu de songer à s’évader, car le tout était sérieusement gardé et à l’abri des tentatives de messieurs les prisonniers, gens généralement fort inventifs et ingénieux, surtout quand il s’agit de reconquérir cette chose illusoire qui s’appelle la liberté et qu’on n’apprécie jamais mieux que lorsqu’on en est privé.