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Du Barry entra donc dans le couloir.

Du bout de son poignard, il tâta la serrure de la porte.

Il était très froid, très maître de lui. Il n’éprouvait ni émotion, ni remords, ni rien qui pût le troubler.

Tout de suite, il constata que la serrure ne tiendrait pas contre une pesée.

Il se pencha pour préparer la besogne.

À ce moment, il crut percevoir un bruit confus de voix…

Il écouta attentivement et bientôt reconnut que le chevalier d’Assas et Mme d’Étioles parlaient. Il chercha alors à saisir quelques mots, mais il ne put y parvenir.

Cependant cet incident lui prouvait qu’il devait modifier son plan.

Le chevalier était debout, réveillé: il faudrait batailler; d’Assas était de taille à se défendre et à vaincre… Or du Barry ne voulait pas un dueclass="underline" il venait pour tuer!

Il se recula donc en grondant. Et alors toute son émotion lui revint, c’est-à-dire toute sa rage.

Allait-il être obligé de s’en aller, de remettre l’exécution à un moment plus propice?…

Non, non!… Il attendrait là, voilà tout!

Et fût-ce en plein jour, il frapperait!… Ensuite, une fois l’irréparable accompli, il s’expliquerait avec M. Jacques, persuadé d’ailleurs qu’on ne lui tiendrait pas rigueur.

Tout à coup, il entendit à l’intérieur un bruit de pas qui se rapprochait rapidement de la porte.

– C’est lui! murmura-t-il. Il va sortir!… Le voici!… Je le tiens!…

D’un brusque mouvement, du Barry s’était rejeté en arrière.

Au moment où il entendit la porte s’ouvrir, son bras se leva.

Le poignard fulgura dans l’ombre…

La porte s’ouvrit!…

D’Assas apparut!…

Au même instant, il refermait la porte et faisait un pas vers la cour: alors, dans ses yeux, ce fut la soudaine, l’étrange vision de cet homme ramassé sur lui-même, le bras levé, prêt à frapper…

D’un geste instinctif, d’Assas se mit sur la défensive…

Une seconde s’écoula… rapide comme un éclair, lente comme une heure de cauchemar…

L’homme n’avait pas frappé!…

Il demeurait à la même place dans la même position, le poignard toujours levé…

– Qui êtes-vous? que voulez-vous? demanda le chevalier.

L’homme ne répondit pas, ne fit pas un mouvement!…

Cela tenait du délire. C’était comme une de ces imaginations terribles qu’on a dans les mauvais rêves…

Et cette immobilité, ce silence épouvantaient d’Assas…

Il toucha le bras du sinistre inconnu… ce bras était raide… Il voulut le baisser: le bras résista comme s’il eût été en fer!…

D’Assas commençait à se sentir gagné par une surhumaine épouvante.

Cet homme était là comme un cadavre, mais un cadavre debout et menaçant…

Le chevalier sentit une sueur froide pointer à ses cheveux.

Il allait reculer, fuir, s’élancer dans la cour lorsque la porte d’en face s’entr’ouvrit; un rayon de lumière éclaira en plein l’homme au poignard.

– Le comte du Barry! murmura d’Assas sans songer à regarder qui ouvrait cette porte, d’où venait cette lumière.

Ses cheveux se hérissaient à la vue de du Barry pétrifié, changé en statue.

Le comte avait les yeux ouverts.

Et ces yeux étaient convulsés, tout blancs comme ceux d’un mort.

Ses lèvres étaient aussi entr’ouvertes comme si un commencement de paroles s’y fût soudain figé.

Il gardait la même fixité, la même immobilité de marbre.

Aucun tressaillement n’indiquait en lui qu’il fût encore vivant…

Le chevalier le toucha à la poitrine du bout du doigt, puis il appuya plus fort, puis de toutes ses forces:

Du Barry ne fit pas un mouvement, ne chancela pas…

– Oh! murmura d’Assas, qu’est-ce que cela signifie? J’aimerais mieux dix spadassins devant moi que ce cadavre raidi dans cette attitude de meurtre…

Et il reculait lentement…

La porte, à ce moment, s’ouvrit tout à fait, un homme parut.

D’Assas le reconnut aussitôt:

– Le comte de Saint-Germain!…

Le mystère se compliquait. Tout, dans cette étrange maison, devenait fabuleux, invraisemblable, et pourtant c’étaient des réalités qui se trouvaient sous ses yeux.

Sans faire attention à d’Assas, le comte de Saint-Germain s’avança sur du Barry, la main tendue, le regard rivé sur lui…

Alors d’Assas assista à un étrange spectacle…

Il vit le bras de du Barry qui, très lentement, par saccades, retombait et reprenait sa position normale. Il vit le comte se mettre en mouvement, avec cette même lenteur saccadée…

Saint-Germain, le bras toujours allongé, continuait à marcher.

Du Barry reculait…

Enfin, il se trouva dans la cour.

Au seuil de la cour, Saint-Germain s’arrêta, les yeux fixés sur du Barry.

Celui-ci, comme s’il eût obéi à une irrésistible impulsion, marchait, traversait la cour et regagnait enfin l’autre pavillon. D’Assas le vit entrer, disparaître, se confondre avec la nuit comme une apparition.

Pendant quelques minutes encore, Saint-Germain demeura à la même place, dans la même attitude.

Enfin, il se tourna vers le chevalier.

Il paraissait fatigué à l’excès.

Il fit signe à d’Assas de le suivre. Et le chevalier, affolé de stupéfaction, pris d’une sorte de terreur qu’il ne pouvait surmonter, suivit docilement.

Dans la pièce où nous avons vu Lubin introduire Saint-Germain, le comte se laissa tomber sur un fauteuil en essuyant son visage ruisselant de sueur…

– Asseyez-vous donc, chevalier, dit alors tranquillement Saint-Germain.

– Comte! comte! m’expliquerez-vous… murmura d’Assas.

– Bah! à quoi bon les explications?… Vous êtes là, devant moi, vivant… oui, pardieu! vivant. Et je puis comme Titus m’écrier: Je n’ai pas perdu ma journée!

– Vivant… cela vous étonne que je sois vivant…

– Moi, cela ne m’étonne pas trop. J’ai fait mieux que cela autrefois. Toutefois, j’avoue que la chose est assez surprenante, car vous devriez être mort et bien mort à cette heure!

– Comte, s’écria d’Assas hors de lui, tout ce que je vois, tout ce que j’entends…

– Vous apparaît comme un insondable mystère, je conçois cela, mais si vous m’en croyez, vous ne chercherez pas à sonder ce qui est insondable. Ouf!… M’avez-vous assez donné de mal!… Allons, remettez-vous, que diable! Il n’y a pas grand-chose qui vaille la peine qu’on s’étonne comme vous le faites en ce moment…

– Je vous en prie, comte… je veux savoir…

– C’est bien simple, cher ami: ce digne du Barry vous voulait occire, je l’en ai empêché, voilà tout!

– Il voulait me tuer!…

– Dame! Il me semble que l’attitude dans laquelle vous l’avez surpris ne peut vous laisser aucun doute à cet égard.

– Mais pourquoi!… Nous nous sommes battus, nous devions nous battre encore…