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– Comment, fit d’Assas au comble de l’étonnement; comment, le danger n’existait pas?… Pourtant…

– Mme d’Étioles l’a cru?… Elle s’est trompée ou plutôt on l’a trompée… Et, de très bonne foi, elle vous a fait partager l’erreur dans laquelle on avait su habilement la faire tomber… En sorte que c’est elle qui, sans le vouloir, vous a envoyé au-devant d’une arrestation certaine, inévitable… surtout après la scène de la route de Versailles.

– Mais pourquoi?… comment?… Je ne comprends pas.

– Savez-vous d’où venait Sa Majesté lorsque vous l’avez rencontrée à la porte du château?

– Non! Comment voulez-vous que je sache?…

– Le roi venait paisiblement, sans avoir couru l’ombre d’un danger, de cette maison des Quinconces où vous veniez l’avertir de ne pas mettre les pieds parce qu’il y serait exposé à un péril grave, lui disiez-vous. Il en revenait à l’instant même, sain et sauf… Comprenez-vous?…

– Je commence à comprendre, en effet… Et je me souviens maintenant que Sa Majesté a particulièrement insisté sur ce point, à savoir si elle aurait été exposée à un danger pour le cas où elle se serait rendue cette nuit-même dans la maison en question… En sorte, si je vous comprends bien, que le roi aura cru que je voulais l’effrayer par la perspective d’un péril imaginaire… peut-être même a-t-il cru que j’avais un intérêt personnel à l’empêcher d’aller là…

– C’est cela! c’est cela même!… et les événements se sont chargés de confirmer le roi dans cette conviction puisque… depuis votre avertissement, il y est retourné tous les soirs… toujours sans courir aucun risque.

– Et dans quel but aurais-je voulu empêcher le roi d’aller là où il lui plaisait?…

– C’est ici que nous abordons le point le plus délicat et que nous aboutissons à ce motif qu’avait Sa Majesté d’être furieuse contre vous et dont je vous parlais tout à l’heure… Le roi, mon cher chevalier, vous croyait, et vous croit encore l’amant de Mme d’Étioles…

– Moi?… fit le chevalier indigné, moi?… mais c’est une infamie!…

– Attendez, réservez votre indignation, vous en aurez besoin tout à l’heure, car vous n’êtes pas au bout… Vous comprenez, n’est-ce pas, que, certain que vous étiez l’amant de Mme d’Étioles, le roi a cru que cette histoire que vous lui racontiez était inventée à plaisir pour l’empêcher de venir troubler votre tête-à-tête amoureux et que, furieux d’avoir été ainsi joué par Mme d’Étioles et par vous, il a ordonné votre arrestation immédiate, en attendant…

– Mais c’est odieux!… Qui peut faire croire au roi que je sois…

– L’amant de Mme d’Étioles?… Sa Majesté ne le croit pas, elle en est sûre… on lui en a fourni les preuves matérielles, indéniables.

– Je m’y perds! murmura le chevalier anéanti. Quelles preuves peut-on avoir donné de ce qui n’est pas?

– Vous êtes naïf, chevalier, fit Bernis en haussant les épaules. Lorsque Mme d’Étioles a quitté la maison des Quinconces, qui a-t-elle trouvé l’attendant à la porte? Vous… Qui l’a emmenée? vous encore… Avec qui a-t-elle passé cette nuit-là? Avec vous toujours! Vous êtes jeune et amoureux, Mme d’Étioles est jeune et jolie à rendre jalouses les beautés les plus réputées de la cour… À qui ferez-vous accroire que vous avez passé une nuit en tête à tête sans… surtout lorsque vingt témoins affirment le contraire!… et que celui à qui ils affirment cela, le roi, est dans un état de fureur jalouse qui lui ferait accueillir, les yeux fermés, un indice moins plausible?

– Le roi est-il donc si jaloux de moi? dit d’Assas avec amertume.

– Vous avez ce dangereux honneur.

