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Vers la fin du repas, le chef de poste annonça incidemment, et sans y attacher autrement d’importance, qu’il comptait sur la parole du chevalier de ne tenter aucune évasion, seule garantie qu’il réclamait pour accorder sans scrupules et sans soucis toutes les petites privautés que pourrait réclamer ce gentil compagnon qui décidément lui plaisait de plus en plus.

Mais, à sa grande stupéfaction, le prisonnier refusa net ce qu’on lui demandait.

Et comme l’officier se récriait, disant que c’était une folie, et insistait vivement, le chevalier, avec cette loyauté qui le caractérisait, le tira de son erreur, avouant qu’il n’était pas le prisonnier sans importance que son hôte croyait, mais qu’il avait bel et bien la garde d’un prisonnier d’État qui ne sortirait probablement de là que pour aller à la Bastille, à moins qu’on ne le livrât au bourreau.

Ces paroles dites sans jactance, avec une mâle tranquillité, firent blêmir le malheureux officier qui murmura:

– Diable! diable!… C’est si grave que cela?… Je comprends maintenant pourquoi vous êtes si soucieux!… Mais une évasion ici!… allons donc!…

Et il haussa les épaules, tant cette idée lui paraissait absurde.

D’Assas, très calme, attendait que son gardien prît une décision.

Celui-ci s’était levé et se promenait avec agitation en marmottant:

– Diable! diable!… ça change les choses, tout cela.

Machinalement il avait ouvert la porte et allait dans le couloir; en passant et repassant il inspectait ses hommes, considérait les barreaux des fenêtres, mesurait même du regard la distance qui les séparait du sol, comme s’il eût voulu se convaincre que son prisonnier ne pourrait surmonter tous ces obstacles.

Enfin, après avoir bien réfléchi, il prit un parti, revint vers d’Assas et, avec une certaine émotion, lui dit:

– Écoutez, chevalier, vous avez un air qui me revient tout à fait. Parole d’honneur! je me sens porté d’amitié pour vous et, mordieu! je veux vous le prouver. On ne m’a pas donné d’instructions spéciales sur votre compte. À moins d’ordres contraires, vous êtes et resterez pour moi un prisonnier ordinaire; je ne changerai donc rien à ce qui était convenu et vous resterez libre d’aller et de venir dans cet espace. Seulement, dans ces conditions, il m’est impossible de vous laisser communiquer avec le dehors; vous comprenez, n’est-ce pas?… Quant à fuir d’ici, croyez-moi, renoncez-y… car à moins de voler comme un oiseau… c’est de la folie!…

D’Assas, très ému, serra la main de ce brave homme et, après l’avoir remercié, ajouta avec sa franchise coutumière:

– N’oubliez pas que non seulement je ne m’engage pas, mais encore que je ferai l’impossible pour fuir… si je peux… Ainsi donc, cher ami, faites ce que votre conscience vous dictera.

– Ce qui est convenu est convenu et je ne me dédis pas. Mais puisque vous vous obstinez, n’oubliez pas de votre côté qu’à la moindre tentative de votre part je serais forcé de vous passer mon épée au travers du corps et, mordieu! je ne me pardonnerais jamais votre meurtre, car vous êtes un trop gentil garçon… Mais je suis bien tranquille… Vous échapper d’ici… heu!… cela me paraît bien difficile!

Les deux officiers ne revinrent plus sur cette conversation, mais en revanche se lièrent d’amitié, ce qui n’empêchait pas d’Assas de chercher continuellement un moyen d’évasion et son nouvel ami de le surveiller de très près, tout en faisant de son mieux pour le distraire.

À quelque temps de là, de Verville annonça qu’il allait être relevé d’ici peu et qu’il passait la garde au baron de Marçay qui était, d’après lui, un chafouin doucereux et papelard duquel d’Assas devait se défier comme de la peste; puis il ajouta:

– Maintenant, cher ami, si je puis vous être utile, faites état de moi.

D’Assas demanda pour la deuxième fois de faire connaître à Saint-Germain le lieu de sa détention, ce que son nouvel ami lui promit de faire le jour même.

Le chevalier ne savait pas lui-même quel secours il espérait du comte de Saint-Germain; mais sans pouvoir dire pourquoi, il se sentait plus calme, plus sûr de lui, depuis qu’il avait l’assurance que le comte saurait prochainement qu’il était arrêté et détenu provisoirement au château de Versailles.

XV LE MOUCHOIR

Les scènes que nous narrons s’étant déroulées à des endroits différents et presque simultanément, nous sommes obligé d’aller de l’un à l’autre lieu et de suivre les différents acteurs de cette histoire dans leurs multiples évolutions qui, alors même qu’elles paraissent le plus étrangères les unes aux autres, n’en sont pas moins reliées entre elles par un lien solide, quoique secret, ainsi que le lecteur pourra s’en rendre compte s’il veut bien nous suivre et nous prêter une bienveillante attention.

Nous retournons donc à la maison de la ruelle aux Réservoirs.

C’était le jour même où le brave Crébillon était magistralement mystifié par cet incomparable metteur en scène qu’était M. Jacques.

Le valet de chambre Lubin était occupé à mettre en ordre les affaires du chevalier, qui avait quitté précipitamment le pavillon pour aller rôder autour de la maison des Quinconces.

Maître Lubin, en accomplissant consciencieusement ses fonctions de valet de chambre, avait mis la main sur un mouchoir de fine batiste fleurant encore la verveine.

Depuis qu’il avait commis une grave imprudence qui aurait pu lui coûter cher, si, grâce à son initiative aidée par un peu de chance, il n’avait pu réparer à temps sa bévue, Lubin s’était juré d’être prudent à l’avenir et de racheter par un zèle inlassable la faute commise.

Dans tout autre moment il n’eût probablement attaché aucune importance à cette trouvaille. Mais au moment où elle se produisait, son esprit soupçonneux toujours en éveil avait une tendance à voir des périls partout et à grossir démesurément le moindre fait qui prenait à ses yeux les proportions d’un événement.

La découverte de ce mouchoir, qui ne ressemblait en rien à ceux du chevalier, le plongea donc dans un abîme de réflexions profondes. Et le résultat de ces réflexions fut qu’il s’en alla tout droit porter sa trouvaille à son maître. On a déjà pu voir que dans un cas embarrassant il n’avait trouvé que ce moyen de se tirer d’affaire. Cela lui ayant réussi une fois, il n’hésita pas à employer une deuxième fois ce même moyen qui pouvait être encore bon.

M. Jacques, après l’avoir congédié et remercié, se mit à étudier attentivement ce mouchoir qu’il n’eut pas de peine à reconnaître attendu qu’il était de tout point semblable à ceux qu’il avait achetés lui-même lorsqu’il s’était donné la peine de constituer le trousseau de Juliette Bécu, future comtesse du Barry.

Alors il s’était posé à lui-même une foule de points d’interrogation, auxquels il avait répondu de son mieux, si bien que, de question en réponses, il était arrivé à cette conclusion logique:

Ce mouchoir avait appartenu à la comtesse, il le reconnaissait formellement, il portait d’ailleurs ses initiales surmontées de la couronne comtale. Il avait conservé un reste de parfum à la verveine: or lui-même avait conseillé à la comtesse d’adopter ce parfum qui était préféré du roi en ce moment.