– En tout cas j’espère que le roi, si aveuglé par la jalousie qu’il soit, n’hésiterait pas entre la parole d’un loyal gentilhomme comme moi et les dires de quelques misérables faux témoins, valets ou filles de chambre sans doute.

– Erreur! erreur grave!… D’abord le roi n’a pas hésité en effet… puisqu’il vous a fait arrêter séance tenante sans vous demander d’explications… Ensuite qui vous dit que ceux qui vous accusent ne sont pas gentilshommes comme vous?…

– Allons donc!… un gentilhomme s’abaisserait à mentir aussi vilement…

– Eh! mon cher, le même gentilhomme qui ne recule pas devant un assassinat, et vous devez en connaître de cette force, n’hésitera pas devant un petit mensonge, s’il doit perdre un ennemi… croyez-moi!

D’Assas tressaillit violemment à ces paroles qui lui rappelaient la sinistre vision de du Barry pétrifié par la toute-puissance de Saint-Germain, dans la pose d’assassin aux aguets.

Et, tout en se demandant comment de Bernis pouvait connaître un détail qui n’avait pas eu de témoin apparent, il commençait à attacher une importance plus considérable aux propos de son interlocuteur et à se croire sérieusement pris dans les mailles de quelque ténébreuse intrigue qui le menaçait autant que Mme d’Étioles.

Mais dès l’instant qu’il crut voir que Jeanne était menacée autant, sinon plus, que lui, il retrouva toute sa lucidité d’esprit et tout son sang-froid, et résolut de tout mettre en œuvre pour pénétrer la pensée secrète de son visiteur et lui arracher par n’importe quel moyen les renseignements dont il avait besoin pour étayer son plan de défense, car il était fermement résolu à lutter sinon pour lui, du moins pour Jeanne.

Aussi ce fut avec un calme parfait qu’il dit:

– Si je vous comprends bien, nous serions, Mme d’Étioles et moi, les victimes d’une machination habilement préparée?

– Hélas!

– Bien!… Mais par qui et pourquoi?… Je ne vois pas…

– C’est cependant très simple. Je réponds à votre question: Pourquoi? Parce que Mme d’Étioles était un danger pour la réussite de certains projets et qu’il fallait l’écarter à tout prix.

– Comment Mme d’Étioles était-elle un danger?

– Mme d’Étioles, vous le savez mieux que personne, avait été remarquée par le roi… Elle-même, – je vous demande pardon, chevalier, – avait paru n’être pas insensible aux attentions du roi… Or, certains personnages avaient décidé de capter les faveurs de Sa Majesté… Mme d’Étioles paraissant aller sur leurs brisées avec des chances de succès, ces personnages se sont dit qu’il fallait écarter ce danger à tout prix… Vous me suivez?…

– Allez!… Allez!…

– Un assassinat eût été dangereux…

– Comment, un assassinat!… fit d’Assas en sursautant.

– Oh! vous ne connaissez pas les gens à qui vous avez affaire… Je dis donc: un assassinat eût été dangereux, en ce sens qu’il eût peut-être éveillé l’attention du roi… On chercha et voici ce qu’on trouva: on fit parvenir au roi un billet dans lequel on lui disait que Mme d’Étioles s’ennuyait dans la petite maison. Ce qui était une manière déguisée de lui dire d’accourir… On s’arrangea de manière à ce que le roi ne put être là qu’à minuit, et, avant son arrivée, une femme – celle qui était poussée et soutenue par ces personnages, la rivale de Mme d’Étioles en un mot – s’introduisit dans la maison, joua une comédie savamment préparée et réussit à persuader Mme d’Étioles qu’un danger très grave menaçait le roi s’il mettait les pieds dans la maison… Or, Sa Majesté pouvait arriver d’un instant à l’autre… Craignant pour les jours du roi, Mme d’Étioles partit immédiatement… c’était ce qu’on voulait. Elle laissait ainsi le champ libre à sa rivale qui devait recevoir le roi en son lieu et place.